La santé planétaire en pratique

La santé planétaire peut paraître éloignée de la pratique médicale quotidienne alors qu’il existe des liens pertinents entre notre santé et notre environnement. Peut-être parce que cette approche n’entrait pas dans notre programme de formation ou parce que nous manquons de temps en consultation.

Orianne Moulinier, médecin généraliste, membre de l’Alliance Santé Planétaire

L’objet de cette approche – santé planétaire – n’est pas de culpabiliser les patients, mais d’accompagner des changements d’habitude de leur part tout en questionnant les nôtres aussi.
À travers quelques exemples, j’expose ce que j’essaie de mettre en place en consultation, pour faire passer des messages de prévention globale.

Un pas de côté pour… parler de l’asthme

L’asthme est une maladie fréquente et commune qui touche de plus en plus de personnes. Les liens avec la pollution de l’air ne sont plus à prouver et pourtant...
Si nous savons que l’air extérieur est pollué, nous devons avoir conscience que l’air de notre habitat l’est tout autant.
Pour l’air extérieur, je peux informer mes patients des bienfaits physiques et environnementaux du vélo, en place de la voiture. Mais je constate que même si la prise de conscience est là, le changement d’habitude ne se fait pas si simplement.
Pour l’air intérieur, je propose :
-  d’aérer l’habitat dix minutes matin et soir.
-  d’arrêter les encens, les bougies, les huiles essentielles, les parfums, les sprays « sent bon » des toilettes.
-  d’opter pour des produits plus simples et sains (bicarbonate, savon noir, savon de Marseille, vinaigre blanc, nettoyage à la vapeur). J’explique à mes patients, que les produits vantés par les publicités – sentant le propre – ne sont qu’un artifice et génèrent de nouvelles pollutions.
-  de prendre conscience que les nouveaux meubles qui sentent le « neuf » diffusent des composés organiques volatiles (COV) et qu’il vaut mieux les déballer dans une pièce aérée. Sinon leur préférer des meubles de seconde main.
-  de préférer les peintures avec le moins de COV (label A+) lors de la rénovation de l’habitat.
Alors oui, ça sentira différemment chez nous, mais l’air y sera bien plus sain.
Bien évidemment, le tabac est à proscrire à l’intérieur, et même à proscrire tout court si possible, une occasion de plus pour aborder la question !
Pour les traitements médicaux de l’asthme, en tant que prescripteurs, essayons de préférer les inhalateurs poudre sèche (type Ventilastin) aux aérosols doseurs (type Ventoline), car ceux-ci contiennent des gaz propulseurs ayant un effet de serre 1 500 à 4 000 fois plus puissants que le CO2 (soit l’équivalent en terme d’émission d’environ 250 km de voiture pour une bombe de Ventoline).
Ce sujet peut être abordé exactement de la même manière pour les infections respiratoires ou ORL à répétition, les broncho-pneumopathies chroniques, les allergies ou les bronchiolites.
La mise en œuvre de ces quelques mesures procure de nombreux bénéfices : moins de pollution de l’air intérieur, moins d’exacerbations des pathologies respiratoires, moins de consommation de médicaments donc moins de production de gaz à effet de serre et des économies pour le portefeuille !

Un pas de côté pour... parler de cholestérol

« Revenir en consultation pour le résultat d’une biologie, ça ne vaut pas le coup quand même Docteur »
Et bien si justement ! Une consultation dédiée pour parler du cholestérol, c’est idéal pour faire de la prévention. C’est l’occasion de parler du bon et du mauvais cholestérol, des omégas 3 et de critiquer les allégations publicitaires sur de nombreux produits d’alimentation et de pharmacie. « Vous allez faire des économies et vous mangerez mieux ».
Je ne suis pas partisane de la privation complète de produits très appréciés. J’évoque avec les patients la question de la frustration et la difficulté de modifier ses habitudes alimentaires. Je reste dans le positif et j’évite le « il ne faut plus ».
Je conseille :
-  de préférer les huiles de colza et d’olive (crues ou cuites), de noix et de lin pour l’assaisonnement. C’est bien de varier.
-  de limiter la viande rouge (tout sauf la volaille) à une fois par semaine (100 g) : ça fait du bien au portefeuille, au cholestérol, au système cardio-vasculaire et à l’environnement.
La problématique du poisson est complexe. C’est riche en oméga 3, mais désormais également en métaux lourds... Je propose de limiter à deux portions de 100 g/semaine, comme le préconise le programme national de nutrition (PNNS4).
Sans inciter à la suppression complète de consommation de chair animale, je conseille d’essayer des repas sans viande ni poisson, au rythme décidé par le patient. J’évoque les légumineuses souvent absentes des régimes alimentaires qui sont moins chères que la viande et bien meilleures pour notre santé et notre environnement.
Je n’hésite pas à noter ces conseils sur une ordonnance.
Ce sujet peut également être abordé avec les patients à haut risque cardiovasculaire, en surpoids ou obésité, diabétiques ou hypertendus.
Pour les co-bénéfices : l’amélioration de la santé, notamment cardiovasculaire, et des économies financières. Pour l’environnement, moins de déforestation pour l’élevage, et à terme, moins de consommation de médicaments.
Si vous voulez aller plus loin, n’hésitez pas à consulter le rapport du EAT Lancet sur l’alimentation ou conseiller la « fabrique à menus » de mangerbouger.fr.

Un pas de côté pour... discuter avec les femmes enceintes

Les femmes enceintes reçoivent toujours beaucoup d’injonctions dès le début de leur grossesse. Ce n’est pas pour autant qu’on ne doit pas évoquer le sujet sensible des perturbateurs endocriniens qui ne sont pas sans effets néfastes pour l’enfant à venir.
Ne nous focalisons pas juste sur les femmes, car les hommes ont vu baisser drastiquement la qualité et quantité de leurs spermatozoïdes ces dernières années.
Les ressources sont nombreuses et les conseils peuvent être variés. L’attente d’un enfant, notamment d’un premier, est un moment où les futurs parents sont prêts à changer d’habitudes.
Pour éviter l’absorption des perturbateurs endocriniens d’origine alimentaire :
-  Préférer une alimentation bio, notamment pour les produits les plus traités (pommes, pommes de terre, tomates, raisin, céréales complètes et leurs produits transformés).
-  Bannir tout le plastique alimentaire : boîtes, spatules, planches à découper, vaisselle.
-  Préférer les boîtes en verre (et les biberons !), les spatules et planches en bois, la vaisselle en verre/porcelaine/céramique.
-  Supprimer les ustensiles avec du téflon rayé, remplacer par de l’inox, de la fonte ou de l’acier.
En ce qui concerne la pollution chimique dans les cosmétiques :
-  Conseiller une application pour téléphone mobile comme INCI Beauty, Yuka, Clean Beauty ou Quel produit ou des labels tel que « Nature et Progrès », « Cosmetic bio » ou autres.
-  Choisir les cosmétiques contenant le moins d’ingrédients.
-  Déconseiller les vernis, le fond de teint, les colorations pour cheveux...
-  Pour avoir des fiches ou autres idées à partager utiliser le travail de qualité de l’ASEF (Association Santé Environnement France), WECF France (Women Engage for a Common Future), le projet FEES ou encore le site des 1000-premiers-jours.fr
Et les co-bénéfices : une meilleure alimentation, moins de pesticides pour nos sols, des ustensiles plus durables, moins de déchets, une consommation raisonnée de cosmétiques.

Un pas de côté pour... traiter l’anxiété

L’anxiété est devenue un motif de consultation quotidien dans la plupart des cabinets de médecine générale. Nous sommes parfois désarçonnés, car nous ne savons pas quoi proposer d’autre que des médicaments, alors qu’on sait bien qu’ils ne sont pas magiques et ont des effets secondaires.
Chacun et chacune a sa sensibilité. Mais voici ce que la science a prouvé :
-  Le bénéfice de la cohérence cardiaque qui diminue le taux de cortisol. Mais un peu de patience car de l’entraînement est nécessaire.
-  Le bénéfice du contact avec la nature : balade en forêt, jardinage, lecture dans un parc, sortie à la mer, aller voir la montagne... Tout est bon à prendre, ça fait sortir et marcher, ça calme les pensées.
-  La déconnexion des écrans : les écrans aggravent l’isolement social et les insomnies. On peut proposer de se déconnecter, s’aérer et d’éteindre les écrans une heure avant de se coucher.
Concernant les co-bénéfices : moins de consommation de médicaments, une reconnexion à la nature qui nous donne envie d’en prendre soin, moins de consommation d’énergie.

Un pas de côté pour... notre cabinet

Désinfectons à la vapeur, limitons notre usage des produits chimiques, lavons-nous les mains au robinet, limitons notre usage du gel hydro-alcoolique.
Limitons nos déchets et sélectionnons ce que l’on met dans les boîtes pour les déchets contaminés (DASRI).
Et toujours des co-bénéfices : une meilleure qualité de travail, une qualité de l’air améliorée, une diminution de notre stress, moins de déchets à traiter, moins d’utilisation de biocides donc moins d’antibiorésistance.
Donnons l’exemple, végétalisons ! Des belles fleurs, des plantes vertes, des photos de montagne, de mer, de forêt... Rien de mieux que de mettre un peu de nature dans notre espace de travail pour plus de bien être pour nous et nos patients.

Pour aller plus loin :
D’un point de vue global, le livre Santé Planétaire, soigner le vivant pour soigner notre santé est une bonne base.
Vous pouvez aussi consulter le livre d’Alice Baras Guide du cabinet de santé écoresponsable.

par Orianne Moulinier, Pratiques N°104, avril 2024

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