L’affaire du Médiator a fait découvrir à certains et rappelé à d’autres l’importance de ce que l’on appelle les conflits d’intérêt c’est à dire l’importance qu’il y a à faire en sorte que les écrits médicaux soient le moins possibles parasités par les intérêts des laboratoires pharmaceutiques.
Il est arrivé un événement majeur dans l’ histoire du grand journal américain, The New England journal of Medicine, lorsque, le 29 août 1996, ce journal a publié un éditorial qui minimisait les risques qui étaient décrits dans un article du Pr Abenhaim, publié dans ce même journal.
La rédaction du NEJM avait demandé à deux experts de donner leur avis sur l’article, sans savoir que tous deux étaient rémunérés par le laboratoire Servier .
Elle ne l’a appris que 3 jours avant de publier l’article et l’éditorial, trop tard pour annuler la parution.
Le NEJM du 29 août est donc paru avec l’article d’Abenhaïm, pages 609 à 616, disant que le risque d’hypertension artérielle primaire pour l’utilisateur de dérivés de la fenfluramine était plus de 30 fois supérieur au risque pour le non utilisateur de ce produit et invitant à la prudence, arguant du fait que l’ on ne connaît pas le risque lors d’ un usage plus prolongé que celui étudié dans cette publication.
Dans ce même numéro de cette même revue, Joann Manson et Gerald Faich écrivent un éditorial, pages 659 –660, qui ressemble beaucoup à une mise en pièces de l’ article d’Abenhaïm et comme un plaidoyer pour le médicament (fenfluramine), et ils terminent par cette phrase « Bien qu’il soit nécessaire d’ informer les médecins et les patients, le risque éventuel associé à la dexfenfluramine est faible et semble être dépassé par les bénéfices quand le médicament est utilisé de façon appropriée »
Les responsables de la revue sont furieux ou du moins j’ imagine qu’ils ont dû être furieux, pour plusieurs raisons.
Tout d’ abord, le NEJM est un grand journal de très bonne qualité crée en 1812. D’autre part, lorsque cette affaire a lieu en 1996, cela fait plus de 10 ans que le journal a pris conscience de l’ importance de le lutter contre les influences intéressées de l’ industrie pharmaceutique.
Dans un éditorial du 3 mai 1984 « Dealing with conflict of interest », Arnold S Relman fait un constat qui n’a pas pris une ride. Il dit que les intérêts en jeu sont tels qu’un article peut entraîner des conséquences financières considérables et très rapides dans un sens ou dans l’autre.
Le 3 octobre 1996, soit 5 semaine et 5 numéros après la parution de l’ éditorial de Joann Manson et Gerald Faich, le NEJM, dans un éditorial sobrement intitulé « Editorials and conflicts of interest », raconte toute l’ affaire. Marcia Angell et Jerome P Kassirer expliquent par le menu que Joann Manson et Gerald Faich ont trompé le journal ou, disent-ils, avec une feinte naïveté, que le journal s’est trompé.
Le NEJM donne la parole à Joann Manson et Gerald Faich, (les auteurs de l’éditorial d’août 1996) relativisant les inquiétudes et l’appel à la prudence de Lucien Abenhaïm et collaborateurs. Joann Manson et Gerald Faich produisent une défense qui serait risible
si l’ enjeu n’était pas aussi important.
J’ai tenu à évoquer assez longuement ces articles parce qu’ils me semblent bien poser la question des conflits d’intérêt .Mais j’ai tenu à en parler parce que la question des conflits d’intérêt est encore loin d’être résolue de façon satisfaisante
J’ai lu dans la revue du praticien un dossier consacré aux vaccinations J’ai été étonné de voir que plusieurs auteurs ne faisaient pas de déclarations, que d’autres affirmaient faire des interventions ponctuelles sans donner plus de détail et qu’aucun ne disait j’ai touché tant d’ argent (avec une somme précise) pour faire tel travail (lui aussi décrit de façon précise). J’ai alors écrit à la revue qui m’a répondu de façon tout à fait satisfaisante puis j’ai eu un entretien téléphonique avec le rédacteur en chef de la revue, que je remercie.
Je crois avoir compris que :
- Les auteurs d’articles ont mis très longtemps à accepter l’idée qu’il fallait déclarer les conflits d’intérêt.
- Ils ne l’ont fait que lentement, avec réticences et de façon incomplète.
- La revue est parfois obligée d’insister à de nombreuses reprises, d’écrire et téléphoner. Et malgré cela, certains ne déclarent pas.
- Les déclarations sont des déclarations sur l’honneur, que la Revue du Praticien ne peut pas contrôler, qui ne peuvent être contrôlées par personne et qui ne sont donc contrôlées par personne.
- Les responsables de la revue ne connaissent pas le montant des rémunérations et ne connaissent pas la nature précise des liens entre les auteurs et les laboratoires pharmaceutiques.
Les conflits d’intérêt sont probablement d’ abord une affaire de gros sous. A ce niveau, il faut que la lumière soit faite, c’est à dire que les auteurs aient l’obligation de dire combien ils ont touché et que les laboratoires aient l’obligation de dire combien ils ont payé et que cela soit comparé vérifié et surveillé .
Mais comme le disent Marcia Angell et Jerome P Kassirer, il ne faut pas méconnaître ce qu’ils appellent les « unconscious bias », les biais inconscients. Travailler avec un laboratoire, être en contact fréquent avec un laboratoire pharmaceutique, amène à voir les problèmes de santé du point de vue du laboratoire ou du moins à être influencé par le point de vue du laboratoire.
Les relations entre l’industrie pharmaceutique et les auteurs d’articles médicaux ont toujours existé. Mais, ces dernières années, elles sont devenues de plus en plus intenses, complexes et problématiques. C’est ce qu’écrivait en substance Relman en mai 1984 .
Cela fait donc plus de 26 ans qu’il nous appelait à nous occuper sérieusement de la question des conflits d’intérêt. Je renouvelle ici sa mise en garde et son appel .
Avec l’espoir qu’il soit entendu avant 2036 !