L’Enterrement de Jules Vallès par Eloi Valat, Ed. Bleu autour, 2010


Troublante entreprise que celle de ce beau livre, à la fois intellectuellement informé et visuellement fort, dont son format et sa texture font aussi un véritable objet esthétique. Il retrace un événement, l’enterrement de Jules Vallès, en 1885. Mais cet enterrement d’un homme acquiert un double statut politique.
C’est l’enterrement symbolique d’une époque, d’un espoir intense, celui qu’avait suscité la Commune de Paris quatorze ans plus tôt, en 1871. Cet espoir de voir enfin vivre les idéaux proclamés de la Révolution française a été écrasé dans une répression qui a mis en place, sous l’impulsion d’Adolphe Thiers, la République bourgeoise dont les dirigeants actuels du système politique français sont les héritiers.
Mais c’est aussi la puissante image de la persistance de cet espoir, le resurgissement devenu muet de ce Cri du Peuple dont Jules Vallès avait fait le Journal de la Commune. Le livre est scandé alternativement par les images muettes de cette foule populaire, recueillie et comme tétanisée, et par les textes qui la font parler. Textes historiques, littéraires, journalistiques, des grands noms de cette période-clé de notre histoire collective.
Le récit de Jules Guesde, par exemple, mis en images comme un reportage avec arrêts sur image, montre la violence du nationalisme dans le moment où les socialistes allemands qui viennent rendre hommage à Vallès sont agressés par des étudiants et protégés par le service d’ordre de l’Internationale : « A nous l’Allemagne ouvrière, même contre vous ! »

Le livre s’ouvre sur la fausse exécution de Jules Vallès, et sa fuite pendant la commune, permettant un flash-back sur la réalité des massacres : des corps désarticulés, pantelants sur des charrettes ou comme suspendus dans l’espace de l’image. Le trait noir plus ou moins intensément appuyé, la fermeté des lignes brisées qui caractérise le style d’Eloi, s’allient aux aplats de couleurs à la fois violentes et crépusculaires, pour donner cette tonalité sourde et précise au livre, par laquelle les gros plans sur les personnages, les plans éloignés sur les foules, la proximité des corps, font résistance à l’oubli.
C’est ce moment initial qui nous montre le corps de Vallès dans sa fausse mort, au moment des massacres de la Commune. Mais il disparaît de l’image dans le déroulé des funérailles réelles, où il est véritablement remplacé par ce corps social que manifeste la présence du peuple, resurgi de l’oubli politique où la répression l’avait plongé pour venir lui rendre hommage. Comme l’écrit Silvia Disegni qui préface l’ouvrage : Inutile d’y chercher le corps de Vallès. Contrairement à ce qui se produit dans les textes choisis, il est toujours situé hors-champ, quelque part hors du dessin, auquel il donne néanmoins tout son sens. Comment Eloi Valat pouvait-il mieux représenter le vide laissé par son absence ?

Le travail d’Eloi Valat sur Jules Vallès (l’assonance entre les deux noms saute à l’oreille) ne date pas d’hier : c’est une recherche de long terme dans laquelle il s’est engagé, ayant déjà publié aux mêmes éditions en 2007 un Journal de la Commune, indissociable de ce nouveau travail.
Depuis plusieurs années, Eloi est aussi celui qui met en œuvre la revue Pratiques, et lui donne cette force visuelle dans laquelle nous nous reconnaissons : la maquette, les dessins, et souvent les couvertures, sont de lui. Et son exigence artistique de peintre et de dessinateur, son talent de graphiste, mais aussi son attention critique au contenu de la revue, participent de la vitalité de notre projet commun et lui communiquent son souffle.
Cette persistance là nous montre aussi, s’il en était besoin, que l’Enterrement de Jules Vallès, s’il évoque bien le moment historique d’un enterrement, en est au contraire l’exacte antithèse.

Christiane Vollaire

samedi 9 avril 2011

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