Marlon

Il fallait reprendre la consultation ! Tant pis pour ce rendez-vous manqué … Il ne voulait plus me voir !
En sortant de la maison, j’arrivai à m’entretenir deux minutes avec sa mère et sa sœur, tout était à recommencer. En reprenant mon véhicule, j’apercevais au bout de la rue un groupe de femmes. Etaient-ce celles qu’on attendait ?

Il faut maintenant reprendre depuis le début.

Marlon a vingt ans, il est l’ainé d’une fratrie de six enfants. Sa mère ou sa grand-mère me les a amenés régulièrement depuis quinze ans pour leurs vaccins, leurs bobos ou leurs fièvres.
La maman ne sait ni lire ni écrire et perd souvent sa carte vitale. Elle doit en être à sa vingtième. Elle perd aussi ses jules quand ils séjournent parfois derrière les barreaux. Etant elle-même fille unique, elle forme un binôme avec sa mère qui l’accompagne pour tous ses problèmes.

Marlon a toujours été le plus difficile. A l’école qu’il a désertée dès que possible. Avec sa sœur cadette qu’il molestait régulièrement ; des fractures sportives, des rixes, des TIG [1] puis l’alcool, le cannabis, la coke… Il y a deux ans sa mère m’a appelé au secours. Elle ne supportait plus ses accès de colère, sa violence, son agitation, ses propos incohérents, ses soliloques. Alors elle m’a demandé de le voir en consultation. Il est venu à reculons, minimisant son importance. C’étaient elles qui l’énervaient. Parfois il avait besoin de quelque chose pour mieux dormir ; un joint ou deux et ça allait mieux. Il reconnaissait qu’il était tendu et acceptait un traitement sédatif et anxiolytique. Je lui prescrivais alors de l’hydroxyzine ATARAX® mais refusait de consulter un psychiatre si cela n’allait pas mieux, il n’était pas fou.

La mère et la grand-mère m’annonçaient quelques temps plus tard qu’il n’allait pas mieux. Que c’était difficile, qu’elles avaient peur. Elles pensaient que son père qu’il allait voir parfois au parloir l’influençait et que cela entrainait une agitation et une anxiété de plus en plus envahissante. Comment pouvait-on l’aider ? J’ai prescrit alors un traitement plus fort sous forme de gouttes de halopéridol HALDOL® qu’elles pourraient lui donner pour l’apaiser le soir et diminuer les tensions familiales.

D’après la mère, tout se passait mieux depuis qu’elle lui donnait ce traitement. Il était plus calme, dormait mieux, ne s’énervait plus contre sa sœur. Elle m’avouait enfin qu’elle ne lui avait pas dit qu’elle le mettait dans le lait ou le jus de fruit qu’elle lui apportait le soir dans sa chambre… J’ai eu probablement tort de lui renouveler cette prescription même si je lui disais qu’il était préférable qu’il le prenne lui-même. Mais elles craignent qu’il y ait de nouveau une crise sans traitement. Je leur explique qu’alors une hospitalisation serait peut-être utile même si elle doit se faire en urgence.

Cette accalmie a pu durer presque un an mais un évènement est venu de nouveau troubler la quiétude de la maison. Une altercation entre Marlon et un autre jeune du quartier a dégénéré. Ces jeunes et leur famille se connaissent depuis leur naissance mais une tension existe entre leur famille depuis plusieurs années après un accident. Le litige aurait éclaté après une insulte mettant en doute virginité de la sœur de Marlon. Des coups ont été donnés, puis un grand-frère est venu régler ses comptes en secouant la grand-mère et un coup de feu a été tiré n’ayant heureusement blessé personne. La tension le lundi est à son comble, la grand-mère veut déménager, Marlon est dans un état d’agitation maximum. Le quartier et les familles sont inquiets ; Marlon est décrit comme quelqu’un de dangereux, qu’il faut le soigner !

Je revoie Marlon quelques semaines plus tard. Il a été aux urgences de l’hôpital après un malaise avec des palpitations et il a rencontré plusieurs médecins mais il n’a pas voulu prendre le rendez-vous qu’on lui proposait dans le service de psychiatrie. Il n’accepte pas les conseils que je lui donne en essayant de le responsabiliser vis-à-vis des symptômes qu’il me décrit. Il me parle de l’insomnie, des angoisses, des attaques de paniques, des variations de l’humeur avec parfois des colères très intenses, de comportements violents en parole ou en actes qui peuvent être tournés vers les autres mais également vers lui-même. Mais malgré tout ce n’est pas lui qui est malade, c’est plutôt sa mère qu’il faudrait enfermer à toujours comploter dans son dos. Et il repart !

Je reçois quelques jours après sa mère qui me fait part de sa grande inquiétude vis-à-vis de la violence de Marlon et de son comportement bizarre. Elle ne sait comment l’aider mais maintenant a peur qu’il s’en prenne à elle ou aux autres enfants. Elle a décidé que les petits restent pour quelques temps avec leur père mais les deux grandes sont visées elles-aussi par les propos et parfois les gestes de leur frère. On convient alors que je rédige un certificat d’hospitalisation à la demande d’un tiers s’il avait de nouveau un comportement violent et qu’il ne soit pas contrôlable. C’est ce qui arrive de nouveau quelques semaines après mais il ne reste pas hospitalisé car son comportement en présence du psychiatre est suffisamment cohérent et calme pour qu’il soit estimé qu’une hospitalisation sous contrainte ne se justifie pas.

J’ai cependant un appel à mon cabinet d’un psychiatre hospitalier qui fait partie de l’équipe mobile. Elle me propose de rencontrer Marlon à son domicile en visite conjointe. Un contact sur son lieu de vie pourrait être plus propice à élaborer un projet de soins sans forcément passer par une hospitalisation. J’avertis la mère et nous convenons d’un rendez-vous le vendredi à 14h00. Je m’organise pour décaler mes rendez-vous de consultation. La mère se charge de l’avertir de notre venue.

Je me présente le vendredi en début d’après-midi au domicile. Je tourne pendant un quart d’heure avant de trouver l’entrée du domicile. Quand j’arrive, la mère et la sœur sont devant la porte, elles sont très angoissées, elles n’ont pas dit à Marlon que je venais, elles avaient peur. Je leur propose qu’on lui explique ensemble le motif de ma venue. Elle appelle le jeune homme qui est allongé sur son lit, se reposant ou dormant et donne une explication fumeuse voir fuyante. Rapidement le ton monte, les insultes fusent, la mère s’enfuit. Je demande à Marlon si je peux entrer lui parler.

Il accepte. Il m’écoute à peine, pestant contre les coups fourrés de sa mère qui n’a pas le courage de lui dire les choses en face. Il est en perpétuel mouvement, il me demande ce que je fais là et pourquoi j’ai fait un certificat qui était faux ? Je lui explique que lors de sa dernière consultation il n’était pas bien et que j’ai pensé qu’il pouvait arriver qu’il soit dans un tel état qu’une hospitalisation aux urgences soit nécessaire sans qu’il puisse l’admettre. Il a vu des psychiatres lors de son dernier passage aux urgences et on a pensé utile qu’il puisse rediscuter tranquillement de tout ça avec un spécialiste qui allait arriver d’une minute à l’autre.

C’est pour lui une nouvelle trahison de sa mère ! Il en a marre, tout le monde est de mèche ! Je ne suis désormais plus son médecin, je ne suis même pas docteur. Il déambule en permanence dans la maison, ses propos sont de plus en plus décousus ; il m’insulte. Je lui dis le plus calmement possible que je ne suis pas venu pour me faire insulter mais pour lui permettre de rencontrer un spécialiste et de se soigner mais notre entretien se termine sans que l’équipe mobile psychiatrique n’arrive. Je sors sous d’autres insultes…

Arrivé à mon cabinet je reçois un appel de l’équipe mobile. Elles se sont perdues dans le quartier. Ce n’est que quand je partais qu’elles sont arrivées, elles ont vu mon véhicule s’en aller. Elles ont pu discuter avec la mère mais pas avec Marlon qui est resté retranché à l’intérieur refusant tout entretien. La semaine suivante un nouvel accès de violence a abouti à l’intervention de la police. Il a été placé sous mandat de dépôt …

A posteriori je ressens un réel malaise sur ce qui s’est passé et me demande si j’aurais pu éviter cette extrémité ! Est-ce que c’est en prison que l’on peut permettre à un quelqu’un qui s’y oppose d’accéder à des soins ?

jeudi 15 janvier 2015, par Docteur S.


[1Travaux d’Intérêt Général

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