La sieste

Jean-Pierre Lellouche
Pédiatre

    1. La sieste : Vocabulaire flou et politique incertaine

Tous les enfants de 2 ans doivent ils faire la sieste ? Parmi les enfants de 3 ans, plus de 90 % devraient-ils faire la sieste ? Est-il normal qu’à 4 ans, si peu d’enfants fassent la sieste ? Doit-on considérer la sieste à 6 ans comme une anomalie ? Peut-on faire plus d’une sieste par jour ? Notamment quand on a 3 ou 6 mois ?

Si j’avais à répondre à ces questions, je sais ce que je répondrais.
Pour moi, la sieste est très souvent très souhaitable à tout âge. Mais ce n’est pas à moi de répondre, c’est à nous tous et notamment à ceux qui organisent et dirigent l’école.

Le vocabulaire concernant la sieste est flou, imprécis et à connotation négative. Les responsables de la santé publique ne savent pas bien combien d’enfants de 4 ans font la sieste, ni combien devraient la faire et ont décidé de laisser faire. Après avoir essayé de démontrer ce que je viens d’affirmer, je voudrais montrer le lien entre le flou du vocabulaire et la pauvreté de la politique de santé.

1) Le vocabulaire concernant la sieste est flou et à connotation négative
• Dans le Larousse des débutants CP/CE - 6/8 ans, 2005 : « une sieste est un moment de repos que l’on prend l’après midi. À l’école maternelle, les petits font la sieste » et cette définition est accompagnée d’un dessin représentant un homme couché dans l’herbe avec son chapeau sur le visage avec pour légende : « il fait la sieste dans l’herbe ».
• Dans le Littré : « Temps qu’on donne au sommeil, pendant la plus chaude partie du jour, après le dîner, qui est ou était à midi. « Lorsque nous eûmes mangé comme deux affamés, et bu à proportion, nous nous levâmes de table pour aller au jardin faire voluptueusement la sieste en quelque endroit frais et agréable », [Lesage, Gil Bl. X, 3] « Le sot s’assoupit et fait la sieste en bonne compagnie », [Vauvenargues, Max. CCLIX] »
• Dans le Petit Robert 2014 : « Repos (avec ou sans sommeil) pris après le repas de midi » v. méridienne.
• Dans le Robert du collège 2014 : « Repos pris après le repas de midi » (il n’est pas précisé avec ou sans sommeil)

Le mot sommeil n’est donc pas présent dans la première définition, il est présent dans le Littré pour lequel la sieste est un « temps que l’on donne au sommeil ». Ce n’est pas un temps pour soi !! C’est pour ce dictionnaire un temps qui concerne surtout ceux qui ont mangé « comme deux affamés, et bu à proportion », et « le sot ».

2) Les responsables de la santé publique ne savent pas bien combien d’enfants de 4 ans font la sieste, ni combien devraient la faire et ont décidé de laisser faire. Supposons que les responsables de la santé publique envisagent de favoriser la sieste des 3-4 ans. Ils devraient demander à des spécialistes de dire ce que l’on sait de ce problème.
Or on ne sait sur ce sujet que des choses ponctuelles. J’ai l’intuition que des enfants qui font la sieste sont plus calmes et j’ai l’intuition que des enfants plus calmes font plus volontiers la sieste.
J’ai l’intuition qu’une école où on fait la sieste est moins fatigante pour tous. Pour les enfants mais aussi pour les enseignants et l’ensemble du personnel.
Mais ce ne sont que des intuitions. Il y a très peu de connaissances précises permettant d’affirmer que la sieste est une bonne chose.

Et le refus de la sieste a plusieurs alliés : l’enfant, les parents (ou du moins beaucoup d’entre eux), les enseignants (certains d’entre eux).

L’enfant tout d’abord qui constate très tôt que comme le dit le Larousse des débutants CP/CE 6/8 ans 2005 : « À l’école maternelle, les petits font la sieste » et qui a envie de démontrer qu’il n’est pas un petit et qu’il luttera de toutes ses forces pour ne pas le rester longtemps.

Beaucoup de parents se disent : « il va à l’école pour apprendre et pas pour dormir. S’il dort, il prendra du retard sur les apprentissages scolaires et il sera distancé par les autres et en plus, ayant dormi l’après midi, il aura des difficultés pour s’endormir » et certains pensent qu’un enseignant est payé pour enseigner et que c’est trop facile de se tourner les pouces pendant que les enfants dorment et que : « Je vous le dis, madame Michu, si elle insiste autant pour que les enfants dorment, c’est qu’elle aime mieux ne rien faire que faire ce qu’elle est payée pour ! » (je sais que ce n’est pas très bien dit mais je transcris ce que disent toutes celles et tous ceux qui disent cela à madame Michu).

Certains enseignants soit qu’ils pensent, eux aussi, comme ces parents que la vie est un combat, soit qu’ils renoncent à affronter des parents qui seraient prêts à les juger comme des paresseux démissionnaires, se disent : on attend de moi de l’enseignement, je vais enseigner.

Quel rapport y a t il entre le vocabulaire flou et les politiques incertaines ? Un rapport circulaire. C’est-à-dire que les mots imprécis témoignent d’une réflexion Insuffisante et d’une absence de désir d’agir. Mais aussi que l’absence de mots précis ne favorise pas la pensée (même de ceux qui auraient envie de penser) et représente un obstacle de plus pour l’action.

Supposons que l’on s’intéresse à la sieste. On se demandera ce qui distingue le repos sans sommeil du repos avec sommeil. Est-ce que le repos sans sommeil est plus fréquent à 4 ans qu’à 2 ans ? Est-ce que ce repos sans sommeil est une étape vers l’abandon de la sieste ? Y a-t-il des enfants qui ne font que des repos sans sommeil et d’autres qui font parfois l’un parfois l’autre ? Le repos avec sommeil est-il plus fréquent à certaines périodes de l’année ? Est-il plus fréquent certains jours de la semaine ?

Si on se pose ces questions (et quelques autres), on se rendra compte qu’il est bizarre de nommer de la même façon (sieste) un repos avec sommeil et un repos sans sommeil. Certains enfants ont besoin de se reposer et de dormir avant midi. Doit-on appeler sieste ce qui n’a rien à voir avec la sixième heure des latins ?

Si on parlait sérieusement de la sieste, on éprouverait le besoin de distinguer les différentes situations et on en parlerait naturellement en les distinguant. Les parents et les enseignants distinguent le repos sans sommeil de la sieste avec sommeil, ils parlent de dodo (ou de petit dodo) dans un cas et de reposé (ou petit reposé dans l’autre).

samedi 13 décembre 2014, par Jean-Pierre Lellouche

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