L’’Hôpital debout’’ ! Les malades à genoux ?

On ne compte plus les fermetures d’hôpitaux, le changement de majorité n’a rien changé !

Chaque praticien sait combien il est difficile d’obtenir une place programmée dans un service hospitalier public. De plus, de manière sournoise, la difficulté est proportionnelle à différents facteurs concernant le malade : l’âge, la pathologie. Plus celle-ci est chronique, plus l’hospitalisation est difficile. Surtout, la vulnérabilité du malade constitue un facteur prohibitif à l’admission.

Il est facile de comprendre que le niveau de productivité des actes effectués pendant les soins, ainsi que la valeur qui leur est impartie, sont déterminants pour l’attribution des places. Le cas le plus difficile est celui de la personne âgée, socialement isolée et en situation précaire. Ce constat ne veut pas dire qu’il y ait à l’entrée de chaque service un cerbère analyseur économique qui attribuerait les places. Le personnel des services est, dans la plupart des cas, toujours à la recherche de « la » place pour tenter de répondre à la demande du médecin traitant (c’est variable selon les CHU). Mais il faut raison garder : quand les pouvoirs publics font disparaître les lits d’hôpitaux, le moment arrive toujours où la demande est plus forte que l’offre et là, même en utilisant les couloirs, soigner à l’hôpital devient un exploit. C’est donc probablement pour sortir de ce scandale que l’Assistance publique des hôpitaux de Paris vient d’inventer « l’Hôpital debout » : elle a transformé le plus vieil hôpital de la capitale, l’Hôtel-Dieu, en un lieu où il n’y aura que de la consultation et des actes techniques.

Puisqu’il n’y a plus de lits, il suffit de laisser le malade debout et le soigner dans cette posture. Puisque l’hôpital a décidé de vivre selon le principe de productivité, pourquoi donc perdre le temps de coucher le malade. L’essentiel de ce qui est produit étant des actes techniques, à quoi bon prévoir un hébergement. « L’Hôpital debout » devient un centre technique de réparation et d’entretien de la machine humaine, comme s’il s’agissait de n’importe quel modèle automobile. On rentre le matin pour suivre son programme, révision ou réparation, et l’on sort le soir. Cela peut paraître comme la démonstration de l’efficacité du progrès technique : les caméras des fibroscopes ce promènent dans tout le corps, les scanners et autre IRM observent tout ; à tel point que l’on ne sait plus à quoi correspond ce que l’on observe. Les robots opèrent, l’informatique compile les données, la médecine est devenue un écran plat.

La pratique de cette médecine-là, ne guérit pas, elle répare. En ignorant la dimension humaine de la relation médecin-malade, on efface l’essentiel du rôle de la médecine qui est avant tout un accompagnement humain. Il n’est pas ringard de le dire, car si la médecine est capable de déboucher dans la journée une artère coronaire obstruée, nous savons que le meilleur de la médecine est de savoir empêcher que cette coronaire se rebouche. Qu’il n’y a pas de mérite à faire sortir la jeune mère dans les 48h post-accouchement quand on sait qu’une mère épuisée n’est pas disponible pour son bébé. Nous savons que le temps de l’hospitalisation est aussi le temps du dialogue, de l’échange des savoirs entre le médecin et le malade, c’est le temps d’une humanité qui soulage de la souffrance psychique, c’est le temps où la famille, les amis témoignent de leur amour. Certes, c’est un temps qui reste pénible, mais ô combien nécessaire à la guérison.

Le malade, tripatouillé debout, va peut-être apprendre la nature de son mal dans la journée à « l’Hôpital debout » mais il en sortira à genoux, et il n’est pas bon de vivre à genoux, que l’on soit malade ou en bonne santé.


vendredi 5 avril 2013, par Didier Ménard

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