Promenade n° 2 dans les jardins de la psychiatrie (post-)moderne

Aujourd’hui je me suis promené dans une « Note de cadrage de la HAS (Haute Autorité de Santé) sur la place de la contention et de la chambre d’isolement en psychiatrie », de juillet 2015.

La HAS a été saisie par la DGS (Direction Générale des Soins) et la DGOS (Direction Générale de l’Offre de Soins), afin de « Promouvoir des pratiques qui soient adaptées, quand c’est nécessaire, chez des patients pouvant faire l’objet de soins sous contrainte ». Le cadre plus large est celui des droits et de la sécurité en psychiatrie.

La note de cadrage qui vise à réaliser des « fiches - mémo », a été validé par le collège de la HAS

Elle commence par des rappels :
Le Conseil de l’Europe en 2004 recommande des établissements appropriés, une proportionnalité avec des raisons explicites consignées, un contrôle médical, des consignes écrites, un suivi régulier, l’enregistrement double (dossier médical du patient et registre pour l’établissement), et une formation très importante des personnels sur les restrictions de liberté, les droits des patients et les effets de ces pratiques.

Le Comité Européen pour la Prévention de la Torture, dans sa visite du 28 janvier au 10 décembre 2010 observe des variations très importantes d’un lieu à un autre, énonce que la mise en chambre d’isolement est une mesure extrême qui devrait être réservée à un risque imminent de blessure ou de violence aiguë, exécutée sur prescription médicale après que d’autres moyens aient été tentés, pour une durée brève, faire l’objet de protocoles écrits, avec registre accessible au contrôle ; elle précise que la contention mécanique ininterrompue est une maltraitance.

Pour le Rapport Rebillard, il y a un recours problématique aux pratiques de contention et d’isolement thérapeutique qui ne devraient être que de dernier recours, être proportionnelles, comporter des limites de temps, et être consignées sur un registre consultable (norme européenne non suivie en France).

Le Rapport d’activité 2014 du Contrôleur Général des Lieux de Privation de Liberté (Adeline Hazan) dénonce l’absence de traçabilité des mesures de contention et la « haute finalité punitive » de ces pratiques, la non mise en œuvre de recommandations comme la nécessité d’informer particulièrement la personne, et d’avoir un entretien sur le « vécu en chambre d’isolement », le passage inégal, voire absent du psychiatre, les visites infirmières réduites, les restrictions de liberté de mouvement incompréhensibles et les humiliations fréquentes.

Sur le plan juridique, la note de cadrage montre l’absence de dispositions légales ou réglementaires autre que le cadre général de la Déclaration Européenne des Droits de l’Homme. Les lois de 2011 et 2013 sur les soins sous contrainte ne précisent rien sur l’isolement et la contention !

Le projet de Loi de Santé promet une disposition particulière devant comporter : dernier recours, surveillance stricte, inscription dans le registre des soins sous contrainte, rapport annuel de l’établissement.

La note observe également une extrême variation du recours à ces pratiques, mais qu’elles concernent facilement entre 1,5 et 2 % des patients hospitalisés, la France se situant entre les USA et la Suisse ou l’Allemagne, et qu’il y a de nombreux accidents graves !

C’est donc un thème important, par le nombre, la fréquence… et les condamnations des organismes précités. La note fait le lien avec l’organisation des soins, la diminution du nombre de soignants et la formation des personnels. La HAS.veut mettre en œuvre un « Projet de recommandations », et mandate un groupe de travail produisant des « fiches mémo » devant être validée en avril 2016.

Retour de promenade : comment penser cette augmentation actuelle des pratiques d’isolement et de contention, contrastant avec l’humanisation des hôpitaux psychiatriques, l’attention portée aux droits des personnes, la reconnaissance des « usagers », bref le « programme officiel » des mouvements de réforme de la psychiatrie ?

Je pense d’abord aux équipements humains, notoirement insuffisants pour le soin psychique de base dans une unité de soins hospitalière psychiatrique : peu d’infirmier(e)s, des aides-soignant(e)s à la formation initiale succincte. Les conditions d’une pénurie psychique sont aggravées par le détachement des infirmier(e)s vers des tâches administratives. La ligne qui court d’Hôpital 2007 à Hôpital Patient Santé Territoire, puis au projet de Loi de Modernisation de notre système de Santé privilégie systématiquement ce qu’on compte sur ce qui compte, l’activité comptabilisable sur la relation. C’est corrélé avec les théories dominantes sur le psychisme et la maladie mentale, avec leur lecture essentialiste de la folie, et non interactive. Les actes techniques dominent, au détriment de la pratique relationnelle.

De là, je pense le bas niveau aujourd’hui de la formation relationnelle des soignants, notamment des infirmier(e)s, tant dans la formation initiale qu’en formation continue. L’utilisation de soi-même comme ressource principale était au cœur de tout le mouvement des CEMEA par exemple. Sans cette formation, comment interagir avec les patients d’une manière qui rende inutile isolement et contention ? Et comment ne pas favoriser dans ces interactions la violence mimétique, l’escalade symétrique ? La HAS évoque certes la formation des personnels dans sa note… mais elle a bien contribué à la déperdition relationnelle en favorisant une psychiatrie de protocoles et de références scientistes !

Mais les mythes de notre moment historique comptent, aussi : la Liberté était le souverain bien, et la Sécurité l’a dégommée ! Le patient, plutôt que penser son potentiel d’affranchissement, nous sommes sommés de penser son potentiel de dangerosité. De la crise de la psychiatrie de secteur, ravalée dans le projet de Loi de modernisation à une mission parmi d’autres de la psychiatrie, c’est-à-dire à un outil technique, et de la psychothérapie institutionnelle, enfermée aujourd’hui dans quelques bantoustans, quelques ghettos de résistance, sortira-t-il un nouveau projet émancipateur ? Alors l’isolement et la contention diminueront ! Ou bien verrons-nous l’accouchement d’une psychiatrie hypertechnicisée, débarrassée de scories comme psychisme, relation, interaction, contexte ? Alors, ce ne sont pas les « fiches mémo » de la HAS qui feront sauter les chaînes des fous du XXIe siècle !

Pour lire l’épisode 1.

mercredi 30 mars 2016, par Alain Chabert

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