Pratiques Bonjour, Vous êtes tous trois pédiatres, exerçant à Caen. Vous publiez, dans le N° à venir de Pratiques, une "tribune" évoquant votre position commune quant au climat, spécifiquement français, entourant l’affaire de la grippe A. C’est la raison pour laquelle P a choisi de vous interroger, en cette période d’une pandémie qui toucherait plus particulièrement les jeunes enfants. D’où, en introduction à cet ITW, cette question : est-il vrai que la grippe A soit plus dangereuse, plus contagieuse, pour les jeunes que pour les adultes ? Et si oui, y a-t-il des seuils d’âge précis partageant la population selon cette dangerosité ?
JPL : Oui, c’est exact. Les générations nées, en gros après 1950, ont été en contact sûrement à plusieurs reprises avec des virus de type H1N1 et sont donc partiellement immunisées. Les populations préférentiellement touchées par le H1N1 variant « mexicain » sont donc celles qui n’ont jamais rencontré ce sérotype, donc les enfants, les adolescents et des adultes jeunes. Le réseau « Sentinelles » donne ainsi le chiffre de 13 ans comme âge médian dans son dernier bulletin hebdomadaire (7 au 13 .12.2009) [1] D’où l’inquiétude pour les jeunes enfants, mais également pour les jeunes actifs, avec les répercussions économiques redoutées.
Pratiques Question suivante : en quoi cette grippe est-elle plus dangereuse que la grippe dite saisonnière - ou même, la grippe aviaire qui n’avait pas donné précédemment lieu à un tel battage - au risque de distraire praticiens et hospitaliers de leurs responsabilités quotidiennes, à savoir, maintenir en bonne santé la population, face à l’ensemble des maladies dont elle est normalement l’objet ?
DLH : Pas du tout, les tableaux cliniques que nous observons et ceux qui sont rapportés par les médecins « Sentinelles » ne présentent pas de signes particuliers de gravité et n’ont nécessité une hospitalisation des cas rapportés que pour environ 1% des consultations. Le taux des décès rapportés par l’INVS [2] est de 150 pour un nombre de consultations pour grippe estimé à 5.300.000 par le réseau « GROG » de médecins généralistes [3] . Ce taux de mortalité se chiffre donc actuellement à 0,28/10.000 alors que ce même chiffre est estimé à 1/10.000 lors des grippes dites saisonnières. Lorsque l’on regarde le détail des personnes décédées, on s’aperçoit de plus qu’il existait un facteur de risque de grippe sévère chez 83% d’entre elles (125/150). La confusion a régné au début du fait de l’origine porcine du virus, dont on a assimilé la dangerosité à celle du virus de la grippe aviaire (A/H5N1), ce qui n’a rien à voir. Ce dernier s’est avéré être un virus peu contagieux mais très dangereux (taux de mortalité pouvant atteindre les 60 %). C’est exactement le contraire, dans le cas du virus A/HINI : il est très contagieux, du fait de la faible immunité acquise des populations, mais globalement aussi bénin que celui de la grippe saisonnière.
de gauche à droite : dr Alain Quesney, dr Dominique Le Houézec, dr Jean-Pierre Lellouche
Pratiques . Venons en aux questions concrètes posées par bien de nos lecteurs à leur médecin, comme à la revue Pratiques elle même. D’abord, comment expliquez-vous que nombre de vos confrères, au lieu de formuler une recommandation sans ambiguïté, renvoient leurs patients à leurs propres interrogations avec des réponses du type : "Je ne sais pas, je ne peux pas décider pour vous" ce qui, reconnaissez-le est très déstabilisateur et ouvre un boulevard à toutes les campagnes de terrorisme médiatique ?
AQ : Votre question-réponse n’est pas recevable en la forme ! Je ne connais pas de pédiatre ou de généraliste qui adresse ce message neutre et lapidaire à ses patients, alors qu’il est justement le mieux placé pour donner une réponse nuancée, adaptée au cas par cas. Et je trouverais cette réponse-type particulièrement déplacée .Le praticien ne répond pas à un QCM de virologie mais aux parents d’un jeune enfant Il ne répond pas de la même manière à un patient angoissé et à un autre qui souhaite s’informer avant de prendre sa décision en connaissance de cause. Notre mission est de prévenir, nous recommandons la vaccination quand elle est adaptée, autant à l’état physique qu’aux inquiétudes de nos patients, mais nous n’avons pas à infantiliser les autres en les privant et d’information et de leur libre choix.
Pratiques Question technique, à présent : on entend dire que vacciner massivement pourrait nuire à la mise en place de mécanismes d’immunité naturelle. Est-ce exact, et si oui, l’argument ne pourrait-il pas être étendu à toutes les vaccinations et pas seulement à celle relative à la grippe A ?
JPL Cette question doit être posé à un immunologiste et à un virologue compétents et indépendants. Cela doit exister !! Malheureusement, nous n’ avons pas d’ échanges avec eux, parce qu’il n’ y a pas de publications de colloques de rencontres formelles et informelles où ces questions puissent être posées et débattues. Et parce que la question des vaccinations est encore plus "idéologisée" que d’autres.
Cela étant, nous avons tous la notion (ancienne mais toujours valable ??) que l’immunité naturelle (post virale ou bactérienne) donnerait une mémoire plus performante que la vaccination : cela est valable par exemple pour la varicelle : des sujets jeunes vaccinés peuvent attraper un zona à l’âge adulte en cas de nouveau contact avec le virus de la varicelle et ce, beaucoup plus souvent, semble-t-il, que ceux qui ont fait une varicelle maladie dans leur enfance. Dans d’autres cas, c’est le contraire : l’immunité post vaccinale peut se renforcer par la réexposition avec le virus : il n’est pas habituel qu’un vacciné hépatite B n’ayant plus d’anticorps au dessus du seuil dit protecteur et rencontrant par la suite le virus (ex. par voie sexuelle) fasse une maladie clinique ou même biologique. Par contre, sa mémoire immunologique fait alors remonter deux fois sur trois le taux des anticorps protecteurs. Pour la grippe, le problème est rendu plus compliqué par le fait (connu de longue date) que le virus mute et "glisse" tous les ans rendant presque obligatoire une vaccination annuelle, dont je ne sais si elle interfère positivement ou négativement avec l’immunité acquise naturelle. Celle ci est pourtant une réalité clinique car on connaît tous des non vaccinés qui ne font et ne feront jamais la grippe, ou alors une forme infra clinique.Par contre, il est clair que l’année prochaine, le virus H1N1 variant mexicain sera obligatoirement intégré dans la mouture 2010 du vaccin antigrippal saisonnier. Ce fut d’ailleurs le choix des autorités sanitaires américaines dès cet été 2009.
Pratiques On entend dire également que, spécifiquement dans le cas de cette grippe A, les vaccins auraient été préparés dans une précipitation n’excluant pas des risques plus élevés que d’habitude ? Le problème se complique encore, pour la population, quand tout le monde se met, en plus, à discuter des faits et méfaits d’adjuvants et autres conservateurs ?
DLH : On ne saurait nier qu’il y ait un problème. Sinon, pourquoi les contrats passés avec le ministère de la santé auraient-ils comporté des clauses exonérant de leurs responsabilités les labos en cas d’accident ?
Il faut, normalement, de nombreux mois pour préparer, puis tester un vaccin. Il est probable qu’en l’occurrence, ces délais n’aient pu être respectés, vu l’urgence alléguée. Aucune étude n’a pu être réalisée sur certains types de population : les jeunes enfants, les femmes enceintes, les immunodéprimés…Peut-être eût-il été possible de s’entourer de plus de précaution si l’on n’avait pas exigé de ces labos la livraison de quantités astronomiques de vaccins, au lieu de cantonner cette campagne aux populations à risques. Mais nous ne pouvons l’affirmer. Pas plus que les données en notre possession aujourd’hui ne permettent une évaluation de la dangerosité éventuelle de ces vaccins à long terme : trop d’intérêts financiers sont en jeu, mais également politiques qui, tous, s’opposent à l’examen serein de la question.
On ne peut par ailleurs que se montrer inquiet du sérieux concernant le suivi de la pharmacovigilance de ces vaccins lorsque l’on lit sur le site de l’AFSSAPS [4] sans plus d’explications « Un cas de décès a été signalé chez un homme de 58 ans, dans la nuit suivant la vaccination. Il a été conclu à une mort naturelle", comme s’il était naturel de mourir dans son lit à 58 ans ?
Pratiques . On dit également, en dehors des questions d’âge, évoquées plus tôt dans cet ITW, que certaines fractions de population seraient à risques, donc à vacciner en priorité. Est-ce exact et quelles sont ces fractions ? Question subsidiaire non anodine : certains de vos confrères, spécialiste de santé publique, ont été jusqu’à affirmer qu’en l’état actuel des vaccins, il y aurait plus de risques à vacciner un asthmatique qu’à ne pas le faire !
AQ : Notre collègue, Dominique Dupagne, a donné sur son blog, que je vous recommande soit dit en passant [5] , une liste tout à fait utilisable. Lorsque l’on consulte les facteurs de risque observés chez les personnes hospitalisées pour une forme grave de grippe (pathologie respiratoire chronique dont l’asthme, obésité morbide, diabète, insuffisance cardiaque, déficit immunitaire, grossesse…) 2 , on a là les principales indications des sujets à vacciner en priorité.
Concernant les asthmatiques, Il semble raisonnable de vacciner un sujet ayant un asthme grave ou instable car de nombreuses exacerbations d’asthme sont liées à une infection virale. Inversement un enfant qui s’est vu prescrire une fois quelques bouffées de Salbutamol spray est alors catalogué et pisté par l’ordinateur de la CPAM comme "asthmatique". Il reçoit automatiquement sa feuille de vaccination alors qu’il ne l’est pas forcément et que son médecin traitant est bien mieux placé pour le savoir !
Pratiques Soyons clairs : pouvez-vous répondre, maintenant que nous touchons à la fin de cet ITW, sans ambiguïté, par oui ou non, aux questions suivantes :
? Était-il justifié de vouloir vacciner massivement, indépendamment des personnes dites "à risques", l’ensemble de la population, avec des priorités établies en fonction des classes d’âges ?
? Si oui, était-il justifié, pour des questions de coût ou d’engorgement à prévoir des cabinets, d’organiser cette campagne en excluant les praticiens, qu’ils soient spécialistes comme vous, ou généralistes ?
? L’urgence justifiait-elle, enfin, de dispenser les fabricants de vaccins de leurs responsabilités éventuelles en cas d’apparitions d’effets secondaires graves des dits vaccins ?
JPL : Non, non et non, aux trois questions !!!
Pour votre première question : il n’est jamais interdit de commettre une erreur d’appréciation : au moment où ont été commandées les 94 millions de doses de vaccins, on pouvait, à la rigueur, avoir mal évalué la dangerosité de cette grippe. Mais être incapable de rectifier le tir, une fois constatée ladite erreur, voici qui pose problème quant aux capacités de nos gouvernants d’affronter des situations imprévues. Au lieu de cela, on s’est lancé tête baissée dans une campagne massive de vaccination qui tourne plutôt… à la campagne d’auto-justification, au risque de brouiller pour longtemps l’image de la vaccination auprès du public et d’être cause d’une rétrogradation dans les esprits qui pourrait s’avérer un jour catastrophique dans le cas d’une épidémie plus dangereuse que celle qui nous occupe. Notre confrère, Philippe Foucras, a rappelé, sur votre site même [6] , le danger qu’il y a à crier inconsidérément au loup.
Pour votre deuxième question, évidemment non : seuls les praticiens, généralistes ou spécialistes, étaient à même de faire le tri, vacciner ceux qui en avaient besoin informer les autres. Et ce n’est pas une question de "pognon", comme cela a été entendu : au total, qui a mesuré les coûts directs et indirects de l’hyper mobilisation mise en place actuellement et comparé à ceux qu’ils auraient été dans le cas d’un campagne raisonnée, donc limitée au nécessaire ?
Concernant la troisième, vous touchez là à l’épineux sujet des labos. Le problème est bien plus vaste que la partie qui émerge à l’occasion de ce scandale. Comment admettre, en France, en l’an 2009, que les labos influencent la formation des médecins, orientent leur communication, à coups de contrats dits de recherches, de prébendes diverses et variées, au premier rang desquelles colloques et autres congrès sponsorisés, profitant de la faiblesse de ceux qui devraient contrôler, organiser ? Qui obtiennent que les contrats passés avec les pouvoirs publics soient couverts par le "secret défense" ?
.Je pense que les labos profitent d’une idéologie provaccinale simpliste à laquelle ils contribuent, idéologie qui marque son empreinte sur chacun de nous dès nos premières années que nous soyions "destinés " à être enseignants commerçants, hommes politiques, médecins.
Cette idéologie de la simplicité(chaque maladie sera éradiquée grâce à un vaccin adapté, et le progrès créera de plus en plus de vaccins trés adaptés) triomphe car il n’y a pas de prise en compte de la complexité.Dans les prisons dans les crèches diffusent des maladies infectieuses.La réponse vaccinale est la même vacciner. Cette réponse simple ne remet en cause aucun élément du fonctionnement de la prison ou de la crèche. La réponse plus globale chercherait à repérer s’il existe d’autres modes de prévention qui ne sont pas forcément exclusifs de la vaccination mais qui pourraient lui être associés (problèmes de locaux,d’organisation, de promiscuité, aération, circulation de drogues, homosexualité etc )
Ainsi, les labos profitent du fait qu’ils sont détenteurs d’un moyen technique simple qui occupe d’autant plus de place que toute autre action qui exigerait réflexion programmation organisation et évaluation est inconcevable. Les pouvoirs politiques étant peu compétents, peu courageux et travailleurs et ne semblant pas animés par le désir de devenir compétents et sérieux.
L’article 26 de la loi Kouchner oblige les membres de professions médicales à révéler leurs liens avec les labos lorsqu’ils s’expriment sur des produits de santé. Il aura fallu patienter cinq ans pour que les décrets d’application de ce texte soient publiés, en 2007. Pourquoi le ministère de la Santé a-t-il attendu le 2 novembre pour mettre en ligne les déclarations d’intérêts des experts du Comité de lutte contre la grippe ?
Si vous l’ignorez, sachez encore que le Groupe d’Etude et d’Information sur la Grippe (GEIG), une association loi 1901 qui regroupe cinq fabricants et distributeurs de vaccins sur le marché français (Sanofi Pasteur MSD, Chiron Vaccines France, GlaxoSmithKline, Pierre Fabre Médicament et Solvay Pharma) lance cette semaine en pharmacie une campagne d’affichage pour inciter les personnes qui ne l’ont pas encore fait à se faire vacciner. Omniprésence des lobbies
Pratiques . Et pour conclure, la question piège : que répondez-vous aux mamans qui nous disent : "J’ai pris la décision de ne pas vacciner mes jeunes enfants, mais je culpabilise, j’ai peur d’avoir fait le mauvais choix, un médecin m’a dit avoir vu à l’hôpital des enfants très touchés ?" Allez-vous les renvoyer à leurs interrogations, comme elles s’en plaignaient au début de cet ITW ?
AQ : De fait, ces quatre dernières semaines, cette question nous a été posée très, très souvent - en des termes identiques ou très proches - par les parents en consultation et encore plus par téléphone. La secrétaire n’ayant pas à délivrer d’informations médicales, a mission de nous passer à chaque fois les appelants.
Rarement, il y a d’authentiques facteurs de risque et le conseil est a priori simple... Souvent , l’émotion est palpable dans le ton de la voix : "je suis perdu(e), je ne me pardonnerais jamais s’il arrivait quelque chose soit qu’il attrape la grippe alors que je pouvais décider de le faire vacciner ( le courrier est vécu comme une convocation surmoïque) soit que l’on découvre dans quelques mois que le vaccin était dangereux". Difficile en quelques minutes de faire sortir le parent de cette double contrainte ( un effort pour rendre l’autre fou ?).
Comme il est illusoire de nager contre un courant marin puissant et mortifère !!- Je leur dis donc que même si la grippe est pour l’instant peu grave, le vaccin est sans dangers et qu’en outre, ils ne doivent pas rester durablement très inquiets pour leur enfant qui ne pourrait pas comprendre une telle inquiétude. En conséquence, ils peuvent faire vacciner leur enfant. Dans des cas où je sais les parents moins fragiles, je leur explique que je considère qu’il n’y a pas de "perte de chances" (j’explicite la notion en donnant un exemple concret : celui d’une pyélonéphrite qui n’est pas traité en temps par les antibiotiques ce qui occasionne pour les reins de l’enfant une perte de chance de guérir sans séquelles) Je leur précise enfin que je soutiens leur décision qu’il choisissent de vacciner ou de s’abstenir. Je m’interroge bien sûr sur l’intérêt, la valeur (en termes de responsabilité du médecin) de tels échanges téléphoniques mais je sais surtout qu’ils nous prennent beaucoup de temps