Centres de santé et tiers-payant

Les centres de santé accueillent une population défavorisée pour qui le tiers payant est un moyen d’accéder aux soins. Mais la gestion de ce système de paiement est très lourde pour les centres et devrait être prise en compte.

Alain Brémaud,
médecin généraliste, directeur du centre municipal de santé de La Courneuve pendant quinze ans, membre du bureau FEDEFORMA (fédération de formation pour les centres de santé) et de l’Union Syndicale des Médecins de Centres de Santé, participant aux comité de rédaction des
Cahiers de Santé Publique et Protection Sociale.

Inégalités sociales de santé et tiers-payant
Si le système de santé français reste considéré comme un des meilleurs du monde, il est en échec pour ce qui concerne les inégalités sociales de santé avérées, importantes depuis des années et allant croissant. Or, les progrès de la médecine ne sont qu’une partie des facteurs contribuant à un meilleur état de santé. Les facteurs sociaux et sociétaux (niveau de rémunération, conditions de vie, conditions de travail, emploi ou non, estime de soi, conditions de logement et de chauffage, hygiène et alimentation, culture et éducation, loisirs et vacances, pratique d’un sport...) jouent un rôle plus déterminant encore pour l’état de santé des populations.
La pauvreté progresse (un français sur sept sous le seuil de pauvreté), les inégalités sociales de santé touchent des couches sociales de plus en plus nombreuses, la démutualisation aggrave les choses (7 % des français sans complémentaire et 22 % des plus modestes) et les renoncements et retards aux soins touchent une part, chaque année plus importante de la population.
Les mesures accumulées depuis plusieurs années aggravent les possibilités d’accès aux soins : forfait hospitalier, déremboursements, franchises sur les remboursements, taxation des mutuelles, paniers de soins pris en charge à plusieurs niveaux.

Les actions de santé publique sont beaucoup moins efficaces pour ceux qui en ont le plus besoin : plus on a de difficultés sociales, moins la santé est vécue comme prioritaire. Il faut d’abord vivre et survivre et les messages d’éducation sanitaire et de prévention passent, comme le recours aux soins, au second plan.
Il faut bien qu’il y ait quelques éléments qui tentent d’enrayer en partie ces inégalités de santé : la pratique exclusive des tarifs de secteur 1 en est une, la pratique du tiers-payant en est une autre.

Inégalités territoriales de réponses aux besoins de santé et tiers-payant
À ces inégalités sociales de santé s’ajoutent les inégalités territoriales de réponses aux besoins de santé. Or les zones géographiques des unes et des autres se superposent : ainsi les zones urbaines sensibles (ZUS) représentent 14 % de la population avec seulement 6 % des soignants. Mais ces différences sont plus importantes qu’il n’y paraît ; car il faudrait parler de démographie médicale de secteur 1 et de démographie médicale pratiquant le tiers-payant pour réaliser à quel point ceux qui sont en difficultés sociales se trouvent, en termes d’accessibilité, dans des déserts médicaux.

Tiers-payant et centres de santé 
Les Centres de santé ont fait le choix des tarifs opposables et de la pratique du tiers-payant, ces éléments étant devenus leur cadre légal obligatoire. Cette pratique du tiers-payant participe à réduire les difficultés d’accès aux soins, mais seulement à les réduire. Ainsi, dans ces structures, on observe, malgré tout, arrêts, retards ou renoncements aux soins, on note que les patients viennent moins consulter en fin de mois, qu’ils sont très attentifs au coût de l’ordonnance, qu’ils demeurent en difficulté pour suivre les régimes, l’ensemble des traitements et poursuivre toutes les investigations nécessaires. Pourtant, les Centres de santé pratiquent le tiers-payant pour la part Sécurité sociale, accueillent, sans réserve, les bénéficiaires de la CMUc et de l’AME, et pratiquent aussi avec plus d’une centaine de mutuelles pour chaque centre, le tiers-payant pour la part complémentaire.
L’étude EPIDAURE-CDS [1] menée en 2009 par l’IRDES [2] et la FNCS [3], sur un échantillon de vingt et un centres de santé et leurs patientèles, sur l’évaluation de l’apport des centres de santé en termes d’accès aux soins et de réduction des inégalités de santé, révèle que du fait de leurs caractéristiques et engagements (en particulier en termes de travail coordonné d’équipe, d’accessibilité et de pratique du tiers-payant), les centres de santé drainent des populations plus défavorisées que celles constatées localement (autour des centres de santé) ou que les moyennes évaluées nationalement. Ainsi, deux tiers de leurs consultants sont considérés comme précaires (au sens du SCORE EPICES [4]) contre un tiers en population générale. « Les Centres accueillent la part la plus précaire ou la plus défavorisée de la population qu’ils desservent et, à ce titre, on peut en conclure à la facilitation par ces structures de l’accès aux soins des populations précaires ou défavorisées. »
Si les Centres de santé ne revendiquent nullement d’être transformés en ghettos sanitaires, leur expérience démontre, s’il en était besoin, le rôle facilitateur du tiers-payant pour l’accès aux soins.

Les coûts du tiers-payant 
Cette réflexion ne serait pas complète si n’étaient envisagés ici les difficultés et coûts de la pratique du tiers-payant.
Plusieurs études effectuées ces dernières années permettent d’estimer ce surcoût à au moins trois euros pour chaque acte effectué. En effet, accueillir et expliquer aux patients les modalités, contrôler les droits, saisir les données, récupérer les listings de l’Assurance maladie, éviter les pièges des procédures de la Sécurité sociale pour les différents tarifs (parcours de soins), vérifier les sommes réellement remboursées et leur attribution... amènent les centres de santé à doubler les effectifs nécessaires des personnels d’accueil et administratifs. Ce surtravail n’est pas financé par l’Assurance maladie. Au contraire, les retards de remboursements, les erreurs des CPAM pour l’adhésion des patients au parcours de soins (toute erreur de leur part se solde par un non-remboursement aux centres), les erreurs de remboursement (un centre payé pour un autre, des montants inexacts et minorés...) se multiplient et ne facilitent pas la gestion.
Puis, il y a le tiers-payant mutualiste, avec des exigences de gestion différentes de la part de chaque mutuelle, avec de gros retards de paiement selon les mutuelles, des oublis de rembourser, pour certaines, la totalité de ce qui est dû... À cela, il faut ajouter la complexité pour vérifier et expliquer aux patients les règles de leurs mutuelles avec, selon les tarifs et contrats « offerts », des paniers de soins de remboursement et de tiers-payant variés et plus ou moins restrictifs. Ces paniers de soins contribuent, d’ailleurs, aux inégalités sociales de santé. Plus les revenus sont modestes, moins il y a de mutualisés et pour ceux qui conservent une complémentaire, plus le panier de soins remboursés est restreint.
On le voit, le tiers-payant ne peut être envisagé dans l’écheveau des mesures sanitaires et sociales à prendre pour améliorer l’accès aux soins de tous, que comme un élément parmi d’autres. Mais, pour les patients, c’est un facteur indispensable à considérer, généraliser et simplifier.
Pour les professionnels qui œuvrent dans ce sens, comme c’est le cas dans les Centres de santé, il faut que le coût de la gestion du tiers-payant soit reconnu de manière que ceux qui investissent le plus pour permettre l’accès aux soins de la population ne soient pas pénalisés et mis en grande difficulté pour leurs équilibres budgétaires. Les moyens pour l’accès aux soins pour tous doivent relever des choix de l’État.


par Alain Brémaud, Pratiques N°57, mai 2012


[1Consultable sur les sites de l’IRDES et de la FNCS.

[2Institut de Recherche et Documentation en Économie de la Santé.

[3Fédération nationale des centres de santé.

[4Score de précarité mis en place par les centres d’examens de santé de la Sécurité sociale.


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