C’est une séquence de dessin animé. Le personnage a découvert une fuite sur son tonneau. Il l’a bouchée avec son doigt, le doigt qui est au bout de sa main gauche, la main qui est au bout du bras gauche. Mais une seconde fuite est apparue plus bas sur le tonneau. Il l’a bouchée avec le gros orteil de son pied droit. Une troisième fuite apparaît. Elle est un peu éloignée, et lui un peu bloqué. A l’aide d’une règle tenue fermement par la main droite il bloque un mouchoir qui colmate la fuite. Une quatrième fuite est signalée, elle est immédiatement contrebattue grâce à une éponge maintenue serrée contre le tonneau par le talon gauche.
Le personnage est là, bloqué, le corps tordu dans une position inconfortable. La caméra avance. Gros plan sur son regard. Il attend la cinquième fuite….
Bon, mais ça, c’est dans un dessin animé, ça n’existe pas dans la réalité.
L’Assurance maladie arrive, non sans difficulté, en 1970 (25 ans après les ordonnances de 45), à signer avec les syndicats de médecins une première Convention nationale avec un tarif national de consultation. En 1980, dix ans seulement plus tard, une autre Convention prend acte de l’existence de dépassements. On va donc distinguer un « secteur I » (sans dépassement, avec prise en charge partielle des cotisations sociales des médecins par l’Assurance maladie) et un « secteur II » (dans lequel les médecins pratiquent des dépassements avec « tact et mesure »). L’Assurance maladie a mis le doigt sur une première fuite.
Les dépassements progressent, et sont maintenant pratiqués à l’hôpital public. La Ministre du moment (Martine Aubry), pour limiter ces dépassements (« lits privés » à l’hôpital public), met en place une prime pour les médecins hospitaliers qui ne recourent pas à cette forme de dépassements. On en est au gros orteil.
Les dépassements continuent d’augmenter, en nombre et en niveau. On négocie une nouvelle Convention dans laquelle les dépassements sont reconnus, mais régulés pour ceux qui l’acceptent. Ces médecins vont s’engager en contre partie d’avantages sociaux à ne pratiquer des dépassements que dans la limite de +20% du tarif de la Sécu ( limite qui passe à 50% dans la convention de 2013 ) On en est au mouchoir retenu par la règle.
Arrive le PLFSS 2014. La Ministre (celle d’aujourd’hui) a une analyse sur les causes des dépassements. Pour elle, la cause des dépassements est dans le fait que les Complémentaires (enfin, certaines) les prennent en charge. Pour lutter contre les dépassements trop importants (ici la limite est fixée à +50% des tarifs Sécu) on va demander aux Complémentaires de limiter la prise en charge des dépassements. Et comme on ne peut rien imposer aux Complémentaires, on va les inciter avec des mesures fiscales. On en est à l’éponge maintenue par le talon gauche.
Noter que nous voilà avec quatre situations possibles pour les médecins. Ceux qui ne « dépassent » pas. Ceux dont les dépassements sont limités à +20%, Ceux dont les dépassements ne dépassent pas +50%. Ceux qui dépassent sans « tact » ni « mesure »…
Mais l’Assurance maladie a plus de quatre bras. Elle bouche donc aussi des fuites en interdisant les dépassements si le patient est un bénéficiaire de la CMU (ou de l’AME). Face à cette interdiction, les médecins ont deux comportements : Il y a ceux qui ne respectent pas cette interdiction. Il y a ceux qui la prennent comme prétexte pour refuser de soigner les bénéficiaires de la CMU (et de l’AME). A noter que ce « refus » est, lui aussi, interdit.
Ce qu’on attend à présent c’est le gros plan sur le regard de celui (au Ministère ou à l’Assurance maladie) qui attend la prochaine fuite…