Les centres d’IVG, des oasis ?, par Martine Lalande - Pratiques N°42

Dans les hôpitaux, il y a des services « à part ». Tels les centres d’IVG(1), ceux qui sont indépendants, avec un accueil et un personnel spécifique, donc motivé. Celui de Colombes, dans la région parisienne, a ouvert en 1975, juste après la loi autorisant l’avortement en France. La première équipe comprenait des médecins de ville et des infirmières qui avaient pratiqué dans la clandestinité avec le MLAC(2). Même la secrétaire avait participé aux avortements faits par ces médecins et des féministes, avant la loi. Etudiants, nous v sommes allés par curiosité et pour apprendre la gynécologie, utile pour le métier de généralistes. D’autres, moins militants, y avaient vu une autre façon de soigner les gens, et étonnés de tant de gentillesse dans l’accueil des femmes, s’étaient dit « C’est comme ça que nous voulons faire de la médecine ». Les équipes ont changé, des infirmières nouvelles ont succédé à celles parties à l’étranger ou à la retraite, des jeunes médecins sont arrivés, mais l’état d’esprit reste. Les femmes qui viennent ne sont pas malades, elles savent ce qui leur convient, nous sommes à leur disposition pour que tout se passe bien. Tout en restant fermes sur le fait qu’elles doivent faire un choix.

Au début de cette expérience, les rôles étaient mêlés, les IVG étaient faites par les médecins, mais l’aide-soignante qui assistait à l’intervention guidait les étudiants : « Maintenant tu changes de canule... à présent c’est terminé...... Son expérience était telle que nous lui faisions entièrement confiance. Les infirmières se chargent de l’accueil et le dossier est fait « à deux voix », commencé par elles, complété par le médecin. C’est l’infirmière qui guide le choix de la femme (IVG par aspiration ou médicamenteuse, choix de la contraception après, dépistage du sida...), puis le médecin fait l’examen, et l’intervention est réalisée à deux. Quand nous avons voulu nous former en Hollande à une meilleure technique d’anesthésie locale, nous y sommes parties, infirmières et médecins ensemble. De même pour les congrès sur la contraception ou de l’association des centres d’IVG(3). Dans les réunions d’équipe, chacune a la parole. Il y a des différences pourtant : en cas de conflit avec l’administration, ce sont les médecins qui font grève, ils sont moins vulnérables. Les médecins ont d’autres activités, sont à temps partiel et ont un meilleur salaire horaire. Les infirmières, aide-soignante et secrétaire sont « permanentes », ce qui leur donne du pouvoir sur les emplois du temps, la circulation des informations et la densité du travail. Elles savent quel médecin on peut « charger » un peu, qui il faut ménager, qui déteste ne rien faire... Il n’y a pas de cadre infirmière, une d’elles se dévoue pour aller aux réunions de surveillantes. Pour recruter une infirmière ou une aide-soignante, on la reçoit pendant une journée et chacune donne son avis. Les étudiants qui viennent en stage apprennent autant des médecins que des infirmières et ils le disent. Au temps de la réorganisation de l’hôpital, avec l’intégration du centre d’IVG dans la maternité de type(3) et le pôle mère-enfant, on ne sait pas ce que deviendra cette « oasis », si des médecins généralistes pourront continuer d’exercer à l’hôpital, si les infirmières ne seront pas réquisitionnées pour travailler dans d’autres services... L’atout de ce lieu est sa spécialisation dans un domaine exclu de la médecine, mais inscrit dans la loi, et très sensible dans l’opinion. C’est sans doute cet héritage de l’histoire des luttes des femmes qui garantit une telle « démocratie » au travail.

1. Centres d’Interruption Volontaire de Grossesse et de contraception, parfois appelés centres d’orthogénie.
2. MLAC : Mouvement de Libération de l’Avortement et de la Contraception.
3. ANCIC : Association Nationale des Centres d’IVG et de Contraception.

Martine Lalande
Médecin généraliste et IVGiste

Pratiques N°42, novembre 2010

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