La nature comme boussole

L’approche Santé Planétaire a redonné du sens à ma pratique à l’aune de l’anthropocène et du dépassement des limites planétaires… En passant par la prescription de nature !

Juliette Zimmermann, médecin généraliste membre de l’Alliance Santé Planétaire

Comme bon nombre de mes semblables, j’ai été frappée par une crise de sens lors de mon internat de médecine. Une crise de sens professionnelle, les dysfonctionnements hospitaliers ne jouant pas en la faveur d’une soi-disant vocation déjà ébranlée par trop d’années de bachotage. Une crise de sens personnelle : comment rêver du futur lorsque la planète se meurt ? Je souffrais d’être témoin d’inégalités de santé, d’injustices sociales, de non-sens écologiques. Je souffrais de devoir me scinder en deux : d’un côté le moi médecin scientifique, enchaînant les examens cliniques et les prescriptions d’imagerie et craignant par-dessus tout l’« erreur médicale », de l’autre le moi humaniste et engagée, cherchant à prendre soin des personnes et de l’environnement dans leur globalité, bridée par le manque de temps et de sommeil.

Le prisme de la santé planétaire

J’ai alors découvert l’approche Santé Planétaire, celle-là même qui cherche à casser la « pensée en silo », à mettre en contact le chercheur et le praticien, l’écologue et le médecin, le politique et le citoyen. J’ai découvert qu’il était possible et même salvateur de traiter les questions de santé humaine et de santé des écosystèmes dans le même temps, que l’un n’allait pas sans l’autre. J’ai trouvé une résonance particulière dans la prescription de nature, une prescription à co-bénéfices, c’est-à-dire bénéfique pour le patient et pour la santé des écosystèmes. Je ne saurais mieux l’exprimer que la WONCA (l’organisation mondiale des médecins généralistes) dans sa déclaration appelant les médecins généralistes du monde entier à agir en faveur de la santé planétaire : « la santé et le bien-être humain sont tributaires de l’environnement naturel ».

La nature et ses bienfaits

La science est formelle : le contact avec la nature est bénéfique pour la santé cardio-vasculaire, mentale et respiratoire. Il a été démontré que la nature avait un impact bénéfique sur la mortalité cardio-vasculaire et l’incidence du diabète. Passer du temps au contact de la nature diminue le stress et améliore le bien-être. Cela permet de réduire les ruminations anxieuses. D’autres études suggèrent des effets bénéfiques sur l’immunité, les allergies, les troubles de l’attention chez l’enfant, les troubles cognitifs du sujet âgé. Être au contact de la nature favorise les comportements pro-environnementaux : on protège mieux ce que l’on connaît !

Prescrire de la nature

Une fois la théorie maîtrisée, reste la pratique. Et quoi de plus facile que de conseiller à sa patiente ou son patient de profiter de la nature ? C’est en tout cas le retour de médecins prescripteurs de nature en Écosse, qui décrivent cette prescription comme un « processus simple, si tant est que l’on dispose de supports de qualité pour appuyer ses dires. Quelques autres astuces issues de la littérature : ne pas hésiter à prescrire l’activité en nature sur une ordonnance, comme un médicament classique. On augmente ainsi les chances que le conseil soit suivi. Veiller à préciser la durée et la fréquence nécessaires pour que les bienfaits apparaissent : au moins deux heures par semaine dans la nature, au moins vingt minutes à la fois. Enfin, rappeler que le plus important, lors de ces activités, est de laisser de côté écouteurs et smartphones et de faire appel à ses cinq sens ! Quelques exemples : une promenade dans le parc au déjeuner avec un collègue, une séance de sport en forêt plutôt qu’en salle, une balade en bord de mer, une activité jardinage avec ses enfants…

Accompagner le changement

Prescrire de la nature, oui mais… Des médecins généralistes français interrogés dans le cadre de ma thèse ont soulevé plusieurs freins à cette prescription. Réussir à modifier les habitudes du patient ou de la patiente est souvent la première difficulté rencontrée. Quelques clés pour se faciliter la tâche : la répétition de style « conseil minimal », la personnalisation de la prescription (connaître les espaces accessibles autour du cabinet et du lieu de résidence du patient ou de la patiente), le suivi (reconnaître et réduire les obstacles, souligner les succès même minimes), la planification (donner des objectifs à court terme). En commençant par montrer l’exemple : passer soi-même du temps en nature et en éprouver les bienfaits !

par Juliette Zimmermann, Pratiques N°104, avril 2024

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