L’Etat et la pharmacopée

Les autorités de santé par le Code de la santé publique, et depuis 1818, par le Codex, appelé aujourd’hui la pharmacopée, régulent l’entrée et la sortie des substances qui peuvent être commercialisées en pharmacie.

Guy Helluin
Pharmacien

Les règles de délivrance des produits peuvent être modifiées. Des spécialités, des produits disparaissent parce que leur rapport bénéfice risque est jugé insuffisant, ou lors de leur utilisation hors AMM [1] ou de leur usage détourné.
L’héroïne fait partie des substances retirées de la vente, sa dernière apparition au Codex français date de 1949. La délivrance de l’opium et de ses dérivés se faisait sur présentation de bons de carnet à souche, cette disposition réglementaire contraignante a amené le législateur à assouplir la loi. Pour des raisons pratiques, il a été établi des doses dites d’exonération par prise et par conditionnement qui ne doivent pas être dépassées pour les spécialités destinées à la vente au grand public. Ainsi la méthylmorphine ou codéine, l’éthylmorphine ou codéthyline se retrouvent dans des formules antitussives en vente libre. Certains consommateurs cherchent à retrouver les effets des opiacés et détournent ces médicaments de leur usage en dépassant largement les posologies. La codéine et la codéthyline du Néo-codion®, par exemple, peuvent servir de substitut aux autres opiacés. On voit fréquemment les petites boîtes vertes abandonnées sur les trottoirs des pharmacies de garde. Le codoliprane ne connaît pas le même succès, sans doute à cause de la dose de paracétamol. Les formes sirop, qui constipent beaucoup plus, sont peu utilisées. Ces produits sont toujours en vente libre, à condition d’en acheter une seule boîte à la fois. La vente des teintures d’opium safranées ou benzoïques, comme le Laudanum ou l’élixir parégorique, destinées à soigner les diarrhées a été freinée. Les laudanums de Rousseau ou de Sydenham ont été à la mode chez beaucoup d’artistes et écrivains au début du vingtième siècle. Aujourd’hui, il faut une ordonnance sécurisée. Les comprimés à base de poudre d’opium comme les comprimés parégoriques à 25 mg ont disparu, et l’élixir parégorique n’est plus en vente libre que dilué dans du sirop pour empêcher l’extraction de l’opium qu’il contient.

La cocaïne figure toujours à la pharmacopée, elle s’utilise encore comme anesthésique de surface dans la préparation du mélange de Bonain. Le Coca-Cola lui, ne contient plus de cocaïne depuis 1929. Dans les années 70, le Mandrax®, hypnotique à base de méthaqualone et de dimenhydrinate, a été supprimé : il était utilisé mélangé à de l’alcool, c’était le whisky-M.
Les amphétamines ont été utilisées longtemps comme stimulant et dopant, et pas seulement par les sportifs. L’Actiphos amphétaminé a aidé à ne pas s’endormir les étudiants qui pouvaient le supporter. Quand le Maxiton® a été retiré de la vente, c’est son isomère lévogyre, le Corydrane® (en vente libre) qui a pris le relais. Surnommé dans le Vidal par le laboratoire « l’aspirine qui remonte », il a effectivement surtout servi comme dopant grand public avant sa suppression en 1971. Ce super café pouvait s’utiliser par exemple sur la route des vacances : ce n’était pas inutile pour emmener toute sa famille jusqu’à Porto, en partant après sa journée de travail, sans autoroute, sans dormir, avec une voiture surchargée. Restaient quelques anorexigènes qui ont totalement disparu avec le Médiator®.
Le cas du chloroforme est particulier puisque ses propriétés anesthésiques ont été utilisées pour commettre des agressions, sa vente s’est trouvée réglementée. L’éther bénéficiait d’une exonération pour des flacons de 125 ml en vente libre. Ce n’est plus le cas maintenant. On s’en servait surtout pour décoller des pansements, mais il était aussi détourné pour l’usage interne. Certains trempaient un sucre dedans avant de le croquer, d’autres le buvaient directement à la bouteille et le flacon de 125 ml ne leur suffisait pas toujours. Quand la réglementation est arrivée, cette pratique n’était plus très courante.
Les accessoires comme les seringues ont aussi connu des variations de conditions de délivrance. Avec l’interdiction de vente, il n’était plus possible à une certaine époque de délivrer sans ordonnance les injectables dont le conditionnement renfermait des seringues comme les vaccins. Aujourd’hui, on est revenu à la vente libre.
Les cigarettes et poudres (Escouflaire, Fumantergyl, Louis Legras) destinées à soulager les crises d’asthme se vendaient encore il y a quelques années ; le législateur a jugé utile de les condamner. Dans la même charrette, on trouve les cigarettes à l’eucalyptus et les cigarettes en chocolat. L’évolution est constante et la loi essaie de suivre de près la vie des produits pour en freiner les dérives et mésusages.


par Guy Helluin, Pratiques N°58, juillet 2012

Documents joints


[1Autorisation de mise sur le marché.


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