La prison, modèle de l’hypersurveillance

Présenté par Christiane Vollaire
Philosophe

        1. La prison, modèle de l’hypersurveillance - Sur le livre de Tony Ferri,
        2. Emprisonner et surveiller,
        3. Bréal, 2016.

Emprisonner et surveiller de Tony Ferri est centré sur le concept d’hypersurveillance, qu’il a forgé en 2012 dans l’ouvrage Qu’est-ce que punir ? Du châtiment à l’hypersurveillance. C’est l’omniprésence croissante et invasive des dispositifs de surveillance dans l’espace des sociétés contemporaines, qui est désignée par ce terme.

Mais la force de ce petit livre est qu’il prend la prison, objet particulier de ces dispositifs, non pas comme lieu d’exception au sein d’une société dont elle constituerait la marge, mais au contraire comme centre, modèle et paradigme du fonctionnement social tout entier, comme mise en évidence de son assujettissement à la norme du contrôle.

Et, au-delà de la matérialité même de l’enfermement carcéral, il montre que l’alternative essentielle qui en est proposée (le bracelet électronique), qui apparaît pourtant comme un adoucissement de la peine, accroît encore au contraire, potentialise et diffuse cette autorisation de surveillance, en augmente la dimension invasive par le fait même qu’elle ne nécessite aucune construction architecturale : le panoptique de Bentham, tel que Foucault l’avait déjà analysé dans Surveiller et punir en 1975, ne nécessite plus la présence physique de celui qui surveille au centre du groupe de ceux qui sont surveillés. Mais c’est le corps même du prisonnier, pourtant hors de la prison, qui est porteur, au sein de n’importe quel espace libre, d’un dispositif carcéral qui ne le quitte pas. Le temps de la surveillance électronique fait exploser l’espace du milieu de vie.

Ce modèle de l’incorporation de la surveillance (et par là même de son intégration mentale) est précisément celui des sociétés du XXIe siècle. Un réseau dense et sans échappatoire de production de contrôle, pour lequel il n’est pas besoin de la motivation d’un châtiment ou du prétexte d’un comportement délictueux. Et ce que le livre met en évidence, c’est que ce régime de la surveillance est désormais considéré par ceux-là mêmes qui le subissent comme une norme.

Tony Ferri, philosophe de formation et particulièrement marqué par la pensée de Michel Foucault, a choisi de travailler au sein de l’administration pénitentiaire, dont il peut ainsi décrypter le fonctionnement de l’intérieur : il est conseiller pénitentiaire d’insertion et de probation, à l’articulation de la prison et de la société civile. C’est précisément cette articulation qu’il nous met sous les yeux. Et ceci est aussi pour lui un biais pour combattre l’indifférence générale à la condition des prisonniers : le sort qui leur est fait (incluant les fouilles au corps qui constituent l’un des éléments les plus humiliants du quotidien des condamnés, et sont une autre modalité d’incorporation de la peine) n’est rien d’autre qu’une préfiguration du sort collectif.

Les conséquences juridiques de l’état d’urgence, l’accoutumance à l’omniprésence policière qu’il produit sous les prétextes sécuritaires de la lutte contre le « terrorisme », soumettant chacun au soupçon, transforment ainsi l’espace social en une extension sans limite de l’espace carcéral. C’est sur cette extension sournoise que Tony Ferri, pointant, à la suite de Zygmunt Bauman, les effets d’une « carcéralisation du monde libre » veut ici tirer une sonnette d’alarme.


par Christiane Vollaire, Pratiques N°76, janvier 2017

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