Grippe A : Quand on aime on ne compte pas !

Palinodie de la grippe A : après avoir servi le couvert à des dirigeants en mal de publicité lorsqu’il s’était agi d’affoler la population, les media, la main sur le cœur, s’emploient aujourd’hui à faire le procès de la gabegie déployée autour de la même grippe. L’erreur est humaine, nous sommes bien placés pour le comprendre, nous qui vivons, par obligation professionnelle, dans sa hantise permanente. Mais cet entêtement, cette suffisance, cette course à la servilité face aux injonctions des roitelets de l’heure ? [1]

A la réflexion, quoi de surprenant à voir cette bulle crever tant on a confondu allègrement gouverner avec communiquer ? A propos, combien d’entre vous saviez que Roselyne Bachelot avait été élue "Grand Prix du Communicant Public" pour l’année 2009 par le magazine Acteurs publics ? [2] Il fallait en effet à la Ministre, pour le cru 2009, échapper à tout prix au sort de son malheureux prédécesseur, au moment de la canicule de 2003. Objectif atteint, s’il faut en croire la décoration reçue . Cela, pour le côté face. A présent, côté pile.

En cette année où le déficit de la Sécurité sociale atteint son record absolu, où du coup, le Ministre du Budget ose nous faire la leçon : "Il faut maintenant affronter la réalité, sortir de la caricature et de la critique facile." [3] : , voilà que l’on ouvre les vannes : 2.2 milliards d’€ pour la vaccination et les anti-viraux réunis, selon la Commission des finances du Sénat [4] . La France détiendrait, selon le député UMP Bernard Debré, 10 % des stocks mondiaux de vaccins et un tiers du Tamiflu. [5] On croit rêver.

Du coup, affolés à la perspective de rendre des comptes - la fameuse "culture du résultat" ? - les responsables du désastre s’activent : la France, grande âme, distribue des miettes de son stock aux pays nécessiteux et pour le reste, écume la planète pour brader ce qui reste des fameuses 94 millions de doses commandées si imprudemment à grands frais. Les labos, la main sur le cœur, se disent prêts à "discuter" de l’annulation d’une partie des commandes. Serait-ce inconvenant que de s’enquérir du "prix" à payer pour ce sauvetage ?

Les économistes de la santé sont intervenus. Les modèles économétriques fleurissent. Leur verdict commun : vacciner partiellement la population suffisait largement à enrayer la propagation à l’ensemble. Nous avons, plus modestement, par un calcul de coin de table accessible à n’importe quel arithméticien de bonne volonté, évalué le coût global de l’opération Sarkozy-Bachelot-Hortefeux- Morin (les patrons de l’entreprise, selon les responsabilités qui leur sont officiellement attribuées par la phase 5a du plan national de prévention et de lutte "pandémie grippale" actuellement en vigueur) en y incluant le coût des pertes en vies humaines et celui des semaines de travail perdues. Puis comparé ce scénario à quelques autres, notamment à un scénario de vaccination limitée aux personnes à risques et tenant compte simultanément des modalités de vaccination partielle et des taux de morbidité et mortalité connus depuis longtemps dans l’hémisphère austral qui nous précédait de près de six mois dans la pandémie. Ces éléments étaient connus de nos dirigeants (ou de leurs experts "indépendants") - contrairement à leurs allégations -, au moment où ils ont pris la décision aberrante du lancement de cette vaccination massive. [6] Le résultat est sans appel : entre 1.5 à deux milliards d’écart à l’avantage du scénario témoin…

Conclusion : sous couvert d’un principe de précaution dévoyé par des conflits d’intérêts, sous couvert de l’autorité de l’OMS, elle-même soumise à des pressions analogues, les responsables cités ci-dessus ont donc volontairement négligé les informations fiables déjà connues, pour privilégier les hypothèses les plus alarmistes concernant une grippe-épouvantail, dont on savait pourtant parfaitement, dès le début, qu’elle était bénigne, même si elle était simultanément très contagieuse. Et quand bien même ces responsables auraient été abusés, aucun d’entre eux n’a eu le courage de reconnaître son erreur, rectifier le tir et se comporter en gestionnaire avisé des deniers publics : à propos, qu’en dit notre ministre du budget, donneur de leçons, devenu soudain bien peu disert ?

Faut-il croire qu’une campagne électorale à 500 millions d’€ par tête de ministre ou président concernés, c’est-à-dire près de trois fois le déficit global de l’ensemble des hôpitaux publics pour une seule année, n’est pas trop cher payée pour un gouvernement dont le seul but est de se faire réélire en récompense d’avoir si bien pris en charge la santé de ses concitoyens ?

dimanche 10 janvier 2010, par Lucien Farhi


[1Témoin, la fameuse circulaire du 10 décembre de la Direction générale de la santé enjoignant aux professionnels l’utilisation systématique des anti-viraux, en dépit des réserves quasiment unanimes du corps médical…http://blog.france2.fr/mon-blog-medical/index.php/2009/12/11/156709-grippe-ah1n1-nouvelle-recommandation-concernant-les-antiviraux

[2Selon les propres termes des créateurs : "L’objectif est de récompenser des actions de longue haleine qui s’inscrivent davantage dans le service à l’utilisateur final que dans le "coup" médiatique, et qui font de la communication une pièce d’origine de l’action publique". Comment mieux le dire ?!http://www.secteurpublic.fr/public/article/grand-prix-du-communicant-public-roselyne-bachelot-narquin-succede-a-martin-hirsch.html?id=26259&C5=336

[6Le taux actuel de mortalité constaté en France est de 0.004% (200 pour 5 millions de personnes infectées, décès qui concernaient dans leur immense majorité des personnes à risques autres que ceux de cette grippe). Par comparaison, le même taux en Nouvelle Zélande a été de 0.006 % et très vite connu. On est loin des taux approchant les 1 % évoqués…

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