Acquittement du Docteur Bonnemaison

Le Docteur Bonnemaison a été acquitté le mercredi 25 juin par la cour d’assises des Pyrénées Atlantique.

Il était jugé pour des faits survenus entre mars 2010 et juillet 2011 à l’Unité d’Hospitalisation de Courte Durée (UHCD) du centre hospitalier de Bayonne, unité dont il avait la responsabilité.
L’accusation portait sur le fait « d’avoir volontairement attenté à la vie » de sept de ses patients « par l’emploi ou l’administration de substances de nature à entraîner la mort » avec la circonstance aggravante que ces faits avaient été commis sur des personnes particulièrement vulnérables en raison de leur état physique ou mental ».
Cette accusation le faisait relever de l’article 221-5 du code pénal qui punit le « crime d’empoisonnement » et qui peut être passible de 30 ans d’emprisonnement.
L’avocat général avait requis une peine de cinq ans d’emprisonnement avec sursis en argumentant que le Docteur Bonnemaison avait agi en médecin, mais avait enfreint la loi « en donnant la mort à des patients qui ne la demandaient pas ».

Le Docteur Bonnemaison a été innocenté par la cour d’assises pour l’ensemble des patients pour lesquels il était poursuivi.
La cour d’assises a expliqué dans les motivations de son verdict que "Nicolas Bonnemaison a agi dans un contexte bien spécifique de l’UHCD de l’hôpital de Bayonne où il avait en charge sept patients en fin de vie, très âgés pour la plupart, atteints d’une affection grave et reconnue comme incurable, pour lesquels le traitement avait été arrêté préalablement et conformément à la loi".
Le jury a estimé que dans aucun des cas il n’y avait eu de la part du Docteur Bonnemaison l’intention de donner la mort, que ce soit dans l’utilisation de l’Hypnovel®, médicament utilisé en phase terminale dans les services de soins palliatifs ou, au moins une fois, dans celui du Norcuron®, un médicament plus controversé dans cette indication.
Le jury a donc estimé que le Docteur Bonnemaison n’avait pas contrevenu à la loi relative au droit des malades et à la fin de vie du 22 avril 2005, dite « loi Léonetti », qui fixe le cadre de la fin de vie en France. Celle-ci affirme le droit au soulagement de la souffrance, au risque d’abréger la vie, mais maintient l’interdit d’accélérer intentionnellement la mort.
Cette question de « l’intention », dont l’interprétation est délicate, est un des éléments contestés de la loi Léonetti.

Par ailleurs, la loi fixe les modalités de prise de décision de limitation ou d’arrêt de traitement et la procédure à suivre quand le patient est hors d’état d’exprimer sa volonté : décision collégiale, consultation des directives anticipées si elles existent, de la personne de confiance, de la famille (cf. encadré 1)
Dans le cas des patients du Docteur Bonnemaison, les décisions d’arrêt de traitement avaient déjà été prises avant l’hospitalisation dans son service mais il a reconnu s’être "trompé" en n’informant pas l’entourage des patients de sa décision d’injecter ces produits pouvant hâter leur décès.
_Face aux infirmières et aides-soignants qui ont signalé ses agissements à leur hiérarchie, le Dr Bonnemaison a dit regretter de ne pas les avoir mis au courant de sa démarche après les faits

Les débats du procès ont montré à travers les nombreux témoignages à quel point la réalité de la fin de vie et des périodes d’agonie pouvait être difficile à affronter.
Ils ont montré aussi la réalité des conditions de travail des différentes équipes, en particulier des services d’urgence ou d’hospitalisation de courte durée qui prennent souvent en charge la fin de vie.
L’observatoire national de la fin de vie, dans son rapport de 2013 [1], signale que la France est un des pays européens où la fin de vie se déroule le plus souvent à l’hôpital, tout particulièrement dans les services d’urgence et estime que « de fait, ces services sont donc des lieux de fin de vie dans l’urgence ».
L’enquête IGAS de 2011 [2]
sur le contrôle du centre hospitalier de Bayonne, demandée à la suite des plaintes, décrit l’unité de courte durée de l’hôpital de Bayonne comme une « variable d’ajustement » du centre hospitalier, qui « bénéficie d’une activité soutenue avec un taux d’occupation supérieur à 100% »
Il est certain que cette réalité n’est pas favorable au travail dans l’échange et la collégialité nécessaires pour la prise en charge d’un patient quel qu’il soit et tout particulièrement en fin de vie.

Les débats de ce procès ont souligné l’importance de la rédaction d’une nouvelle loi et l’urgence de la mise en place des conditions humaines et matérielles permettant un réel accompagnement de la fin de vie *

Dernier élément de ce procès : le conseil national de l’ordre des médecins a confirmé, dans son audience d’avril 2014, la sanction de radiation du tableau de l’ordre des médecins infligé par la chambre d’Aquitaine. Cette interdiction définitive d’exercer est intervenue avant tout procès et sans que les éléments de l’instruction soient connus. Elle est en totale contradiction avec le jugement de la cour d’assise qui a acquitté le Docteur Bonnemaison et même avec la peine demandée par l’avocat général qui n’avait pas requis de suspension d’exercice. Le Docteur Bonnemaison a annoncé qu’il allait faire un recours au Conseil d’Etat contre cette décision. Cette juridiction, qui montre une fois de plus son caractère de juridiction d’exception, devrait être supprimée.

* Le dossier du prochain numéro de la revue Pratiques qui va sortir cet été est consacré au thème de « la fin de vie ».

Encadré 1
L’enquête INED sur les décisions médicales en fin de vie en France, publiée en 2012*, montre :

- Le pourcentage important des décisions médicales prises en sachant qu’elles pourraient hâter la mort du patient : 47,7% des décès ; parmi ces décès, l’INED distingue ceux pour lesquels il y a eu l’intention de hâter la mort : 3,1 % (dont 0,8 % par administration de médicaments).

- Le non-respect de la procédure collégiale légale prévue par la loi, puisque la décision d’arrêt de traitement pour une personne inconsciente n’a été discutée que dans 55 % des cas avec un autre médecin, 37 % des cas avec l’équipe soignante, 57 % des cas avec la famille et 13 % avec la personne de confiance.

- Le nombre très faible de personnes ayant rédigé des directives anticipées : 2,5 % des personnes décédées.

* Sophie Pennec, Alain Monnier, Sylvia Pontone, Régis Aubry, Population et Société. Les décisions médicales en fin de vie en France, novembre 2012. http://www.ined.fr/fichier/t_publication/1618/publi_pdf1_494.pdf

mercredi 2 juillet 2014, par Marie Kayser

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