Qu’entend-on par erreur médicale ?

Lorsqu’ils s’avèrent évitables, les effets indésirables des soins renvoient aux erreurs qui les ont provoqués. Cependant, le choix des mots pour en parler en dit long sur les préjugés de ceux qui les emploient.

Étienne Schmitt,
pharmacien, responsable du Programme Prescrire « Éviter l’Évitable »

Dépasser les confusions, approximations et autres lieux communs relatifs à l’erreur en médecine suppose de disposer du vocabulaire adéquat pour aborder lucidement ces questions. La précision des termes employés est indispensable à l’analyse approfondie des erreurs.
Voici les raisons des choix de Prescrire, effectués avec une attention particulière lors de la préparation du Programme « Éviter l’Évitable », centré sur la prévention des erreurs liées aux soins [1] [2].

Faute et erreur : ne pas confondre
Parler d’erreur en médecine n’est pas facile. D’abord parce qu’il est difficile d’admettre l’existence d’une erreur, ensuite parce que cela exige de surmonter un sentiment de culpabilité. D’autant que les professionnels de santé ont peu d’occasions d’échanger leurs expériences professionnelles négatives sans s’exposer à des jugements de valeur péjoratifs.
Que signifie, par exemple, l’expression « reconnaître une erreur » ? De la part de celui qui l’a commise, s’agit-il d’un aveu ? De la part de celui qui l’a repérée, s’agit-il d’en constater les dégâts sur une éventuelle victime, ou de l’intercepter pour protéger un patient ? Chargée de connotations péjoratives, l’erreur renvoie la plupart du temps à la notion de responsabilité.
Pour progresser efficacement dans la prévention des erreurs, mieux vaut mettre un terme à cette funeste confusion entre faute et erreur. Une faute enfreint les procédures ou les normes instaurées pour la sécurité des patients et, à ce titre, constitue une négligence susceptible de sanctions. Une erreur, quant à elle, n’est pas délibérée et lorsqu’elle est intentionnelle, résulte d’une mauvaise appréciation ou d’un défaut de connaissances. Il est de la responsabilité des soignants non seulement d’exercer sans commettre de fautes, mais surtout de prévenir les erreurs et, lorsqu’elles surviennent, d’éviter qu’elles ne soient répétées.

Se méfier des jargons
Les termes relatifs à l’erreur en médecine sont si dérangeants que ceux qui ont à en gérer les conséquences utilisent des euphémismes, tels que « aléa », « anomalie », « imprévu », « incident », visant à neutraliser l’inquiétude suscitée par la gravité des situations. D’autres termes relèvent de jargons inutilement opaques et compliqués. Autant de mots galvaudés que Prescrire a bannis petit à petit de son vocabulaire.

Du point de vue de la gestion des risques, l’association des termes « aléa » et « médical » est aberrante, car elle confond l’incertitude de la survenue de l’événement et l’événement proprement dit. L’acception dans laquelle l’expression « aléa médical » a été utilisée correspond en fait à la notion de « risque médical », incluant le « risque thérapeutique », alias « aléa thérapeutique ». Comme « aléa », « iatrogène » n’est pas initialement doté d’un sens péjoratif. Mais le fait que l’on ne parle jamais de « bienfait iatrogène » est démonstratif de l’emploi à sens unique de ces mots.
Le souci de ne pas faire scandale, de réserver la discussion plutôt aux professionnels qu’aux profanes, et surtout d’éviter que le grand public ne s’empare d’un sujet aussi menaçant pour les professionnels de santé explique également la prospérité récente du néologisme « iatrogène », popularisé dans les années 1970 par Ivan Illich, issu de iatrov : médecin, et de l’élément tiré du radical du verbe grec gennan : engendrer, au sens de ce qui est produit, engendré ou déterminé par l’activité médicale, et plus généralement par toute activité de soin [3].
L’adjectif « iatrogène », issu de ce néologisme, a pour autre inconvénient d’être stigmatisant parce que le préfixe « iatro » renvoie plus souvent au médecin qu’à l’organisation des soins .

Ne pas confondre causes et conséquences
Au-delà des jargons à éviter, Prescrire préfère « indésirable » à « iatrogène » pour recentrer la préoccupation sur le patient, avec un point de vue commun au soigné et au soignant.
Une source féconde a été la définition fonctionnelle de l’erreur en médecine, retenue pour les premières études sur les évènements indésirables susceptibles de survenir lors des soins ambulatoires, y compris lorsqu’ils ne présentent pas de conséquence grave : « n’importe quel événement inattendu, non anticipé, survenu au cours de votre propre pratique, et dont vous pensez : “Ceci a menacé le bien-être du patient et n’aurait pas dû arriver. Je ne veux pas que cela se reproduise à nouveau”. Un tel événement est susceptible d’affecter la qualité des soins que vous prodiguez à vos patients. Il peut être grand ou petit, administratif ou clinique, mais vous considérez qu’il doit être évité à l’avenir. @@3 » L’emploi de l’expression « événement indésirable » implique l’absence d’évaluation de la relation, ou l’absence de relation, entre l’événement et le soin. Lorsque la cause d’un « événement indésirable » est attribuée par l’analyse, il s’agit d’un « effet indésirable ». Ainsi, le terme « effet indésirable » est réservé aux « événements indésirables » dont le lien de causalité est plausible, qu’il soit avéré ou présumé.
Prescrire aborde l’« erreur » en s’en tenant toujours aux faits, en indiquant de quel type d’« erreur » il s’agit, et en situant le contexte dans lequel on l’évoque (par exemple « erreur en médecine ambulatoire ») [4] ; en ne présentant jamais la cause pour l’effet, l’« erreur » pour l’« effet indésirable » ; en ne parlant d’« erreur » que lorsque l’analyse en a vérifié la vraisemblance.
Et il ne s’agira d’un « effet indésirable évitable » que si l’on en sait suffisamment sur le type précis d’« erreur » qui l’a provoqué. Il serait plus précis de parler d’erreur liée aux « facteurs humains », c’est-à-dire « à l’ensemble des éléments relatifs aux hommes ainsi qu’aux interactions qu’ils ont entre eux et avec les systèmes auxquels ils sont intégrés », souvent qualifiée d’« erreur humaine » [5]. L’Institute of Medicine des États-Unis d’Amérique a défini l’« erreur » comme « l’échec de la conduite d’une action planifiée à ses fins désirées (par exemple, erreur d’exécution) ou le recours à une planification erronée pour atteindre un objectif » [6]. Plus prosaïquement, l’« erreur » se manifeste en révélant ce qui aurait dû être fait et qui ne l’a pas été. C’est l’« acte dangereux » qui va faire surgir l’« effet indésirable » d’une situation dangereuse, « situation à risque » elle-même issue de la rencontre entre le danger et des « facteurs favorisants », ou « conditions latentes ». Et bien souvent, l’« effet indésirable évitable » s’avère l’aboutissement d’une suite de situations dangereuses et d’erreurs, parfois appelée « cascade » d’erreurs ou d’événements.

Utiliser les mots pour en parler lucidement
L’usage différencié de la notion d’« erreur » conduit à dédramatiser cette dernière, car l’analyse des « facteurs humains » dépasse l’individu pour s’intéresser au système 4. C’est une excellente protection contre une stigmatisation hâtive, à l’égard d’une catégorie de professionnels de santé par exemple, et contre les dérives sécuritaires où la crainte d’engager sa « responsabilité » à travers le risque de commettre des erreurs peut alimenter la réticence à envisager des changements de pratiques pour l’amélioration des soins.
Comprendre l’erreur et la décrire attentivement sont les premiers moyens d’en déculpabiliser l’approche pour en tirer un support d’enseignement à la pratique, pour mieux en protéger les patients et pour les informer honnêtement en toutes circonstances.
En apprenant à regarder l’erreur en face, à en parler spontanément et sans peur, nous cesserons d’en faire un terme stigmatisant stérilement ceux qui l’ont commise. N’est-ce pas aussi en apprenant à éviter que des erreurs analogues ne surviennent à nouveau que l’on peut contribuer à consoler le souvenir associé aux erreurs passées ?


par Etienne Schmitt, Pratiques N°59, novembre 2012

Documents joints


[1a. Prescrire a présenté ses choix de vocabulaire dans un texte dont sont issus les extraits présentés ici (réf.1). Un dossier « Les mots pour Éviter l’Évitable » sur le site Prescrire Éviter l’Évitable, à l’adresse : http://evitable.prescrire.org/Fr/33/193/46362/200/ReportDetails.aspx, présente en détail le vocabulaire relatif aux erreurs liées aux soins ainsi qu’un glossaire français-anglais.

[2Prescrire Rédaction « Éviter l’Évitable : les mots pour en parler », Prescrire 2005, 25 (267 Suppl.), p. 884-887.

[3Illich I, Némésis Médicale. L’expropriation de la santé, Seuil, Paris mai 1975, 224 pages.

[4Prescrire Rédaction « Erreurs en médecine ambulatoire : une recherche balbutiante », Prescrire 2003, 23 (241), p. 543-544.

[5Reason J, L’erreur humaine, PUF, Paris 1993, 366 pages.

[6Kohn LT et coll. “To err is human. Building a safer health system” National Academy Press, Washington 2000, 312 pages. Présenté dans : « Une façon pragmatique d’éviter la iatrogénèse », Prescrire 2000 ; 20 (208), p. 547-549.


Lire aussi

N°59 - décembre 2012

Lu : La cavale de Billy Micklehurst *

par Isabelle Canil
Présenté par Isabelle Canil Une superbe nouvelle : un SDF, Billy Micklehurts, hante le Cimetière du Sud à Manchester, parce que les morts lui ont confié « une partie, petite mais précieuse, de …
N°59 - décembre 2012

La fabrique de l’erreur

par Christiane Vollaire
L’erreur est l’un des moteurs du savoir scientifique. Mais aussi le résultat destructeur de politiques de santé fondées sur le chiffre. Et des crispations corporatistes en assurent trop souvent le …
N°59 - décembre 2012

De "l’erreur médicale" au "rendre compte"

Passer de l’erreur médicale à l’organisation globale du système. Est-ce une réflexion qui s’éloigne trop de la question ? Pierre Volovitch, économiste « L’erreur médicale ». Quand j’ai lu …
N°59 - décembre 2012

Le spectre de l’erreur dans le soin

par Chandra Covindassamy
La demande de répertorier les « événements indésirables » révèle avec acuité les versants technique et relationnel du soin. Loin de s’opposer, ces deux composantes doivent nécessairement fonctionner …