La pub télé, les aliments et les enfants

L’UFC-Que choisir a publié en décembre 2010 une intéressante étude « Marketing télévisé pour les produits alimentaires destinés aux enfants : analyse des engagements des professionnels et impact sur les comportements alimentaires ».

Pierre Volovitch,
économiste

En 2006, l’UFC-Que Choisir publiait une première enquête : 89 % des spots publicitaires intégrés aux programmes « pour enfants » portaient sur des produits gras salés ou sucrés [1]. Dans la même enquête, un sondage montrait que les longues séquences de publicité sur une chaîne de télé, ou tunnels publicitaires, avaient un impact sur le contenu des placards familiaux. Pourtant alertés par la montée de l’obésité chez les enfants, les pouvoirs publics ont privilégié « l’autorégulation » (à savoir des « engagements volontaires » pris sous la seule responsabilité des professionnels de l’agroalimentaire) à des mesures d’encadrement réglementaire du marketing à destination des enfants. En février 2009, les ministres de la Santé et de la Culture signaient une « charte » élaborée par les professionnels. Quel bilan près de deux ans plus tard ?
Les enquêtes disponibles montrent une progression régulière du surpoids et de l’obésité chez les adultes en France. Elles montrent également qu’après une longue période de très forte progression, on assisterait à une stabilisation de l’obésité à un niveau élevé pour la moyenne des enfants, et à une poursuite de la progression pour les populations défavorisées.

Faut-il rappeler que les enfants actuellement en surpoids ou en situation d’obésité sont annonciateurs, pour les prochaines générations d’adultes, d’un nombre encore plus important non seulement de personnes en surpoids ou obèses, mais aussi de personnes affectées à des degrés divers des nombreuses pathologies accompagnant l’obésité (diabète, maladies cardiovasculaires, maladies articulaires...) ? Au-delà des souffrances humaines, faut-il également redire que la Caisse Nationale d’Assurance Maladie a calculé que les personnes obèses dépensent 27 % de plus en soins de ville et 39 % de plus en pharmacie que les autres assurés ?

L’échec de l’autorégulation 
Les engagements des professionnels décrits dans la charte signée en 2009 portaient sur quatre grands axes :
— Des bonnes pratiques de communication publicitaire.
— Une forte diminution des investissements publicitaires.
— Différentes mesures dont le but affiché était de présenter une offre de meilleure qualité nutritionnelle.
— Un engagement d’élaborer et de diffuser des programmes de sensibilisation destinés à promouvoir l’équilibre nutritionnel.
Les engagements de bonnes pratiques de communication publicitaire offrent un faible niveau de protection. Ils ne contiennent en particulier aucune recommandation sur la qualité nutritionnelle des aliments.
S’il y a bien eu en 2008 une baisse des dépenses publicitaires en particulier des « écrans jeunesse » (moins 24 % entre 2004 et 2008), celle-ci a été très ponctuelle et limitée à l’année 2008. En 2009, ainsi qu’en 2010, les dépenses publicitaires ont repris leur progression.
Reste à vérifier comment a évolué le marketing des aliments spécifiquement pour enfants, en termes de qualité nutritionnelle, de plages horaires et de volume.

Un impact encore plus néfaste sur les enfants 
Les plages horaires choisies pour l’enquête de l’UFC-Que choisir sont celles pendant lesquelles on trouve un nombre significatif d’enfants de 4 à 10 ans devant les écrans. Que les programmes regardés soient, ou non, étiquetés « pour enfants ». L’enquête montre qu’un grand nombre d’annonceurs ont fortement réduit la diffusion de leurs produits au cœur des programmes « enfants ». Mais, dans le même temps, on constate un report des publicités alimentaires destinées aux enfants vers les créneaux horaires « tout public » (et qui sont regardés par un nombre d’enfants encore plus grand). De fait, 93 % des spots alimentaires destinés aux enfants occupent désormais les tranches horaires tout public.
L’analyse des caractéristiques nutritionnelles des produits montre que sur l’ensemble de la journée, 80 % des publicités alimentaires destinées aux enfants portent sur des produits gras ou sucrés. Si l’on compare les résultats de 2010 à l’analyse de 2007, on constate certes une progression des produits ayant un intérêt nutritionnel qui passent de 13 % à 20 %. Pour autant cette légère amélioration est loin de modifier le déséquilibre flagrant des produits promus.

Quel lien entre la pression médiatique s’exerçant sur les enfants et l’augmentation de la consommation des produits les plus déséquilibrés ?
L’enquête de l’UFC-Que choisir comporte un sondage en face à face et un relevé de produits consommés (680 interviews en face à face auprès de 340 familles).
En 2010, les petits déjeuners sont majoritairement déséquilibrés. Le petit-déjeuner traditionnel à base de pain est devenu largement minoritaire. Il a fait place à des céréales généralement trop sucrées, qui sont également les produits alimentaires les plus présents dans les publicités diffusées dans les créneaux enfants.
Au goûter, la part de produits trop riches progresse considérablement, passant de 51 % à 64 %, notamment du fait de la forte progression des biscuits dans leurs versions les plus sucrées, des viennoiseries et des gâteaux.
Seule amélioration constatée : des boissons plus « light ». En 2010, les boissons de bonne qualité nutritionnelle sont très majoritaires.

La confirmation du lien entre marketing et alimentation déséquilibrée
L’UFC-Que choisir a voulu vérifier si l’on retrouvait, comme en 2006, un lien entre l’exposition aux publicités et la qualité nutritionnelle des produits consommés par les enfants.
Ce sont les enfants qui sont le plus longtemps exposés au marketing publicitaires (les plus « téléphages » dans l’enquête) dont les préférences alimentaires sont les plus fortement influencées par la télévision. Qu’en est-il des relations parents-enfants pour ces enfants « téléphages » ? Les parents de ces enfants sont peu sensibilisés aux principes de lutte contre l’obésité. Il s’agit de familles dans lesquelles les enfants réclament régulièrement à leurs parents d’acheter des aliments ou des boissons. Et dans lesquelles les parents, jugeant qu’il est difficile de résister, cèdent plus souvent à leurs demandes.
L’étude de 2010 confirme à nouveau le lien entre exposition au marketing télévisé et habitudes alimentaires. Cet impact s’exerce plus particulièrement sur les catégories socioprofessionnelles moins favorisées et des parents ayant un plus faible niveau d’études. Cela tend à montrer une inégalité des consommateurs face à la pression exercée par la publicité sur les enfants.


par Pierre Volovitch, Pratiques N°56, février 2012

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