La loi du 5 juillet 2011 – Nouvelle loi ou loi nouvelle ?

L’hôpital psychiatrique est en train de sortir de ses murs pour tout envahir.

Olivier Boitard,
psychiatre des hôpitaux, centre hospitalier intercommunal de Clermont de l’Oise

« La loi relative aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge » a été votée le 5 juillet 2011, avec application au 1er août 2011. De quoi culpabiliser les psychiatres hospitaliers vaquant en cette période loin de leurs collègues confrontés à cette nouvelle disposition ...
Quoi de neuf, parlementaire ? Avant de répondre, rappelons brièvement les principes des deux précédentes législations : celles du 30 juin 1838 et du 27 juin 1990.
La loi du 30 juin 1838, dite « loi sur les aliénés » est une loi de double protection des aliénés vis-à-vis de la société, de la société vis-à-vis des aliénés. Chaque département est tenu d’avoir un établissement pour les accueillir. Elle instaure deux types de placement : le placement ordonné par l’autorité publique ou placement d’office (PO) et le placement par la volonté de la famille ou placement volontaire (PV). C’est une loi qui organise l’internement, mais ce n’est pas une loi d’obligation de soins, limités lors de la promulgation, mais plus développés à son expiration après plus de cent cinquante ans de (bons et loyaux ?) services.
La loi du 27 juin 1990, « relative aux droits et à la protection des personnes hospitalisées en raison de troubles mentaux et à leurs conditions d’hospitalisation » rafraîchit les intitulés : le placement d’office devient l’hospitalisation d’office (HO) et le placement volontaire, qui pouvait prétendre à confusion, se transforme en hospitalisation sur demande d’un tiers (HDT). C’est encore une loi d’enfermement dans laquelle apparaissent les soins sous contrainte : une HDT ne peut être prononcée vis-à-vis d’une personne atteinte de troubles mentaux que « si son état impose des soins immédiats assortis d’une surveillance constante en milieu hospitalier ». Si l’état de santé impose des soins, le médecin s’autorise à délivrer des soins imposés.

La loi du 27 juin 1990 a été marquée par une évolution importante due à un autre texte légal : la loi du 15 juin 2000, qui introduit le Juge des libertés et de la détention (JLD). Il peut être saisi par la personne hospitalisée (ou un proche) contestant la nécessité de la privation de liberté. Mais il n’examine pas systématiquement toutes les hospitalisations sous contrainte.
La loi du 5 juillet 2011 est « relative aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge ». Notons d’emblée que le terme hospitalisation (et a fortiori hospitalisation sous contrainte ou internement) n’est pas cité, même si évidemment l’hospitalisation est incluse dans les modalités de la prise en charge. C’est une loi qui met en avant les soins sous contrainte plutôt que l’hospitalisation sous contrainte : en négatif en introduisant un contrôle supplémentaire de l’hospitalisation, en positif (si l’on peut dire...) en instaurant un « programme de soins » qui court bien au-delà du séjour à l’hôpital.
Les anciennes modalités d’hospitalisation sous contrainte sont respectivement remplacées pour l’HDT par les « soins à la demande d’un tiers » (SDT) et pour l’HO par les soins à la demande du représentant de l’Etat (SDRE). Les modalités d’admission à l’hôpital sont peu modifiées avec cependant l’originalité que l’on peut établir des soins à la demande d’un tiers... sans tiers.
Après les certificats établis avant l’entrée, dans les 24 heures, dans les 72 heures, au bout d’une semaine selon des particularités que l’on ne détaillera pas ici, le patient est présenté au JLD dans les quinze jours d’hospitalisation. Le juge est habilité à se prononcer sur la conformité légale de la privation de liberté, mais aussi sur le fond : la maladie justifie-t-elle l’hospitalisation sous contrainte au vu des certificats et de l’interrogatoire du patient et de son entourage ? Sauf à l’initiative du patient, le juge ne se prononce pas sur le programme de soins à l’intérieur ou à l’extérieur des murs.
A tout moment, le psychiatre peut demander au directeur, qui formellement décide la levée de l’hospitalisation dans le cadre des SDT. Le psychiatre établira ou non un programme de soins ; ce qui pourra influencer ou non la décision du directeur.
Si l’hospitalisation a été décidée par le représentant de l’Etat (SDRE), pour l’instant le Préfet, un jour peut-être le Directeur de l’Agence Régionale de Santé, on retrouve l’échelonnement des mêmes certificats et la comparution devant le juge dans le même délai de quinze jours. Mais, à la différence de la loi de 1990, il est possible de lever une SDRE contre l’avis du préfet. L’article L3213-9-1, qui traite du « non suivi d’un avis médical de sortie d’hospitalisation complète par le représentant de l’Etat » est pourtant peu cité : « Lorsque le représentant de l’Etat décide de ne pas suivre l’avis par lequel un psychiatre de l’établissement d’accueil constate qu’une mesure de soins psychiatriques sous la forme d’une hospitalisation complète n’est plus nécessaire, il en informe sans délai le directeur de l’établissement qui demande immédiatement l’examen du patient par un deuxième psychiatre. Si ce deuxième avis, rendu dans un délai maximal de soixante-douze heures après la décision du représentant de l’Etat dans le département, confirme l’absence de nécessité de l’hospitalisation complète, le représentant de l’Etat ordonne la mainlevée de cette mesure ou la mise en place d’une mesure de soins mentionnée au 2° de l’article L3211-2-1 ».

Dans une circulaire datée du 11 août 2011, les ministres de l’Intérieur et de la Santé mettent les points sur les i, sans doute devant l’incrédulité du corps préfectoral : « si le deuxième avis, rendu au plus tard 72 heures après la demande du Préfet, confirme l’absence de nécessité de l’hospitalisation complète, le Préfet, en situation de compétence liée, ordonne la mise en place de la mesure de soins proposée par le psychiatre traitant et prend un arrêté en ce sens auquel il joint le programme de soins ».
Deux remarques :
—  Cette « compétence liée » qui oblige le Préfet à suivre une décision pour laquelle il n’était pas d’accord paraît exceptionnelle en dehors des décisions et jugements de l’autorité judiciaire.
— La circulaire n’envisage même pas la possibilité d’une sortie de l’hôpital sans programme de soins alors que la loi ne l’impose nullement, que ce soit pour les SDT ou les SDRE. Cette attitude reflète bien les ambigüités de la loi : elle défend les libertés face au risque d’enfermement, mais elle introduit la contrainte hors les murs, d’où son rejet par de nombreux professionnels et les parlementaires de l’opposition qui se disent prêts à l’abroger.
La loi prévoit en effet à la sortie d’une hospitalisation sous contrainte (SDT ou SDRE) la possibilité (mais en pratique l’obligation dans la SDRE) d’un programme de soins dont les modalités de prise en charge doivent être définies par le psychiatre :
— Hospitalisation à temps partiel, c’est-à-dire de jour ou de nuit.
— Visites à domicile (essentiellement dans le cadre d’hospitalisation à domicile).
— Consultations
— Activités thérapeutiques

En dehors du domicile, référence est faite au « lieu de vie habituel du patient ».
L’intrusion au domicile (ou au lieu de vie) sans l’autorisation du patient nous paraît la modalité la plus critiquable du dit programme de soins. Dans les hospitalisations à domicile, jusqu’à présent, le patient manifestait son autorisation de soins délivrés chez lui, en signant son admission, comme dans un établissement de santé. Peut-on instaurer des hospitalisations à domicile sous contrainte sans contrevenir à une liberté essentielle ?

Le non-respect des obligations définies dans le programme de soins est sanctionné par le retour au sein de l’hôpital « immédiat » comme le précise l’article 3211-11 intitulé dans une litote : « Modification de la prise en charge » : « Le psychiatre qui participe à la prise en charge du patient transmet immédiatement au directeur de l’établissement d’accueil un certificat médical circonstancié proposant une hospitalisation complète lorsqu’il constate que la prise en charge de la personne décidée sous une autre forme ne permet plus, notamment du fait du comportement de la personne, de dispenser les soins nécessaires à son état. Lorsqu’il ne peut être procédé à l’examen du patient, il transmet un avis établi sur la base du dossier médical de la personne. »
Cette disposition est très différente de la sortie d’essai prévue dans la loi du 27 juin 1990, qui permettait la réintégration d’un patient au sein de l’hôpital sur simple décision du psychiatre, si son état le justifiait, en pratique lors d’une décompensation. La nouvelle loi, si elle était appliquée à la lettre obligerait le psychiatre traitant à une réhospitalisation d’un patient qui ne suit pas les prescriptions médicales, alors même qu’il se sent et qu’il va bien. On risque d’assister à des internements préventifs injustifiés sur les plans clinique et déontologique (sauf dans les très rares cas de risques de passages à l’acte médico-légaux).
Intrusion au domicile et réhospitalisation sans motif clinique sont les dispositions les plus graves ,du programme de soins qui n’est pas soumis systématiquement à l’appréciation du Juge des libertés et de la détention, mais validé seulement à la demande du patient ou d’un proche. Il apparaît cependant que c’est au psychiatre de définir les modaités du programme de soins et qu’il peut éviter les atteintes les plus graves à l’intimité et à la liberté.
Dans les SDT, sa marge de manœuvre est plus grande que dans les SDRE, car peu nombreux sont les Préfets qui acceptent des sorties « sèches » sans programme de soins. Pour la réintégration que l’on pourrait qualifier d’office, des stratégies peuvent être mises en place pour assouplir cette disposition avec ou sans l’aide du directeur. On remarquera que le terme « immédiat » choisi par le législateur est relativement imprécis si on le compare aux délais prescrits pour les certificats : dans les 24 heures, les 72 heures... ; ce qui laisse donc une certaine marge de manœuvre.
Le titre de la loi du 5 juillet 2011 où le mot hospitalisation n’apparaît pas et son esprit : l’hospitalisation n’est qu’une forme de prise en charge désormais encadrée systématiquement par le juge judiciaire, indique bien un tournant dans la conception de la protection du patient vis-à-vis de la société et de la société vis-à-vis du patient. Que désormais le Préfet doive s’incliner devant l’avis psychiatrique (s’il est confirmé par un deuxième praticien) est vécu comme un progrès par tous ceux qui, dans le passé, se sont heurtés à la volonté sécuritaire du représentant de l’Etat.
Mais en même temps, n’est-ce pas le signe que l’Etat (à travers le Conseil Constitutionnel puis le législateur) fait davantage confiance à la surveillance en dehors des murs pour protéger la société qu’à l’enfermement ? Cette tendance à surveiller plutôt que punir se retrouve dans d’autres domaines de la société : le numéro 105 de la revue de la Fédération des Associations Réflexion-Action, Prison et Justice (FARAPEJ) avait ainsi pour titre : « La prison est-elle en train de sortir de ses murs pour tout envahir ? » Dans son éditorial, Alain Cugno indiquait : « C’est une évidence et désormais une banalité. Nous sommes entrés dans une société de surveillance ». On peut aussi bien dire : l’hôpital psychiatrique est-il en train de sortir de ses murs pour tout envahir ? La psychiatrie de secteur, discipline qui s’est construite en sortant des murs de l’asile, n’était-elle pas le moule tout trouvé pour exercer cette surveillance ? Au risque de modifier considérablement l’esprit et les pratiques de la profession ? Oui la nouvelle loi est bien une loi nouvelle. Qui s’en réjouit ?


par Olivier Boitard, Pratiques N°57, mai 2012

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