À propos du film documentaire : Le mur ou la psychanalyse à l’épreuve de l’autisme

Alain Quesney,
pédiatre

Un film documentaire de Sophie Robert disponible sur le web sur le site de l’association Autisme Sans Frontières [1]
De ma position de pédiatre ambulatoire qui s’inquiète devant certains symptômes de ses petits patients, oriente pour bilans et diagnostics, suit l’enfant et soutient les familles, il me semblait pourtant qu’en 2011 des évidences s’imposaient et que s’était (enfin !) dégagé un consensus qu’on pourrait résumer en trois points :
1 — Il n’y a pas un seul type d’autisme, mais toute une gamme de pathologies.
2 — L’étiologie de l’autisme est pour l’instant inconnue et probablement plurifactorielle.
3 — Le traitement ne peut être que pluriel, ce qui découle logiquement des deux premiers points.
Reprenons ces points un par un.
1 — Il n’y a pas deux histoires identiques : il y a tout « un spectre autistique » comme il est dit dans le film par le Dr Zilbovicious, psychiatre directrice d’unité à l’Inserm. Le pédopsychiatre Dr Delion ne dit pas autre chose quand il évoque un continuum de pathologies qui vont d’un état presque normal à l’autisme sévère. De cela, je peux témoigner : il y a des nourrissons qui ont des passages autistiques totalement réversibles de quelques mois, des enfants qui sont plus à risque de développer une pathologie autistique que d’autres (ceux dont le cerveau est lésé, mais ceux aussi que l’histoire médicale et/ou familiale fragilise).
2 — Les bilans actuels, électro-encéphalographie (EEG), imagerie par résonnance magnétique (IRM) cérébrale, tests génétiques, bilans sensoriels sont rarement contributifs d’une cause reconnue en dehors des cas déjà orientés par l’histoire ou l’examen clinique. Si ces nourrissons sont pris en charge tôt, ils n’évoluent pas tous (tant s’en faut !!) vers les cercles vicieux des troubles envahissants du développement.
La génétique n’explique pas tout. La neuro-imagerie fonctionnelle est certes démonstrative d’une sous-utilisation d’une certaine zone cérébrale : la scissure temporale supérieure, mais estce bien la cause reconnue de l’autisme, comme le laisse entendre le commentaire du film ou plutôt une conséquence, comme le dit plus modestement le Dr Zilbovicious dans les « bonus du film » ? Ces techniques de neuro-imagerie ne sont pas pratiquées en routine et restent une piste de recherche intéressante.
3 — Le traitement n’est pas univoque : comme le proclame le film, selon lequel il faudrait s’appuyer uniquement sur les techniques d’apprentissages et refuser les psychothérapies.
De mon point de vue, le traitement peut combiner — selon l’âge, l’évolution et la disponibilité locale — psychomotricité, orthophonie, thérapies d’échange et de développement, travail éducatif, soutien et guidance de la famille (dans la difficile recherche d’une cause médicale qui est bientôt suivie du casse-tête de l’intégration scolaire), mais aussi prises en charge psychodynamiques et pourquoi pas pour certains patients une psychothérapie d’inspiration analytique ?
Cela dit, pourquoi déterrer la hache d’une guerre que l’on croyait révolue ?
Pourquoi mettre la psychanalyse à l’épreuve de l’autisme ?
Dans un renversement saisissant, la psychanalyse est passée du statut de science humaine à celui de religion révélée, interrogée, mise en accusation par une neuroscience triomphante annexée par des parents en souffrance. Juste retour des choses pourront dire certains : les enfants autistes et leurs parents ont subi une épreuve trop douloureuse de la part de certains psychanalystes. Il reste coincé quelque part le « Mais madame, vous êtes la mère ! » qui entraîne en retour de balancier, le « Mais docteur, vous êtes psychanalyste ! ». C’est vrai qu’aucun président d’association psychanalytique n’a fait d’excuses publiques ni dit clairement devant des caméras de télévision qu’une page d’histoire de la pédopsychiatrie était définitivement tournée...
C’est là où la forme du film (parti pris du scénario, montage, décors, découpage des scènes, travail de la caméra) me paraît très discutable, car il s’agit de forcer le trait, d’amalgamer, de faire « lâcher aux psy les phrases qu’ils ne disent jamais aux parents », d’opposer et de cliver.
— Pourquoi la neuro-imagerie à la toute fin dans les bonus (bonus = bon) et pas dans le même temps que les théories psychanalytiques (malus) ?
— Pourquoi opposer les témoignages, certes bouleversants des familles, en un contrepoint aux morceaux choisis des psys ?
Liberté de l’auteur me direz-vous...
— Pourquoi opposer la Culture de l’Écrit, montrée comme poussiéreuse et obscure (praticiens dans leurs bibliothèques) aux Images de la Nature (lumière de la vallée de l’Orne et de la baie du mont Saint-Michel qui servent de cadre aux promenades familiales) et à l’exposé fait sur powerpoint par le Dr Zilbovicious — exposé qualifié de lumineux par un internaute sur le site de l’association ?
Toujours la liberté de l’auteur !
— Pourquoi mettre en scène quelques post-lacaniens satisfaits d’eux-mêmes, récitant béatement leur vulgate — ce crocodile en plastique, symbole de la « mauvaise mère » est ridicule, mais aussi scandaleusement réducteur ?
— Pourquoi les présenter sur le même plan que des praticiens (Dr Delion, Dr Golse, Dr Naouri, Dr Wildlocher) reconnus, compétents et ouverts à différentes autres approches diagnostiques et thérapeutiques ? Comment ces derniers ont-ils pu se faire piéger ? Plaisir de se faire filmer ? Ou désir d’enseignement qui a été subverti ?
La folie maternelle à la naissance, autrement dit la préoccupation maternelle primaire, la censure de l’amante, les différents incestes sont des théories psychodynamiques intéressantes, mais totalement hors sujet pour ce qui est de l’autisme. Elles deviennent dans le film des concepts totalisants et totalitaires, comme au temps révolu de Lacan et de la forteresse vide de Bettelheim.
Cet amalgame est simplificateur comme le propos du film.
Depuis le livre Esprit où estu ? de Jacques Hochmann et Marc Jeannerod [2], il y a eu d’autres exemples de rencontres fécondes entre neurophysiologistes et psychanalystes. Pourquoi ne pas travailler sur ces ponts ? Le Dr Golse et le Dr Zilbovicious collaborent bien ensemble dans le même hôpital NeckerEnfants-Malades.
— Pourquoi ce montage pratiquant l’ellipse, ces zooms appuyés sur les icônes encadrées de Freud ou de Lacan, ces arrêts sur image qui tuent (Bettelheim grimaçant sur la photo, visage ingrat du bon Winnicot, sourire béat et automatique de la psychanalyste kleinienne) ?
— Pas très scientifique, mais bien efficace sur le plan émotionnel, cette comparaison de l’évolution de deux jeunes patients traités avec des méthodes différentes, la bonne et la mauvaise, un exemple soi-disant pris au hasard.
La liberté de l’auteur vous dis-je ! Il s’agit de rendre la psychanalyse obsolète et les psychanalystes obsédés et séniles : quel réel intérêt de montrer pendant de longues secondes les cheveux blancs du psy qui se penche théâtralement en avant pour réfléchir... avant de sortir ce qui — hors contexte — paraît une énormité ? Et que dire de ce rush désolant concernant le Dr Golse piégé par la caméra qui tourne : muet, il regarde ses notes.
On peut s’interroger sur le bénéfice d’une telle entreprise, si ce n’est d’accroître le clivage et la culpabilité (déjà si présents dans cette pathologie) et en conséquence les difficultés de la prise en charge des patients — évidentes en ces temps de pénurie.
Le Mur est celui de l’enfermement autistique, mais évoque aussi celui de l’incompréhension devant lequel se heurtent les familles (regard des autres, pas assez de prise en compte par les professionnels de leurs questionnements légitimes, pas de place en institution, pas de financement d’auxiliaire de vie scolaire). C’est aussi le mur que l’on construit en Palestine, au Sahara Occidental, sur la Frontera entre Mexique et États-Unis...
Ce film me paraît éminemment discutable (au double sens du terme) à la fois sur le fond et sur la forme. Contribue-t-il à démolir des pans de ce mur ? Je ne le trouve pas : il proclame de façon trop simplificatrice, car militante, que la réalité n’est pas complexe et donc que les choix sont clairs et univoques.
Toute œuvre (même médiocre) doit pouvoir paraître et être diffusée : prétendre l’interdire comme certains psys le souhaiteraient est antidémocratique.


par Alain Quesney, Pratiques N°58, juillet 2012

Documents joints


[2Jacques Hochmann et Marc Jeannerod, Esprit, où es-tu ?, Poche, 1996.


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