L’insuffisance de prise en compte du facteur travail dans la santé est notoire. Les pratiques de médecine du travail, entravées par les gouvernances patronales, ne jouent plus leur rôle d’ « éviter toute altération de la santé des travailleurs du fait de leur travail ». « Aurait-on idée de confier la responsabilité du fonctionnement des consultations de tabacologie aux producteurs de cigarettes ? », interpellent les professionnels de santé au travail dans leur "Manifeste pour une nouvelle politique de gestion des Services de Santé au Travail " (1).
Vos commentaires
# Le 16 mai 2009 à 12h59, par Isabelle LAGNY En réponse à : Réponse à : Services de santé au travail et conflits d’intérêts, par Marie Kayser, médecin généraliste, et Gérard Lucas, médecin du travail
J’adhère à cet article sauf sur deux points :
1) La suppression pure et simple de l’avis d’aptitude souhaitée par le rédacteur, et donc suppression de tout ce qui gravite autour, notamment l’inaptitude. Cela comporte des dangers plus grands que des avantages : Il n’y aura plus d’obligation pour l’employeur d’aménager un poste de travail à la demande du médecin du travail (soutenue en général efficacement par l’inspection du travail). Il n’y aura plus de possibilité d’éviter les suicides, les démissions brutales, les maladies réactionnelles graves, par une action engagée du médecin du travail qui jusqu’à présent pouvait déclarer « inapte à tous postes de l’entreprise en procédure de danger immédiat » les salariés consentants les plus en détresse. Au fait, on priverait le médecin du travail d’exercer des actes dont les effets thérapeutiques ne sont plus à démontrer. C’est aussi l’avis des médecins et psychologues des consultations souffrance au travail qui soulignent qu’en cas de carence d’action du médecin du travail, et notamment de décision « d’inaptitude à tous les postes », le salarié n’a d’autres recours que de s’engager alors dans des procédures juridiques compliquées et incertaines pour rompre le contrat de travail sans perdre ses droits aux assedics.
De plus, expérimentant actuellement la fonction de « médecin de prévention dans la fonction publique » qui ne peut pas prononcer d’avis d’aptitude, je me rends compte combien cela pèse sur l’avenir des personnels et combien nous sommes impuissants dans le public devant les situations de grande souffrance. J’ai eu connaissance d’un suicide survenu début 2006 avant mon arrivée dans un contexte de situation de travail difficile. Pourtant le médecin de prévention précédant s’était déplacé pour faire une étude de poste et avait émis des recommandations censées non suivies d’effets. Les demandes de mutation par le médecin de prévention ne semblent le plus souvent pas non plus honorées. Dans le privé au contraire, grâce à l’avis d’aptitude au poste, les mutations sont généralement obtenues (car c’est l’inspecteur du travail qui tranche en cas de conflit). Cela sauve des vies ! Je suis toujours étonnée par mes collègues qui s’affrontent sur la question de l’aptitude. Oui on peut supprimer le mot "Apte" qui ne veut rien dire et le remplacer par "Attestation de suivi médicoprofessionnel" ce qui est plus intéressant sur le sens de notre action de prévention. Mais pourquoi vouloir supprimer l’inaptitude compte tenu de l’enjeu ? S’agit-t-il de fuir ses responsabilités ? Je m’interroge.
2) Aujourd’hui, les médecins du travail ne sont plus victimes de simples tracasseries comme autrefois mais de menaces et d’attaques véritables de la part des grosses entreprises et des services de santé au travail. Il y a de plus en plus de plaintes déposées contre des médecins du travail à l’ordre des médecins. En général il s’agit de médecins du travail actifs qui prononcent justement des inaptitudes à tous les postes de l’entreprise ou qui alertent par écrit les CHSCT de procédés managériaux destructeurs pour la santé des salariés.La vision de l’article est donc à mon goût un peu tiède sur ce plan.
Pour le reste, un grand merci pour la réflexion et les propositions.
Isabelle Lagny (médecin du travail et médecin de prévention)