L’aluminium mis en examen

Dominique Le Houezec
Pédiatre

      1. Il existe actuellement une controverse concernant l’innocuité de l’adjuvant alumi- nique vaccinal. Celui-ci est en effet fortement soupçonné de déclencher, chez certaines personnes, une affection neuromusculaire décrite en France en 1998 sous le nom de myofasciite à macrophages (MFM).

Historique :
Le rôle de l’adjuvant vaccinal a été découvert par Ramon en 1925 lors de ses travaux sur le degré de réponse au sérum antidiphtérique chez le cheval. Parmi diverses substances, les sels d’aluminium (Al.) furent rapidement adoptés chez l’homme comme molécule capable de majorer la réponse immunitaire à l’injection d’un antigène vaccinal, de façon purement empirique. L’Al. stimule surtout la réponse immunitaire humorale, mobilisant les cellules (lymphocytes B) qui déclenchent la réponse immune adaptative.

La majorité des vaccins commercialisés actuellement contiennent de l’Al. (DTCoqPolio, hépatite A et B, méningocoque C, papillomavirus, pneumocoque).

Une alternative a longtemps été possible puisque l’Institut Pasteur, inquiet de la toxicité potentielle de l’adjuvant aluminium antérieurement utilisé, a commercialisé durant des décennies des vaccins « IPAD » (DTPolio et DTcoqPolio) dont l’adjuvant était le phosphate de calcium, sans effet secondaire notable (avec l’avantage d’utiliser le calcium, composant naturel de l’organisme). Lorsque la branche vaccins de l’Institut Pasteur fut vendue au laboratoire Mérieux en 1984, ses responsables imposèrent, par simplification, leur propre adjuvant aluminique.

Un autre choix existait encore jusqu’en 2008, avec l’existence d’un vaccin DTPolio, qui ne contenait pas d’adjuvant, commercialisé par le même groupe Aventis-Pasteur-MSD. Mais celui-ci fut retiré brutalement du marché à la suite de déclarations de réactions allergiques rapportées par le fabricant et dont la fréquence un peu plus notable n’atteignait en fait qu’un seul lot. Ce retrait, qui semble très contestable, permet à l’industriel de détenir le monopole de vente du vaccin DTPolio avec adjuvant (Révaxis®).

L’utilisation de l’Al. vaccinal est donc désormais un passage obligé, source de contestations répétées et médiatisées. Ce d’autant qu’il touche une vaccination (DTPolio) que la loi impose en France à tous les jeunes enfants.

Que sait-on des risques de l’Al. vaccinal ?
L’adjuvant aluminique peut être responsable de phénomènes allergiques cutanés à type de granulome persistant, parfois quelques années, au point d’injection (Barbaud 1995). Cette manifestation serait due à un phénomène d’hypersensibilité retardée.

Les risques neurologiques de fortes doses d’aluminium sont reconnus de longue date depuis surtout la découverte de l’origine de « l’encéphalopathie des dialysés » (cf. vignette sur l’Al.).

Un palier important dans la nocivité potentielle de l’Al. a été franchi lorsque cette molécule a été mise en accusation en tant qu’adjuvant associé aux vaccins injectés par voie intramusculaire. Nous sommes en 1998, peu de temps après le début de la campagne de vaccination généralisée contre l’hépatite B en France, qui vient d’aboutir à une vaccination massive de plus de 20 millions de personnes sur quatre ans. Une publication princeps (Ghérardi, 1998) sort cette année-là émanant d’un groupe de neuro-pathologistes travaillant dans le cadre des recherches scientifiques de l’AFM (Association Française contre les Myopathies). Ils décrivent une affection inconnue définie par une image de biopsie musculaire tout à fait particulière qui est baptisée myofasciite à macrophages (MFM). Il existe en effet dans le fascia entourant les fibres musculaires des amas de cellules, les macrophages, qui contiennent des granulations non identifiées. Les recherches ultérieures montreront qu’il s’agit en fait de cristaux d’aluminium persistants au site d’une injection vaccinale antérieure. Les biopsies musculaires des quatorze personnes incluses dans cette première publication présentaient toutes des symptômes associant des douleurs musculaires prolongées ainsi qu’une fatigue chronique.

Au fil des mois, une cohorte de quelques dizaines de cas (54) est recensée par la même équipe (Ghérardi, 2001), permettant une approche plus complète de cette affection émergente. Les personnes présentant ces lésions de MFM ont une symptomatologie stéréotypée faite de douleurs musculaires et articulaires diffuses, d’une fatigue chronique intense, ainsi que des troubles cognitifs (mémoire, attention…), qui pourrait presque simuler une affection psychosomatique. Un tiers d’entre eux présentent de plus une affection auto-immune associée (sclérose en plaques surtout). Toutes ont enfin reçu, dans les mois ou années précédents, une injection de vaccin contenant un adjuvant aluminique. Parallèlement aux personnes présentant la signature histologique de la MFM (54), cette étude avait permis de comparer, de façon rétrospective, une population témoin (565) venue consulter pour des troubles neuromusculaires divers (dont surtout des myalgies) et dont la biopsie ne présentait aucun signe histologique de MFM. En ayant pu réinterroger une partie des personnes de ces deux cohortes sur leurs antécédents vaccinaux, 113 d‘entre-elles déclarèrent avoir reçu précédemment un vaccin contenant un adjuvant aluminique ; chez les patients consultant pour des douleurs musculaires et ayant reçu une vaccination antérieure, presque neuf fois sur dix (87 %), on ne retrouve pas d’image d’inclusions aluminiques évocatrices de MFM. L’image de myofasciite n’est donc pas un simple « tatouage vaccinal » comme on le verra écrit plus tard par certains, mais un critère histologique spécifique définissant la MFM-maladie.

C’est à cette période que le regroupement des personnes touchées par ce syndrome se met en place au sein de l’association E3M (http://www.myofasciite.fr). Leur revendication principale est bien sûr la reconnaissance de leur maladie et la poursuite de recherches sur les causes de leur affection qui paraît secondaire avant tout à un acte vaccinal.

La pharmacovigilance nationale (Afssaps) est sollicitée pour donner son sentiment sur cet ensemble de symptômes assez stéréotypés et leurs liens avec l’image musculaire post-vaccinale. Une étude cas-témoins permet de comparer 25 personnes dont la biopsie musculaire avait révélé une lésion de MFM et 93 témoins porteurs de pathologies neuromusculaires pour lesquelles la biopsie ne montrait pas d’image de ce type. Une fréquence nettement plus grande de fatigue chronique existe chez les personnes MFM +, tandis qu’aucune différence n’est notée en ce qui concerne les symptômes myalgies et arthralgies. Cette étude est présentée officiellement comme négative du fait de la faiblesse des effectifs (25) et de l’absence de définition précise de la maladie MFM, les auteurs recommandent cependant une recherche complémentaire. À signaler que les conflits d’intérêts des membres du conseil scientifique de l’Afssaps de l’époque étaient patents.

Les expérimentations animales (Ghérardi, 2012) chez la souris vont venir apporter un éclairage important à la compréhension de la MFM. Lorsqu’il est injecté en I.M., l’Al. (marqué par fluorescence) reste dans le muscle ou bien se distribue pour partie (50 %) dans le système lymphatique, passe dans les macrophages sanguins, la rate et enfin tardivement et lentement, via ces mêmes macrophages, dans les structures cérébrales où il reste stocké de façon cumulative. « On s’achemine actuellement vers l’idée que certaines personnes auraient, en raison de leur âge, ou d’un terrain génétique particulier, une propension particulière à développer une inflammation musculaire et cérébrale induite par l’hydroxyde d’aluminium », explique le Pr. Ghérardi.

Les troubles cognitifs (mémoire, concentration…) constatés par des tests neuropsychologiques objectifs dans la MFM attestent bien la présence de lésions organiques cérébrales (pouvant être mises en évidence sur des images de scintigraphies cérébrales ou de PET-scans).

L’apparition d’un MFM chez certaines personnes et pas chez d’autres serait peut-être due à un facteur génétique non encore bien déterminé (typage HLA DRB1*01) et/ou à l’accumulation de vaccins aluminiques au fil de la vie.

Le nombre exact de personnes atteintes par cette pathologie émergente est sûrement fortement sous-estimé. Le rôle nocif de l’Al. pourrait expliquer un très large spectre de pathologies voisines et mal connues (syndrome de fatigue chronique, syndrome de la guerre du Golfe). Toutes ces affections sont en effet souvent prises au départ au mieux pour des affections psychiatriques, au pire pour des « maladies imaginaires », devant l’absence d’éléments objectifs retrouvés lors des explorations réalisées. Certains immunologistes (Shoenfeld, 2011) évoquent même la possibilité d’un cadre plus large d’un syndrome auto-immunitaire induit par les adjuvants appelé « ASIA ».

Que fait-on avec tout cela ?
En juin 2004, les responsables de l’OMS reconnaissaient que « l’innocuité des adjuvants est un domaine important et négligé. Dans la mesure où les adjuvants ont leurs propres propriétés pharmacologiques, susceptibles de modifier l’immunogénicité et la sécurité des vaccins, l’évaluation de leur innocuité est indispensable ».

Beaucoup de choses restent donc à découvrir à propos de cette (ces) affection(s) associée(s) à l’adjuvant aluminique. Il faudrait pour cela que les autorités sanitaires s’en donnent les moyens sans craindre que ces découvertes ne remettent bien sûr en cause l’utilité des vaccinations.


  1. L’aluminium pour les nuls

L’Al. n’est pas un constituant naturel de l’homme et son existence est toujours d’origine exogène. Chez l’homme, l’absorption orale alimentaire (additifs, médicaments anti-acides, ustensiles de cuisine, papier d’emballage…) est très faible (< 1%). L’absorption par inhalation est également négligeable (< 2%), sauf éventuellement chez les ouvriers de cette industrie. L’absorption transcutanée (cosmétiques antiperspirants…) est peu étudiée, mais paraît négligeable, sauf sur une peau lésée.

  1.  
  2. L’Al. absorbé est transporté par voie sanguine. La charge en Al. se répartit entre l’os (50 %), le poumon (25 %), le foie (20 %), la rate et également le système nerveux. Ses concentrations tissulaires augmentent avec l’âge. La demi-vie de l’Al. (temps nécessaire pour que sa concentration baisse de moitié) dépend de l’exposition et s’effectue sur trois phases, rapide, lente et très lente pouvant s’étaler sur quelques années.
  1. La majorité des agences internationales de santé, dont l’OMS, ont fixé la dose journalière absorbée per os tolérable à 1 mg/kg.
  1. La neurotoxicité de l’aluminium a d’abord été mise en évidence à l’occasion de l’inhalation chronique chez des professionnels de cette industrie (Spofforth, 1921). Cinquante années plus tard, une « encéphalopathie des dialysés » a été mise en lien avec des teneurs excessives d’Al dans le liquide des bains d‘hémodialyse (Alfrey 1972), avec de plus un rapport avec la dose cumulée reçue. La relation entre Al. et maladie d’Alzheimer reste controversée. L’étude d’une cohorte française de personnes âgées (Rondeau, 2000) retrouve un risque (entre 1, 5 et 2,5) d’apparition de démence ou d’Alzheimer dans les communes où la concentration en Al. de l’eau est trop élevée (> 100 µg/l). Une étude cas–témoins réalisée au Canada (Mac Lachlan 1996) avait retrouvé des résultats similaires. Les épidémiologistes reprochent de nombreux biais à ces études et la faiblesse de la plausibilité biologique, l’eau de boisson ne représentant qu’un faible pourcentage des apports d’Al. chez l’homme, si on la compare par exemple à la prise prolongée de médicaments antiacides.
  1. Des déficits des scores de développement psychomoteur ont été mis en relation avec les apports en Al. contenus dans une alimentation parentérale prolongée chez d’anciens prématurés, avec une relation dose effet (Bishop 1997)

Lire l’expertise collective INVS de 2003 « Aluminium. Quels risques pour la santé ? »


par Dominique Le Houezec, Pratiques N°71, octobre 2015


L’auteur (ou l’auteure) déclare n’avoir aucun lien d’intérêt avec les entreprise fabriquant ou commercialisant des produits de santé.]

Documents joints

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