’Contre la résignation, changer nos pratiques !’

Le Dr Marie Kayser répond aux questions de Pratiques, à la veille du congrès du SMG

Pratiques Dr Kayser, vous êtes secrétaire du SMG. Vous en avez été la présidente. La revue Pratiques souhaite, à la veille de votre congrès de Toulouse, les 4 et 5 décembre prochains, vous interroger. Mais si vous le permettez, une petite touche personnelle, d’abord : qui êtes-vous, où exercez-vous, dans quel cadre se déroule votre activité professionnelle

Je vis à Saint Jean de Boiseau dans une commune de 5000 habitants située au bord de la Loire à 20 km à l’ouest de Nantes. Je me suis installée seule (par défaut) fin 1983 et petit à petit le cabinet a grandi ; nous sommes maintenant 4 médecins généralistes associés. Ce fonctionnement en cabinet de groupe est très soutenant pour moi. Nous avons des temps communs informels et une réunion /repas d’échanges de deux heures le mercredi midi très importante pour le fonctionnement et la cohésion du cabinet

Pratiques Venons-en au menu de notre rencontre. D’abord, pour ceux de nos lecteurs qui l’ignoreraient, qu’est-ce que le SMG, exactement ? Un syndicat à vocation corporatiste (sans contenu péjoratif attribué à ce mot) ? Ou davantage un centre d’analyse critique des rapports santé/société ? Ou encore un lieu d’échanges sur les expérimentations en cours visant à changer le contenu concret d’exercice de votre métier ?

Le SMG a une place particulière dans le paysage médical ; né en 1975, il a été le premier syndicat de médecin généraliste, mais en 1983 n’a pas obtenu la représentativité qu’il souhaitait. Je pense que ce qui est très important au SMG et ce qui pour moi y motive mon engagement ce sont les valeurs qui ont présidé à sa création et qui restent totalement d’actualité :

-   Accès aux soins pour tous par la défense d’une protection sociale solidaire
-   Passage du soin à la santé par l’analyse des déterminants collectifs et individuels de santé
-   Interrogation de nos pratiques professionnelles au regard des inégalités de santé
-   Indépendance de l’information médicale et de la formation initiale et continue
-   Ouverture de cette réflexion à tous les soignants et aux usagers de la médecine

Le SMG est un lieu d’analyse et de débat de nos pratiques quotidiennes et de l’organisation du système de soins et de santé au regard de ces valeurs mais il ne s’en tient pas là : sa participation active à la Revue Pratiques les « cahiers de la médecine utopique », lui permet de partager ses points de vue avec d’autres acteurs venus des sciences sociales, d’autres soignants et de les faire connaître grâce à la diffusion de Pratiques.

La réflexion que nous avons au SMG sur l’exercice de nos métiers nous a amenés à être des acteurs d’innovations : participation à la création des réseaux de santé (réseau toxicomanie, réseau santé précarité…) et aujourd’hui à celle des maisons de santé ; nous avons accompagné ces transformations en y défendant notre vision de l’exercice du soin et de la santé.
Nous revendiquons la sortie volontaire du paiement à l’acte avec diversification des modes de revenus. Nous sommes nombreux à être investis dans la formation médicale initiale et continue et nous participons à la lutte pour une information et une formation médicales indépendantes.
Avec d’autres, soignants et non soignants, au sein d’associations ou de collectifs, nous défendons la protection sociale solidaire, l’accès aux soins pour tous, notamment par l’application de tarifs opposables, ainsi que l’hôpital public.
Nous participons aux luttes pour de meilleures conditions de vie, de travail, d’environnement, car nous savons que c’est déterminant pour l’état de santé des gens et pour réduire les inégalités sociales de santé.

Pratiques Vous comptez parmi vos adhérents des soignants non médecins, des médecins non généralistes, et même… des patients ! Ce n’est pas banal pour un syndicat professionnel. Comment est-ce possible et comment se passe la coexistence entre toutes ces composantes au sein du SMG ? Quels sont les moyens spécifiques d’organisation et d’expression mis à disposition de ces adhérents particuliers ?

Ces adhérents sont des compagnons de route et ils nous apportent leur angle de vue et leurs compétences. Cette complémentarité est particulièrement importante dans les débats et du fait de leur participation active au comité de rédaction de la Revue Pratiques.

Tous les adhérents peuvent faire partie de la Commission Exécutive qui est l’organe d’animation du syndicat. D’autre part, ils peuvent venir à la réunion mensuelle de cette commission qui est ouverte.

Il y a bien sûr deux moments privilégiés d’échange : le congrès annuel qui a lieu en décembre et la journée de printemps. Par ailleurs, notre lettre électronique de fréquence trimestrielle est notre moyen de communiquer tout au long de l’année avec l’ensemble des adhérents, elle rassemble les différentes analyses et prises de position du syndicat.

Enfin, il y a le site du SMG : nous allons, par exemple, y démarrer une rubrique d’échanges sur le thème des maisons de santé. Par ailleurs, il y a bien sûr les débats animés par la revue Pratiques sur son site et les nouvelles rubriques annoncées débat avec les infirmières et les étudiants en médecine.

Pratiques Venons-en au cœur de cet entretien, votre congrès, prévu à Toulouse les 4 et 5 décembre. Le programme figure sur votre site, nous y renvoyons le lecteur Mettons plutôt le doigt sur ce qui pourrait sembler contradictoire dans votre démarche : vous voulez être un syndicat et à ce titre, défendre tout de même les intérêts matériels de vos adhérents. Comment conciliez vous cette nécessité et votre critique des propositions des pouvoirs publics - le CAPI, par exemple - qui sembleraient pourtant aller dans le sens que vous avez toujours souhaité ?

Rappelons d’abord ce qu’est le CAPI ou Contrat d’Amélioration des Pratiques individuelles : le généraliste s’engage à atteindre certaines « cibles » en matière de dépistage et prévention, de suivi des pathologies chroniques, d’efficience de prescription : génériques, certaines classes médicamenteuses. Il percevra en contrepartie une rémunération à la performance versée par l’Assurance maladie.

Les préoccupations qui théoriquement sont censées présider à la mise en place des CAPI sont les nôtres depuis longtemps : améliorer la prise en charge des patients atteints de pathologies chroniques, promouvoir les prescriptions moins onéreuses, davantage d’implication dans la prévention, sont les nôtres depuis longtemps. Par ailleurs, le paiement à l’acte exclusif est manifestement inadapté à une bonne prise en charge des maladies, en particulier chroniques et le SMG se bat effectivement depuis sa création pour que les généralistes qui le souhaitent puissent sortir du système de paiement à l’acte exclusif et avoir d’autres modes de rémunération : forfaits complémentaires, salariat, capitation.

Mais nous pensons que le CAPI est une très mauvaise façon de répondre à ces questions : il s’agit d’une contractualisation individuelle des médecins avec l’Assurance maladie qui fait fi de la réflexion et de l’organisation collective de la profession et du travail en coopération et ceci au moment où justement on se rend compte de l’importance de l’exercice en groupe et de la pluri disciplinarité.

Ensuite, il est inacceptable de construire cette démarche exclusivement sur des normes biomédicales, dont certaines de plus sont critiquables et ne sont de toutes façons pas à elles seules un gage de bonnes pratiques : vous pouvez prescrire régulièrement la surveillance biologique du diabète à vos patients et ne pas vous soucier de parler avec eux de leur façon de prendre en charge leur maladie.

Il est inacceptable aussi de prendre le risque que certains professionnels refusent l’accès aux soins à certains patients pour améliorer leurs résultats en terme de prescriptions. Et surtout de prendre le risque de se voir imposer d’autres items entraînant une restriction d’accès aux soins.

Sortir du paiement à l’acte doit être associé à la prise en charge globale de la santé dans ses composantes sociales, préventives et curatives. Cela doit s’appuyer sur la confrontation et l’échange des pratiques, sur une définition des priorités, en termes de santé, associant les citoyens. Valoriser la prise en charge collective de la prévention, du choix des traitements reconnus et validés, doit s’accompagner d’un complément de rémunération forfaitaire permettant ces pratiques.

Pratiques Vous vous défendez de vous situer sur le seul registre de la critique, vous défendez par exemple des initiatives telles que les réseaux, les maisons de santé. Mais, concrètement, quel est, quel pourrait être votre apport concret sur ce genre de sujets ? Où prendre connaissance de vos analyses des expérimentations en cours, leurs échecs, leurs réussites, le mode opératoire pour s’y lancer, éventuellement ?

Un certain nombre d’entre nous sont actuellement engagés dans des projets de maison de santé de proximité à partir des valeurs que nous défendons : structures de soins primaires et polyvalentes, inscrivant leur travail dans la proximité de vie des habitants et associant dans un travail coopératif l’ensemble des professionnels des actions sociales et de santé ( soins , prévention , éducation, santé publique, aide sociale) lieu d’accès aux soins ( tiers payant et absence de dépassements d’honoraires), lieux d’applications de nouvelles pratiques professionnelles ( délégation de tâches, participation des usagers, collaboration avec les associations d’habitants ) , lieux de formation universitaire et de recherche prenant en compte les pathologies environnementales.

Voilà tout ce qui fait leur spécificité et ce nous avons envie d’y défendre.

C’est sur le site du SMG qu’on peut prendre connaissance de nos analyses et de nos différents projets et comme je vous l’ai dit, nous allons ouvrir une rubrique particulière d’échanges sur le thème des maisons de santé

Pratiques Dernière question : quelle est exactement votre place à l’intérieur du mouvement social ? Pourquoi adhérer au SMG plutôt qu’à tel ou tel autre syndicat représentatif ? Peut-on à la fois adhérer au SMG et un autre de ces syndicats ? Qu’aimeriez-vous dire aujourd’hui à un jeune généraliste, une jeune infirmière pour les inviter à faire, pour commencer, un petit tour à votre congrès et… plus, si affinités !???

Nous participons au mouvement social pour défendre l’Assurance maladie solidaire, l’accès aux soins pour tous, l’hôpital public mais aussi pour apporter une réflexion, à partir de notre place de soignant, sur la manière dont ce système pourrait mieux fonctionner Nous participons aux luttes pour de meilleures conditions de vie, de travail, d’environnement car nous savons qu’elles sont déterminantes pour l’état de santé des gens et pour réduire les inégalités sociales de santé.

Pourquoi adhérer au SMG ? Je crois que si quelqu’un défend les mêmes valeurs que nous sur le soin et la santé, il faut qu’il nous rejoigne au SMG : il y apportera sa propre expertise, il y trouvera un lieu de réflexion et d’analyse. S’il est soignant, il y trouvera la possibilité de prendre du recul sur sa pratique et de l’énergie pour son exercice quotidien. Par ailleurs, adhérer, c’est renforcer le SMG et l’aider à promouvoir les valeurs portées ensemble et à faire évoluer le système de soin et de santé.

Aux soignants, généralistes ou infirmier(e) s, jeunes ou vieux, qui s’interrogeraient sur leur venue au congrès, je rappellerais que le thème choisi « contre la résignation, changer nos pratiques » s’adresse à notre vécu quotidien et qu’il est en même temps profondément ancré dans la question de l’organisation du système de soins et de santé. Je leur ferais part de la qualité des intervenants qui vont y participer et des thèmes de nos ateliers : « Comment nos pratiques peuvent-elles tenir comptes des inégalités de santé ? » « Comment exercer nos métiers au regard d’une protocolisation réductrice ? » « Indépendance professionnelle et rémunérations, quelle convention collective ? » (cf site SMG http://www.smg-pratiques.info/Congres-du-SMG-4-et-5-decembre.html )

Je leur dirais que nous avons besoin d’eux pour avancer…

mardi 24 novembre 2009

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