L’indifférence, par Sylvie Simon - Pratiques N° 42

J’ai reçu récemment une dame âgée, elle est venue me voir recommandée par une de mes patientes, cette dame souffre du dos depuis longtemps, mais remet toujours à plus tard la décision de se soigner. Ces séances représentent un effort financier pour sa petite retraite et son mari très malade a la priorité.

A voir ses mains déformées, ses articulations typiquement bruyantes aux mobilisations, je pense qu’elle a peut-être une polyarthrite rhumatoïde, ce serait bien d’en être sûre et en plus elle pourrait bénéficier d’une prise en charge à 100 %, et se soigner convenablement. Je lui fais un courrier pour son médecin.Elle est revenue la séance suivante toute penaude, sans examen, elle m’a simplement dit qu’elle n’oserait plus rien demander « J’ai l’impression de réclamer la charité ». A la demande d’une recherche de la maladie, son médecin rétorque qu’elle ne doit pas se mettre des idées de maladie dans la tête.

A la demande d’un transport, pour emmener son mari à l’hôpital « Ça lui fait du bien de marcher » alors qu’il y a une heure de métro, deux changements et que sa femme doit l’accompagner car il perd la tête.
Je me demande quel est le problème pour ce médecin. Trop de papiers à remplir ? Eviter de se faire remarquer par la CPAM ? Il n’accepte pas qu’un kiné lui suggère un examen ?
Cette patiente ne changera pas de médecin, à son âge c’est difficile les grands changements, elle ne s’est pas fâchée car elle n’aime pas les conflits.

Moi j’attends toujours la réponse, mais c’est vrai ? De quoi je me
mêle : ce médecin ne me demandait pas mon avis, juste d’exécuter une ordonnance.
Il me ramène quelques années en arrière, à l’époque le seul contact avec certains médecins, c’était la prescription. J’essayais de deviner le soignant derrière le bout de papier, parfois le contenu descriptif me disait ce que je devais faire. Déjà, à l’époque, je ne croyais pas que l’on peut prescrire des séances de rééducation comme on prescrit un médicament. La considération du patient dans sa globalité, de sa fragilité, de son caractère, de son histoire, demande forcément de prendre le temps de la concertation.

Considérer le travail du kinésithérapeute, c’est aussi respecter le corps des patients. Aujourd’hui, j’accepte rarement les personnes qui ne me sont pas adressées par un médecin que je connais, et pour cause. Le métier de soignant est difficile, encore plus si on s’épuise à travailler à contre-courant.

Je sais l’importance d’une bonne coordination médecin/kinésithérapeute et combien elle améliore la qualité des soins. Le médecin de cette dame n’a pas voulu entendre, n’a pas voulu voir, je l’ai dérangé dans ses habitudes. Il m’a replongé dans ce sentiment d’impuissance, de solitude qui pousse sûrement les soignants à devenir comme lui, indifférent.

Sylvie Simon
Kinésithérapeute, ostéopathe

Pratiques N°42, janvier 2011

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