La fabrique de la violence
Tous les soignants subissent la violence actuelle de « l’institution » (ce que Tosquelles appelle « établissement »), mais personne ne la voit comme telle, et la pense encore moins...
... Mais avec quels moyens, par quels dispositifs, pouvons-nous sortir de cette violence, préserver et réinventer dans nos institutions une approche poétique de l’autre, une dimension spirituelle dans nos pratiques, et peut-être même une part de rêve dans notre façon de penser la folie ?
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St Alban sur Limagnole (Lozère)

37es Rencontres de St Alban

La fabrique de la violence

17 & 18 juin 2022

Tous les soignants subissent la violence actuelle de « l’institution » (ce que Tosquelles appelle « établissement »), mais personne ne la voit comme telle, et la pense encore moins.
Au contraire, elle est adoptée comme étant la situation « normale ».

Déshumanisation et dévitalisation sont les effets des techniques managériales du néo-libéralisme. Certes, la violence a toujours existé dans les lieux de soin et d’accueil, mais aujourd’hui elle est le fait de protocoles, consignes, parcellisation des tâches, elle n’est plus que la conséquence de la machinerie bureaucratique et de la servitude volontaire.

Aujourd’hui, constater et évaluer la folie importe plus que la soigner.
Le psychotique disparaît derrière la liste de ses symptômes, piégé dans un ensemble de troubles instrumentaux dont l’addition fera son diagnostic. Il était malade, le voilà handicapé ; il était sujet d’une histoire, le voilà objet de ses dysfonctionnements ; il était porteur d’une parole singulière, maintenant sa biologie parle pour lui.
Privé de son histoire, de sa parole, du sens singulier de sa folie, défini par ses défaillances, ses déficits, ses dysfonctionnements, le patient psychotique perd, peu à peu, cette place d’interlocuteur avec lequel nous avons des échanges humains et humanisants.

Or l’histoire nous a appris que chaque fois qu’un être humain est renvoyé à sa seule biologie, il devient corps sans esprit, organisme sans visage, simple vivant sans véritable existence.
Il disparaît en tant que sujet et risque de réapparaître comme déviant ; alors le pire devient possible. Avec Jean Oury nous devons continuer à affirmer que la psychiatrie, c’est justement fait pour éviter le pire, éviter que soignants et patients soient considérés comme des monstres.

Mais avec quels moyens, par quels dispositifs, pouvons-nous sortir de cette violence, préserver et réinventer dans nos institutions une approche poétique de l’autre, une dimension spirituelle dans nos pratiques, et peut-être même une part de rêve dans notre façon de penser la folie ?
Nous vous proposons justement de mettre en partage vos expériences de ce qui, dans vos pratiques, vous permet ou vous permettrait de continuer à rêver le sujet psychotique et, pourquoi pas, de rêver avec lui.

Ateliers
• atelier 1 : Le collectif comme traitement de la violence 
• atelier 2 : La rencontre, un acte politique
• atelier 3 : De la contenance à la contention
• atelier 4 : Violence du discours ou réduire au silence

Atelier 1 : Le collectif comme traitement de la violence
L’analyse de Pierre Bourdieu, écrite en 1998, définissant le néolibéralisme comme « un programme de destruction méthodique des collectifs »*, sonne juste et nous fait nous retourner pour approuver cette déclaration. C’est en effet ce qui s’est passé ces dernières décennies. Cet outil si précieux, l’équipe pluridisciplinaire, est en partie démantelé ; les réunions infirmiers, éducateurs, aide-soignantes, psychologues, femmes de ménage, psychiatres et les collectifs de soignants-soignés ont disparu dans la plupart des lieux. Ce qui est advenu, dans une logique implacable de cause à effet, c’est ce vieux rôle de gardien, surveiller et punir.
Pourtant les soignants savent écouter, rechercher du sens et envelopper le sujet en souffrance. Ils ont le nécessaire besoin d’analyser l’institution, cette pâte feuilletée à trois couches, l’inconscient, le collectif soignant-soigné dans l’institution, et l’établissement.
Comment construire un espace de travail collectif afin de cerner les protagonistes de toute situation de la pratique institutionnelle, pour accéder à la perlaboration, celle-ci ne pouvant s’effectuer que dans l’après coup, le Nachträglich, si cher à Freud.
Cessons de nier la folie, de vouloir la faire entrer dans la médecine moderne, de pister les traces de l’aliénation pour simplement les réduire. Comment refuser cette auto-surveillance dans la hantise de la normalité à l’aune de la protocolisation d’une psychiatrie sécuritaire ? Comment créer un espace d’hospitalité travaillée, où la parole pourrait se déployer et cette formule de Lacan, « ça parle à qui sait entendre », puisse prendre ou reprendre place.
* Pierre Bourdieu L’essence du néolibéralisme , Le monde Diplomatique, mars 1998

Atelier 2 : La rencontre, un acte politique
Si l’on considère avec Piera Aulagnier que « la dette contractée par nous depuis longtemps avec le discours psychotique est loin d’être réglée (…) ; sur un point nodal en effet le psychotique et nous-mêmes nous retrouvons dans un rapport de stricte réciprocité : l’absence d’un présupposé partagé lui rend notre discours aussi discutable, questionnable, et privé de tout pouvoir de certitude que peut l’être le sien pour notre écoute », alors qu’en est-il des incidences de ladite clinique contemporaine sur la rencontre dans ses dimensions transférentielles ?
« L’appréhension d’un fait psychique est inséparable de l’agencement d’énonciation qui lui fait prendre corps » disait Guattari. On mesure là les effets de violence actuels, une violence imperméable à tout travail d’élaboration, voire de figurabilité (Sandra Lucbert), et qui pousse son paradigme jusqu’à l’entrave de tout ce qui pourrait s’ouvrir dans le contact à l’autre.
Il n’y a pas de soin sans rencontre, phénomène singulier qui est l’occasion d’une ouverture (d’un ouvert) donnant alors accès à l’invention, à la créativité, à l’imagination ; une ouverture au monde, plus précisément la découverte que le monde est ouvert. Cette ouverture à l’altérité se fait parfois au prix de l’inquiétante étrangeté. La rencontre serait-elle à éviter, voire à éradiquer dans nos institutions pour donner alors l’illusion d’une maîtrise ou d’une domination sur l’inattendu, l’imprévu, sur le « libre » ?
Comment entretenir encore les conditions de possibilité de la rencontre de l’autre dans ses effets de subjectivation ? Qu’en est-il de la création d’espaces communs, de territoires existentiels (F. Guattari) et de pratiques altératrices (P. Dardot) pour un accueil et une hospitalité basés sur la reconnaissance inconditionnelle de l’être souffrant ?
Cet atelier vous invite à partager nos expériences et ainsi rester vivants ensemble. Bienvenue !

Atelier 3 : De la contenance à la contention
Contenir, c’est tenir ensemble ou tenir dans les limites d’un contenant, d’où contenance, capacité d’un contenant, qui est aussi manière de se tenir.
Contention se rattache à tension, donc au verbe tendre (tendon, tendeur, mais aussi attendre, qui est tendre vers). Le terme a été adopté dans le vocabulaire de la chirurgie avant d’être utilisé en psychiatrie pour désigner les moyens d’immobilisation d’un individu.
Au début des années 60, la traduction des écrits de Bion permet d’envisager les pratiques de traitement relationnel des manifestations dissociatives dans les institutions d’accueil et de soin comme une fonction contenante. Bion la compare à la capacité de rêverie maternelle et l’analyse comme une manière de prêter son appareil à penser les pensées d’où peuvent advenir des processus associatifs, là où insistait auparavant la menace des processus dissociatifs et des éléments épars pour le sujet.
On peut comprendre comme des capacités de rêverie collective (fonction contenante) le travail d’analyse des pratiques, les réunions et groupes d’élaboration clinique, la prise en compte des constellations transférentielles, ainsi que toutes les pratiques collectives liées aux activités comme au fonctionnement des clubs thérapeutiques et des associations.
Ces pratiques répondant d’une fonction contenante ont longtemps permis de moins recourir aux contentions.
L’habitude a été prise d’opérer un glissement de contenance à contention et de considérer que le manque de contenance psychique (être décontenancé) exige la contention physique (le maintien d’une forte tension). Tour de passe-passe simpliste qui justifie à bon compte la banalisation de l’enfermement et de la contention. Mais la contention n’est pas qu’un faux ami de la contenance, surtout si elle est la conséquence d’une incapacité de penser, d’un renoncement aux capacités de rêveries collectives et aux pratiques qui en résultent. La contention participe de la fabrique de la violence.
Nous nous proposons dans cet atelier de réfléchir à ce qui peut conduire à un recours impensé à la contention et bien sûr aux pratiques inventées collectivement en alternative à celle-ci, ainsi qu’à l’isolement et à l’enfermement.

Atelier 4 : Violence du discours ou réduire au silence
Michel Foucault dans Les mots et les choses disait que « le commentaire a fait place à la critique ». Peut-être faut-il alors dire aujourd’hui « comment taire » tant le silence s’instituant devient assourdissant.
Silence, on ne parle plus. Comme s’il n’y avait plus rien à dire car tout aurait été déjà dit.
Silence. Toute parole singulière est bannie. Non pas interdite, il y aurait alors de quoi chercher une opposition, une lutte ou un combat pour déborder ou submerger cet interdit. Parole bannie. Et pourtant on cause, on cause toujours.
Silence pathétique. Il révèle l’émergence d’un écart grandissant…
D’un côté, les tenants de cette novlangue libérale technocratique faite d’un discours rationaliste et scientiste où les mots sont désarrimés des choses qu’ils sont censés représenter. Discours structuré sur la base d’éléments de langage pour que le commentaire soit audible même si la chose n’est pas perceptible. 
De l’autre, les pratiquants d’une langue évoluant au gré de la rencontre avec les choses du monde, quand les mots prennent sens au regard des objets se révélant par la transformation opérée, tel l’artisan ou le poète, dans un langage énoncé ou proclamé par le praticien.
La violence du discours est son silence. Il ne dit rien, rien qui vaille.
Et pourtant ce discours, avec ses procédures d’exclusion et qui ne dit rien, occupe l’espace de la parole en produisant ce renversement dans le contraire et ce retournement sur la personne à la base du processus de la perversion (Métapsychologie de Freud). Le singulier devient la cause de son propre silence. L’auto-injonction : Tais-toi si t’es toi.
Comme il n’y a plus rien à dire alors parlons-en dans cet atelier.


Pour plus d’informations, voir le site des Rencontres
Plaquette d’information des Rencontres 2022 à lire et/ou télécharger :

jeudi 23 décembre 2021, par Association culturelle du Personnel Association culturelle