Vous êtes intelligente, Mademoiselle !

Cet article est issu du blog L’inquiet, tant étrange, taît.

Le témoignage de ce paternalisme mâtiné de sexisme ordinaire aurait été plus éloquent encore, accompagné de cette flatterie du menton qu’on réserve aux enfants sages ou aux chiens trop braves pour aboyer.

La vraie réplique était « Mais vous êtes intelligente Mademoiselle, vous comprenez ce que je vous dis, je ne vais quand même pas avoir besoin de l’écrire ». Quant au contexte, il s’agissait de répondre à la demande que je formulais au chirurgien spécialiste que je consultais pour qu’il récapitule par écrit ce qu’il venait de m’expliquer. À savoir, la petite intervention qu’il m’a proposée d’emblée pour me soulager sans m’avoir jamais vue auparavant, sans avoir regardé aucun des examens que je lui apportais et sans que d’ailleurs ça m’ait soulagée le moins du monde. Et puis l’opération qu’il me proposait ensuite sans avoir jamais opéré quiconque présentant mon type de malformation.

« Mais vous êtes intelligente mademoiselle, vous comprenez ce que je vous dis, je ne vais quand même pas avoir besoin de l’écrire » ce à quoi, j’ai quand même réussi à répondre, que « peu importe, moi j’ai besoin de pouvoir me souvenir exactement de ce que vous m’avez dit ».

Mais je n’ai pas obtenu de document écrit récapitulant quoi que ce soit (je me demande encore si ça ne contredit pas le droit à l’information médicale). Si j’ai de la chance mon médecin généraliste a obtenu plus d’éléments.

Et je ne parle pas de toutes les autres indélicatesses : m’ausculter devant 3 autres personnes qu’il ne m’a pas présentées, me féliciter sur mon élocution parfaite (je suis paralysée du visage, autant vous dire que ce compliment qui relève autant de la condescendance que de la flagornerie, ne m’intéresse que peu étant donné que je ne suis pas venu consulter un phoniatre ou un orthophoniste), m’appeler Mademoiselle alors qu’il a lu mon âge, raisonnable, et que je suis mariée, déprécier les autres médecins que j’ai consultés, et surtout m’administrer un traitement douloureux qui ne m’a pas soulagée.

Ces indélicatesses, je viens de les caractériser : du paternalisme, du sexisme, de la condescendance. Dans d’autres circonstances, je les combattrais et je tenterais par tous les moyens de faire comprendre à ceux qui en sont auteurs que ce comportement n’aide en rien le soin mais au contraire l’entrave beaucoup.

Mais les circonstances ne sont pas à mon avantage ce jour-là : je suis affaiblie par un problème de santé qui dure depuis 4 mois, j’ai vu déjà plusieurs soignants sans succès, dépenser plusieurs centaines d’euros en soins inefficaces, et pour couronner le tableau, je suis atteinte d’une malformation rare et le problème qui m’amène n’est pas répertorié. Nulle part. En d’autres termes, je viens demander de l’aide et je suis sans défense. Je ne suis pas en mesure de combattre quoi que ce soit.

Ces indélicatesses, je les oublierai si je ne les avais rencontrées qu’une seule fois : mais que dire de la dentiste qui me dit qu’elle ne va pas arriver à me détartrer si je l’arrête tout le temps, alors que j’ai l’impression de me noyer sous l’eau du détartrage et que je lui ai déjà dit à plusieurs reprises ? que dire du neurologue spécialisé qui me prescrit un IRM et me dit d’aller voir mon neurologue de proximité (pour ne pas dire de province) avec les résultats, alors même que je viens de lui dire que je n’en ai pas ? ou de la blague de cet autre qui me dit qu’il a fait la guerre d’Algérie au moment de m’envoyer du courant dans les muscles – comme on fait avec les grenouilles au collège – ? que dire enfin du chirurgien spécialisé que je viens voir depuis plusieurs années et qui me dit tout en filant de la consultation que de toute façon on ne m’opérera pas dans cet état… ?

Je ne suis pas de celles qui pensent que la médecine peut tout et qu’on est en droit de tout attendre d’elle, je n’économise pas le travail sur mes peurs et mes faiblesses, sur mes ornières et mes limites intimes.

Mais aujourd’hui, je vois les limites d’un système qui marche sur la tête : la médecine qui m’a mise sur pied (au propre comme au figuré) s’étiole devant moi et pour conserver un semblant de contenance se concentre dans sa brutalité.

Je me demande ce qui anime réellement ces spécialistes, j’écoute les expériences pas beaucoup plus réjouissantes d’autre patient(e)s… et je ne comprends pas.

Voyez, Docteur, pas sûre que je sois si intelligente, il faudrait que vous m’expliquiez.

dimanche 22 janvier 2017

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