Le CAPI : Pourquoi enfermer quand contrôler suffit !

L’Edito de Pratiques se termine par la sombre prévision d’un monde concentrationnaire destiné à l’enfermement des malades récalcitrants à la "normalisation" et au fichage, avec médecins postés en miradors, en référence au "Panoptique" proposé en son temps par Bentham. Ce monde est bien sûr métaphorique, l’ordinateur du médecin, avec dossier médical partagé, constituant un excellent mirador. Pour les stalags, contentons nous des multiples référentiels médicaux élaborés par une Haute Autorité et dont l’opposabilité glisserait de plus en plus du médecin au patient lui même, sous la contrainte de son assureur-santé. [1]

Christian Laval, co-auteur avec Pierre Dardot de "La Nouvelle raison du monde", rappelle dans l’interview qu’il accorde à Pratiques en juin, l’expression de Bentham lui-même : il faut, disait-il, conduire les hommes par « des fils de soie » qui s’enroulent autour de leurs affections et se les approprient .

Point n’est donc besoin de coercition brutale. Le sujet, rappelle Christian Laval, " est objet de processus de séparation dans le discours, d’inscriptions, d’enregistrements, de classements, de dressage disciplinaire, de surveillance… (il) est conduit d’agir comme s’il le désirait lui-même… comme ce que le discours social attend qu’il fasse ".

De ce point de vue, ce n’est pas tant les réticences d’une population dûment conditionnée qui sont à craindre, que l’enthousiasme des médecins à adhérer à cette mise en registres : ne sommes-nous pas déjà plusieurs milliers à avoir cédé aux pressions "affectueuses" des délégués de la CNAM pour signer le CAPI ?

Nous, médecins, devons analyser notre propre responsabilité dans ce processus. Je relis mon collègue Bertrand Riff, dans le N° 28 de la revue, [2] il termine son article intitulé "Pouvoir, quand tu nous tiens" par cette citation de Deleuze, dont il convient de méditer la formule finale.

"Foucault est souvent pensé comme le penseur des sociétés de discipline et de leur technique principale, l’enfermement. Mais en fait, il est l’un des premiers à dire que les sociétés disciplinaires, c’est ce que nous sommes en train de quitter, ce que nous ne sommes déjà plus. Nous entrons dans des sociétés de contrôle, qui fonctionnent non plus par enfermement, mais par contrôle continu et communication instantanée.

Bien sûr, on ne cesse de parler de prison, d ’école et d’hôpital : ces institutions sont en crise. Mais si elles sont en crise, c ’est précisément dans des combats d’arrière-garde. Ce qui se met en place, à tâtons, ce sont des nouveaux types de sanction, d’éducation, de soin. Les hôpitaux ouverts, les équipes soignantes à domicile, etc., sont déjà apparus depuis longtemps. On peut prévoir que l’éducation sera de moins en moins un milieu clos se distinguant du milieu professionnel comme un autre milieu clos, mais que tous les deux disparaîtront au profit d’une terrible formation permanente, d’un contrôle continu s ’exerçant sur l’ouvrier, le lycéen ou le cadre universitaire On essaye de nous faire croire à une réforme de l’école alors que c’est une liquidation.

Dans un régime de contrôle, on n’en a jamais fini avec rien. " [3]

mardi 14 juillet 2009, par Philippe Lorrain

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