La proximité sanitaire, c’est la vie et d’abord la Justice !

Version intégrale de l’article de Paul Cesbron, membre de la Coordination nationale des comités de défense des hôpitaux et maternités de proximité, http://www.coordinationnationale.org/, dont la version courte est parue dans Pratiques n° 70 « La santé, une Zone A Défendre ? »

LA PROXIMITÉ SANITAIRE, C’EST LA VIE
Et d’abord la Justice !

Pas de vie sans relation, pas de santé sans proximité.
Intérêt général et égalité des droits se conjuguent à l’avenir avec l’éloge de la pluralité et l’éclatement du pouvoir.
Toute la culture « égalitaire » de la République impliquait jusque-là comme traitement une répartition très étalée de notre service public sur le territoire national. Pas de commune sans école communale ! L’exigence d’un hôpital dans tout chef-lieu de canton était très largement perçue comme une revendication légitime.
Révolution scientifique et technique, accroissement et bouleversement structurel de la démographie, décélération de la croissance économique, quelles qu’en soient les causes par ailleurs, remettraient-elles en cause justice et égalité des droits au point de menacer de recul la douloureuse et lente marche émancipatrice de l’humanité ?
Il n’est de progrès scientifiques qui vaille qu’au service des progrès humains. Libération et égalité concrète des droits marchant d’un même pas, le service public n’est ni un luxe ni un objet onéreux. Cela reviendrait à considérer l’accès de tous aux soins, à l’instruction, à la culture, à la justice, comme irréaliste.
Alors quelle alternative possible ?

Faut-il rappeler quelques évidences ?
La part de richesses produites destinée à améliorer les conditions de vie de tous, et principalement de ceux qui possèdent le moins, devrait « nécessairement » aller croissant.
Aux gains considérables de productivité dans tous les domaines, très « naturellement » obtenus par le travail des humains et les progrès scientifiques qu’il génère, doivent correspondre une accessibilité toujours plus étendue de tous à la santé.
Progrès ou régression de la justice et de la libération de tous ? Qu’en est-il dans la santé et en quoi les soins de proximité constituent-ils une des réponses à cette interrogation ?

Centralisation et proximité
Une politique de santé se fixant l’égalité d’accès aux soins doit se donner les moyens humains et matériels de concrétiser cet objectif. S’il est important d’assurer à tous une information incitative afin de convaincre, tant de l’efficacité de la prévention et des soins, que de la réalité des moyens mis le plus largement à leur disposition, toute information de qualité passe par de multiples relais, intégrés à la vie sociale et culturelle et tire son efficience qualitative de la proximité.
Les vertus de la concertation, écoute réciproque, pluralité affirmées et soutenues comme richesses sociales s’étayent sur la fermeté réaffirmée de l’objectif précisément explicité.
Centralité et proximité s’épaulent contradictoirement dans une interactivité féconde.

Proximité et démocratie sanitaire
En matière de santé, la proximité est une nécessité humaine, sociale et culturelle. Cet état de bien-être physique et psychique défini par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a pour origine, pour moteur aussi bien que combustible, la qualité de la vie relationnelle. Pas de santé sans une bonne implication sociale, un métier, un emploi, un bon salaire, une alimentation de qualité, un ressourcement culturel permanent. Pratique sportive non compétitive, hygiène de vie, information sanitaire de tous ordres, tout cela relève de la politique générale du pays, mais s’applique, se vit, s’enrichit, s’adapte dans ses implications concrètes au niveau de la cité, des collectivités territoriales. C’est à ce niveau que se fera tant l’appréciation, l’expression des besoins sanitaires, que l’évaluation de la pertinence et de l’efficacité des réponses apportées.
Pas de progrès sanitaires aujourd’hui sans participation active de tous. Toute solution technocratique centralisée, quelles que soient les qualités humaines de ses concepteurs, la générosité de ses objectifs et les apparences de concertation octroyée, souvent d’ailleurs purement formelle et mystificatrice, est vouée aux échecs, désillusions démobilisatrices de toutes sortes et, pire, parfois aux fuites en avant autoritaires et dispendieuses.
Élus locaux et soignants, c’est leur fonction, associations citoyennes défendant et promouvant les services publics, de patients, syndicats représentants les travailleurs de la santé…, en un mot tous les acteurs de la vie sociale de la commune, de l’agglomération et au-delà, doivent très précisément participer à la définition des objectifs de santé, à la mise en œuvre des décisions et à l’évaluation des moyens engagés.
La proximité, c’est d’abord la source et la qualité du lien social. Son appauvrissement souligné par tous, déshumanise nos cités et génère l’isolement, la désespérance individuelle et collective, l’incivisme de toute nature, l’intolérance, la haine de l’autre, la xénophobie, la violence.
Fermer une maternité, lieu fondateur d’humanité par excellence, c’est briser l’une des sources les plus fortes de liens humains.
Fermer un hôpital de proximité, quelles que soient les allégations avancées, est attentatoire à la vie de la cité, à la vie de chacun de ses membres par appauvrissement sanitaire (déserts médicaux), culturel et social.
À ce titre, ces lieux d’accueil et de soins ont nécessairement place dans toute communauté humaine. Vouloir les en isoler pour des raisons diverses, d’apparente efficacité, est folie et va à l’encontre des objectifs affirmés. Tenter d’éloigner de la cité la souffrance et la mort pour des raisons d’ordre économique, technique ou administratif, est en définitive revenir à la « quarantaine » d’autrefois, aux pratiques d’éloignement et de concentration des pestiférés, aggravés de l’inexcusable méconnaissance de ce qui est désormais un très solide acquis culturel.
Que dire aussi de l’importance de l’accueil, des premiers soins à celui qui souffre, dont la vie risque brutalement de basculer dans le vide, de celui qui se sent en danger ? C’est évident, le premier soin d’urgence relève de la proximité. Tout soignant connaît l’importance des premières paroles, des premiers gestes face à l’angoisse parfois extrême du blessé, du malade, du désespéré, des parents, de l’entourage… Et si l’excellence technique des premiers soins apportés est principale, les qualités d’écoute, de calme, de sympathie du soignant n’en sont pas moins essentielles.
Enfin, la santé est aussi et souvent menacée par les traumatismes affectifs, les liens brisés.
N’est-ce pas justement dans un rapport sanitaire de proximité que cette souffrance sera la mieux entendue et aussi sans doute la mieux traitée ?
Naissance, souffrance, maladie et mort sont inscrites au cœur même du destin humain, de l’histoire réelle de chacun d’entre nous.

Proximité et qualité des soins
Ces dernières décennies, les difficultés économiques ont été mises en avant pour justifier la fermeture de lits hospitaliers, puis de services et enfin d’hôpitaux eux-mêmes. Sans parler de l’élévation du coût de santé infligée à chacun (reste à charge pour les patients) et du dégagement de la Sécurité sociale reportant les remboursements sur les mutuelles et assurances privées dont les tarifs varient avec l’état de santé lui-même.
À l’argument du tarissement des ressources de l’État, crise oblige, de l’élévation accélérée des dépenses de santé, plus rapides que la croissance du produit intérieur brut, est venue s’ajouter celui d’insécurité sanitaire de certains services, de certains hôpitaux. Le comble, c’est qu’en réduisant les moyens d’une unité sanitaire, sa fragilisation la rend inévitablement inapte à assurer sa fonction, l’amène à terme à la fermeture, chaque soignant ou administrateur percevant la dangerosité de telles situations. La lutte apparaît alors sans effets.
Beaucoup de personnalités politiques et administratives se sont prêtées à cette campagne de désinformation : c’est la structure de proximité, par nature, en raison de l’inexpérience prétendue de ses soignants, qui fut rendue responsable d’insécurité sanitaire ! Ce mauvais procès n’a jamais pu être honnêtement étayé. Les enquêtes menées par l’Association des petites villes de France, la Caisse Nationale d’Assurance Maladie et les travaux de Jean-Marie Clément, ancien directeur d’hôpital et ancien Inspecteur Général de la Santé, ont montré que les hôpitaux de proximité ont une morbidité et une mortalité liées à la iatrogénie inférieures à celles des grandes unités. Mieux, ces études illustrent clairement le fait que ces hôpitaux ont le plus souvent bien assuré le transfert des malades présentant une pathologie relevant de soins spécialisés vers les services de référence départementaux ou régionaux.
Agence Régionale de Santé et tutelles diverses insistent aujourd’hui beaucoup pour obtenir la formalisation de filières de soins. Or il se trouve que sans contrainte administrative, cela s’est fait souvent avant ces recommandations. Cependant, beaucoup d’unités de proximité ont aujourd’hui les plus grandes réticences, en raison des menaces ouvertement brandies contre elles, à accepter ce qu’elles considèrent comme un jeu de dupes. La complémentarité ou autres réseaux de soins n’étant souvent à leurs yeux, et non sans raison, que stratagèmes de phagocytose dissimulés sous des accords en trompe l’œil de fusion.

Désormais le dossier est suffisamment bien construit pour permettre aux hôpitaux de proximité de reprendre l’offensive et briser ainsi la dangereuse logique de fermeture concentration des moyens et de limitation des hôpitaux publics à leur fonction réductrice et inhumaine de plateau technique. Il faut aujourd’hui d’importants moyens pour accueillir, soulager et guérir si possible. Mais parce que l’espèce humaine n’est pas réductible à sa dimension végétale, ni même animale, il nous faut surtout de l’humanité, c’est-à-dire des ressources humaines qui, pour atteindre leur plus grande efficacité, soient proches de tout lieu de souffrance. La proximité, plus qu’hier, en raison en particulier de la fragilisation de nombreux liens humains, est facteur de progrès sanitaires.
Aux exigences technocratiques dont sont principalement porteuses les Agences Régionales de Santé, opposons l’efficacité sanitaire et sociale de la proximité. Ni la grande majorité des naissances, ni la plupart des urgences médicales, pathologies aiguës ou chroniques ne relèvent de la prise en charge de Centres Hospitaliers Régionaux et Universitaires, qui souffrent par ailleurs d’un encombrement nuisible à la qualité des soins. C’est d’abord les soins de proximité qui accueillent, écoutent, calment, assurent les premiers soins et évaluent la gravité de la pathologie et le niveau hospitalier dont elles relèvent.
C’est dans des rapports de respect des prérogatives de chacun que s’établissent des liens professionnels et institutionnels efficients, gages indispensables du succès des filières de soins.
Nous possédons d’extraordinaires outils de communication. Informations, formations, transparences sont actuellement assez simplement accessibles à tous, même si les tentatives de dévoiement sont permanentes et que la volonté est grande d’en faire des instruments de pure gestion ou, plus grave, de surveillance, mystification ou contraintes.
C’est principalement de réseaux dont nous avons besoin pour au mieux traiter, guérir et en définitive structurer, formaliser nos liens institutionnels à tous niveaux de l’aide-soignante ou du rééducateur à domicile, en passant par l’omnipraticien et l’unité hospitalière de proximité, jusqu’aux services universitaires destinés à la recherche clinique, à l’élaboration de protocoles et à la prise en charge totale ou partielle de pathologies complexes ou rares.

Proximité et économie de santé
A la fuite en avant déshumanisante, technocratique et concentrationnaire, en définitive inutilement coûteuse, doit s’opposer, et de nombreuses études en attestent également, l’organisation systématiquement soutenue et incitée de la proximité.
Si une angiographie numérisée ou un tomographe à émission de positons n’est pas nécessaire dans tous les chefs-lieux de canton, pourquoi prétendre que toutes les unités vont exiger des moyens excessifs ? L’enjeu de la proximité – dans une politique de santé se donnant pour objectifs principaux les réponses les plus appropriées, les plus humaines aux besoins de santé, les plus démocratiquement évaluées et l’égalité d’accès aux soins – est par lui-même suffisamment passionnant pour qu’il n’ait besoin d’incitations techniques inutiles. Et il va falloir faire preuve d’initiatives et de créativité pour inverser le cours de cette funeste histoire.
Et puis, la logique de proximité va sans doute dans le sens d’une véritable économie de la santé au service de la justice, même si elle a contre elle une longue culture technocratique et centralisatrice, ainsi que les objectifs mercantiles des grandes firmes de l’industrie du matériel biomédical et de la chimie des composants pharmaceutiques.

Deux à cinq centres de santé autogérés avec une représentation des élus, de l’ensemble des soignants et des représentants des médecins libéraux s’ils le souhaitent.
Assurant si possible leur activité 24 heures/24 tous les jours de l’année en lien étroit avec les urgences hospitalières.
Associant généralistes et spécialistes salariés, garantissant le tiers payant et excluant tout dépassement d’honoraires, définissant les actions de prévention et les exigences de fonctionnement du centre.
Ces centres de santé, de type associatif ou communal (ou communautaire ?) ne s’opposent pas à la pratique de la médecine libérale à laquelle ils peuvent être associés sous forme conventionnelle en fonction des souhaits de tous.
Les centres de santé comportent outre les médecins, des infirmières et infirmiers, kinésithérapeutes… éventuellement radiologues et chirurgiens-dentistes.
Un collectif local de santé ou plusieurs collectifs élaborent en permanence en lien avec les Observatoires régionaux de santé un rapport annuel sur le constat de la situation sanitaire, les exigences des besoins de la population qui en découlent et analysent l’application des décisions prises.
Un contrat local de santé est alors défini par l’ensemble des soignants, de la population, des centres régionaux de santé et hôpitaux départementaux ou régionaux.
Ils comportent un projet de prévention et de soins ainsi qu’un projet de fonctionnement et de suivi.

À l’échelon de la France, un tel dispositif, justifie l’existence d’une à deux maternités de niveau II et services médecine et de chirurgie dits de référence, par département, et un ou deux Centres Hospitaliers Universitaires, assurant formation, recherche et soins par Région.
La mise en route d’un tel projet sanitaire justifie la tenue d’États généraux de la santé, porteurs de cette exigence nouvelle, sources de progrès démocratiques comme de progrès sanitaires. Il faut faire des soins de proximité.

Propositions pour une proximité sanitaire effective
Il nous faut tout d’abord définir les limites géographiques et démographiques d’un bassin de vie.
Proposons et analysons le bien-fondé d’une population équivalent entre 50 000 à 150 000 habitants (environ 1 000 en France) et d’une distance équivalente à 30 minutes maximum de déplacement pour se rendre à la maternité et aux urgences les plus proches, compte tenu des difficultés routières et aériennes de toutes natures (urbaines, rurales et climatiques).
Un tel maillage territorial nécessiterait par bassin de vie :
– de 200 à 500 médecins (environ 300 000 pour la France) toutes spécialités et tous modes d’exercice compris (la médecine générale en occupant environ les deux tiers), salariés de centres de santé, de l’hôpital et des services de prévention, ou libéraux, selon leur choix, regroupés ou non en maisons de santé.
– un hôpital maternité-chirurgie-obstétrique (MCO). La maternité de niveau 1 étant dirigée par les sages-femmes elles-mêmes, le ou les services de médecine comportant les principales spécialités dont l’ophtalmologie, la chirurgie – pratiquant à la fois la chirurgie viscérale, gynécologique et osseuse et participant à l’activité obstétricale chirurgicale – l’anesthésie, la radiologie et les examens biologiques courants nécessités, le point d’appui essentiel à toute politique de santé se donnant pour finalité la prévention de toute pathologie et l’accès de tous à de soins de qualité.

mardi 3 novembre 2015, par Paul Cesbron

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