Après Tchernobyl, Fukushima : les mensonges perdurent

Alors qu’un nuage « rayonnant » survole nos têtes, nous apprenons , vingt cinq ans après, que le nuage de Tchernobyl était en fait très polluant. Comment imaginer qu’un tel incident provienne du Japon, pays à la pointe de la technologie ?

Yveline Frilay,
médecin généraliste

Peut-on croire les experts français ? Michel Brière, adjoint de l’Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire (IRSN) interrogé sur les incendies de Russie affirme en août 2010 qu’en France, à proximité d’une installation nucléaire, les sites sont déboisés pour prévenir des incendies : « C’est très probablement le cas aussi en Russie ». Sauf que les militaires commençaient seulement à abattre la forêt autour de Sarov, à 500 km de Moscou.
Des commissions d’experts existent au sein de l’IRSN, mais seul le nom des rapporteurs, tous issus de l’École des Mines, est connu, masquant tout conflit d’intérêts.
La radioprotection des travailleurs exposés aux rayonnements ionisants a été imposée seulement en 2003 : l’IRSN assure la surveillance dosimétrique individuelle de 54 % des travailleurs, des laboratoires agréés font le reste. La surveillance de la contamination interne par les exploitants (EDF, AREVA, CEA) est assurée par leur propre laboratoire, agréé par l’ASN [1]. Tous les douze à dix-huit mois, les réacteurs sont arrêtés pour renouveler le combustible, le matériel est vérifié, mobilisant mille personnes (EDF et sous-traitants) de trente jours à plus de trois mois. Équipés de combinaisons étanches, les ouvriers sont exposés lors du déshabillage. L’augmentation des contrats à durée déterminée, l’intérim, la sous-traitance ne permettent pas le suivi de tous, surtout les maçons, soudeurs, passant d’une installation à l’autre. Les ouvriers exposés vont en médecine du travail, reçoivent une carte individuelle de suivi médical, le système Siseri calcule l’exposition cumulée de chacun. Mais on oublie le travail dissimulé d’étrangers, et la sous-déclaration des accidents du travail. Luc Besson se retire d’un plateau télévision, refusant le débat sur la santé des travailleurs intérimaires des centrales nucléaires.
Fukushima a-t-il fait comprendre au juge du tribunal de grande instance de Paris les risques de la sous-traitance du retraitement des déchets nucléaires d’Areva (à la Hague) ? Il interdit la poursuite de l’externalisation de ces activités en pénalisant de 200 000 euros toute infraction constatée. Il a jugé que celle-ci était « génératrice de risques psychosociaux importants et de risques techniques et industriels considérables, et de nature à compromettre la santé et la sécurité des travailleurs concernés ». Interrogés, des médecins français de l’est de la France, exerçant à proximité des centrales, se disent plus interrogatifs qu’inquiets : crédulité ou cupidité ? La centrale « fait vivre la moitié de la population », et un médecin ose dire : « Je n’aurais jamais pu développer autant mon activité sans la centrale ». Faut-il entendre que la population est malade du fait de la centrale ? Nous invitons ces médecins à lire la dernière publication de l’association Global Chance [2], composée de scientifiques et d’experts indépendants, questionnant les menaces qui pèsent sur l’environnement. Outre-Rhin, le discours n’est pas le même, les populations sont beaucoup plus inquiètes.
Combien de nos citoyens vivant à moins de 10 km d’une centrale nucléaire ont retiré dans une pharmacie leur boîte de comprimés d’iode stable, pour prévenir la fixation ultérieure d’iode radioactif, et diminuer le risque de pathologie thyroïdienne ? Explication d’Olivier Isnard, expert de l’IRSN en radio-écologie et radioprotection : il ne faut plus raisonner en termes de zones réglementaires à 20 ou 30 km de la centrale, mais sur la base de mesures très localisées. Car le Japon n’a pas la même densité que l’Ukraine : 338 habitants par km2 contre 79...

EDF, le TEPCO français et la logique économique
Le rapport de janvier 2011 de l’OPECST [3] dénonce la perfidie du gouvernement et les manœuvres de déstabilisation d’Areva (comme l’annonce de l’éviction d’Anne Lauvergeon), l’incohérence, la création par la loi NOME [4] de la revente de l’électricité nucléaire, le manque de coordination des acteurs français face aux appels d’offres internationaux des pays émergents. La sûreté est bradée au profit de la rentabilité. EDF freine l’effort de recherche sur l’élimination des déchets nucléaires, conteste les modalités du projet de stockage géologique profond, qui relève de l’ANDRA [5].
En disant que ses recherches au laboratoire de la Bure lui coûtent cher, EDF ment : avancées par le fonds de gestion des déchets nucléaires, les sommes ne sont ni la propriété d’EDF, ni de son initiative. L’OPECST note : « S’agissant d’une mission de service public, celle-ci ne saurait [...] être confiée à des sociétés avant tout intéressées à maximiser leurs profits et susceptibles de passer, à terme, sous contrôle privé ». TEPCO, industriel privé confirme ce risque : il a minimisé la catastrophe, a tardé à demander l’aide de l’État japonais pour amener du matériel afin d’assurer le refroidissement du combustible pouvant éviter les explosions, pensant protéger ses bénéfices et ses actions. TEPCO et EDF même combat ? Au moment de l’accident, l’ambassadeur de France au Japon n’est autre que Philippe Faure, ancien secrétaire général du ministère des Affaires étrangères de mars 2006 à février 2008, période à laquelle il était aussi membre du directoire d’Areva, d’EDF et du CEA.
En juillet 2011, l’OPECST dans son rapport d’étape mentionne : « Toutefois, notre pays ne peut se prévaloir d’être totalement à l’abri d’une catastrophe naturelle d’une ampleur inattendue (...) L’industrie nucléaire française doit donc pousser d’un cran encore son investissement dans la sûreté ». Alors, comment l’ASN décide-t-elle la prolongation de dix ans de Fessenheim, la plus vieille centrale nucléaire française, construite sur une faille sismique ? La France est loin d’être épargnée par les défaillances de ses centrales nucléaires : en février 2011, EDF relève une anomalie sur trente-quatre réacteurs nucléaires 900 MW [6], dont certains atteignent trente ans d’usage, sans pouvoir dire si le système d’injection d’eau de sécurité permettrait de retarder une fusion du cœur nucléaire lors d’une fuite importante. Le 1er juin 2011 démarrent les « stress tests » des centrales demandés par Bruxelles, réalisés par les exploitants et non suivis de mesures de fermeture de centrale en cas de défaillance.
On joue sur les mots encore lors de l’accident du 12 septembre à Marcoule. Un porte-parole du groupe SOCODEI [7] déclare : « C’est un accident industriel, ce n’est pas un accident nucléaire ». En France, ne doit-on parler d’accident nucléaire que si celui-ci survient dans une centrale ? Pourtant, la dose de radioactivité contenue dans le four qui a explosé était cinq cents fois plus importante que ce que la SOCODEI avait déclaré, apprend-on par l’ASN deux mois plus tard [8]. Four où plusieurs anomalies ont été relevées à maintes reprises : 25 mai 2011, perte temporaire de la détection de l’alarme incendie de l’unité d’incinération ; 15 août 2010, perte des deux chaînes de surveillance assurant le contrôle radiologique ; 24 décembre 2008, non-respect de la périodicité de réalisation des essais des détecteurs d’incendie ; 17 décembre 2007, dépassement des limites mensuelles et annuelles de rejets gazeux en tritium ; juillet 2007, dépassement d’une des limites radiologiques pour l’acceptation de déchets dans cette installation...
En 2010, le site de Vaujours (77) occupé jusqu’en 1997 par le CEA, dont la radioactivité en surface est mesurée jusqu’à trente-trois fois la norme, est racheté à l’État par Placoplatre, filiale de Saint-Gobain pour réaliser une carrière à ciel ouvert et par la Communauté d’agglomération de Marne et Chantereine pour une zone d’activités. Exploiter ce terrain pollué, c’est déplacer sur trente-cinq hectares et vingt mètres d’épaisseur des couches de terre, éclater le gypse avec des explosifs, construire des bâtiments sur un sol souillé, contaminer les populations et les travailleurs par l’inhalation de poussières radioactives, l’ingestion de matières et de denrées alimentaires contaminées, sans compter les risques liés aux explosifs et autres pollutions très toxiques. En mai 2011, Placoplatre déclare qu’aucune radioactivité anormale n’est détectée sur le site, et instaure un gardiennage 24h/24 alors que la CRIIRAD [9] demande de nouvelles expertises, estimant le site insuffisamment décontaminé.

Les conséquences sanitaires des catastrophes nucléaires sont étouffées en France
La juge d’instruction chargée du dossier de Tchernobyl, Marie-Odile Bertella Geffroy, établit une causalité d’ordre épidémiologique entre le nuage de Tchernobyl et les cancers thyroïdiens en faisant constater une similarité des fréquences de cancer de la thyroïde entre les zones françaises où l’exposition aux radionucléides a été la plus importante et certaines zones d’Ukraine, et analyse les mesures que les pouvoirs publics auraient pu prendre. Ceci l’autorise en 2006 à mettre en examen pour « tromperie aggravée » le Dr Pellerin qui n’a pas alerté du danger de la radioactivité. Mi-mars 2011, la juge est suspendue par la chambre d’instruction de la cour d’appel de Paris. Le 31 mars, l’audience en appel du médecin, soutenu par le parquet, a lieu à huis clos. Ceinte d’un cordon de CRS, la Cité ne peut être approchée par les patients de l’AFMT [10], la CRIIRAD, les membres du Réseau Sortir du nucléaire, attendant ce procès depuis vingt-cinq ans. Peur d’une émeute après l’accident de Fukushima ? Le délibéré a eu lieu le 7 septembre dernier, favorable au Dr Pellerin. L’AFMT a décidé de se pourvoir en cassation. Encore un scandale sanitaire français ? Nous comprenons pourquoi l’IRSN réfute les études sur les cancers thyroïdiens et les radiations nucléaires, alors qu’elle se permet de faire la leçon en préconisant la diminution des radiations ionisantes liées à l’imagerie médicale...
Alors que nos voisins disent non à la poursuite du nucléaire, aucune réflexion à long terme n’est menée en France, l’État souhaite continuer, pour raisons économiques avant tout. Ne pas sortir du nucléaire est une question de profit, le lobby nucléaire influe sur le non-développement des énergies renouvelables Nous sommes en droit de nous interroger et d’exiger, pour la santé de nos enfants, le réexamen de la sûreté des installations, occasion de programmer la sortie du tout nucléaire, à commencer par les réacteurs les moins sûrs, d’exiger la transparence sur les effets sur la santé du nuage de Tchernobyl et des centrales nucléaires. Soutenons l’action de l’AFMT et du CRIIRAD. Exigeons que le nucléaire soit au cœur de la prochaine campagne présidentielle et législative.


par Yveline Frilay, Pratiques N°57, mai 2012


[1Autorité de Sécurité Nationale.

[3Office Parlementaire d’Evaluation des Choix Scientifiques et Technologiques.

[4Nouvelle organisation du marché de l’électricité

[5Agence Nationale pour la gestion des Déchets Radioactifs, selon la loi du 28 juin 2006.

[6Blayais, Bugey, Chinon, Cruas, Dampierre, Fessenheim, Gravelines Saint-Laurent des Eaux, Tricastin.

[7Filiale du groupe EDF à vocation industrielle, spécialisée dans le traitement et le conditionnement des déchets faiblement radioactifs.

[8Le Canard Enchaîné, 5 octobre 2011.

[9Commission de Recherche et d’Information Indépendantes sur la Radioactivité. http://blog.gagny-abbesses.info/public/Presse/Vaujours/A0_Synthese_CRIIRAD_Vaujours_2002.PDF

[10Association Française des Malades de la Thyroïde.


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