Jean-Robert Pradier : un médecin militant

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Cet interview a été réalisé par Patrick Dubreil

PREMIERE PARTIE : Les Africains à Thouars et la guerre d’Algérie

Quelles sont tes origines, les rencontres de ton enfance ?

Je suis né en 1939. Enfant, à Thouars dans les Deux Sèvres, j’étais dans un collège catholique privé dit « libre ». En Afrique, des missionnaires repéraient des jeunes africains aptes à étudier ou issus de familles aisées et les envoyaient dans ce collège. Ces jeunes restaient toute l’année isolés, personne ne leur parlait dans la cour de récréation, c’était très dur pour eux, ça me touchait de les voir ainsi. Alors, au moment des vacances, j’étais un des rares à aller les chercher pour les emmener chez moi. Tu ne peux pas savoir ce qu’ils m’ont appris. Mes parents étaient des boulangers, ma mère, fille de paysan, mon père, fils de boulanger. Ils ont voté à droite toute leur vie mais ils étaient ouverts et non racistes, ils ont toujours accueilli ces jeunes.

J’étais imprégné de l’idéologie dominante, j’ai appris à l’école primaire et je pensais que les Français amenaient aux Africains la civilisation. Ces amis africains m’ont fait découvrir ce qu’était la colonisation. Ils avaient non seulement une gentillesse mais un niveau de conscience politique supérieur à nous. Ce fut salutaire pour moi. Ils m’ont apporté une ouverture vers l’autre, j’ai eu cette chance incroyable. Lorsqu’éclata la guerre d’Algérie en 1954 (j’avais 15 ans), je me suis engagé pour la paix et la décolonisation.

Comment es-tu entré en médecine ?

Cette rencontre avec ces Africains a à voir avec mon envie d’être médecin. Au sein de la faculté de médecine de Poitiers, régnait un milieu « Algérie française », avec des fils de médecins, de patrons, de familles liées à l’OAS. J’étais à part, je militais à l’UNEF qui était contre la colonisation en Algérie, ce fut déterminant pour moi. Lors du putsch d’Alger, le 21 avril 1961, lorsque j’ai pris la parole dans l’amphithéâtre, une femme s’en est pris à moi en me disant qu’elle allait me "crever les yeux", elle était fille de pieds-noirs...

J’avais des contacts avec l’AGEMP qui était très engagée dans la lutte anti-coloniale. Certains médecins militants ont même fait de la prison pour aide au FLN dont André Basch, le fils de de Victor Basch (1), et aussi Daniel Timsit (2). J’ai connu plus tard D. Timsit lors des CE du SMG, il était très intéressé par notre démarche syndicale, on a discuté de l’Algérie et de la Palestine.

C’était une période d’ébullition au niveau des idées. Un des présidents de l’AGEMP, Jean-Claude Pollack a écrit après 68 un livre intitulé « la médecine du capital » : il y écrivait que plutôt que d’imaginer des modèles de démocratisation de la médecine, il fallait faire la critique du modèle médical des sociétés bourgeoises et politiser le fait médical pour trouver ce qui, dans la maladie, malgré l’écran de la médecine, peut contrer l’ordre social et par conséquent le menacer. J.C. Pollack avait, de plus, une facilité d’élocution, une clarté et un charisme impressionnants. Il était étudiant communiste au sein d’une tendance très contestataire. Plus tard, il fut psychiatre à la clinique Laborde, près de Blois (voir la deuxième partie). L’AGEMP était puissamment aidée par la MNEF : ces deux organismes développaient une réflexion sur la place de la médecine et de la santé dans la société.

Pendant la guerre d’Algérie, il y avait des médecins engagés. Au PCF, on était médecin « traditionnel », on travaillait le jour, le soir on allait aux réunions de cellule et on allait distribuer des tracts : on était militant et médecin. Peu à peu ont émergé les médecins militants. En 1962, l’UNEF a organisé les premières assises nationales des étudiants en médecine sur le thème de "la place de la médecine dans la Nation", ce fut un virage pour moi. Ces rencontres étaient organisées dans un centre culturel à l’abbaye de Royaumont dans la région parisienne. Les actes des rencontres sur divers thèmes étaient souvent édités. Je suis monté de Poitiers. J’ai cherché les actes de ces assises mais je ne les ai jamais retrouvés. J’ai découvert que l’on pouvait militer à partir de sa pratique professionnelle, qu’à travers « sa » médecine, on affirmait une dimension politique. Il y avait des gens de la clinique de Marseille qui ne fonctionnaient pas dans le libéralisme, mais dans la pluridisciplinarité et le salariat, toutes les bases de ce qu’on a voulu faire après dans les USB. Ces assises m’ont dynamisé pour faire du travail sur la santé.

La guerre d’Algérie a vraiment marqué ta vie...

La lutte pour la paix en Algérie m’a beaucoup occupé pendant ma vie étudiante. A partir de cette pratique et de cette conscience politique, tu remets pas mal de choses en cause, j’ai donc réfléchi à ce que pouvait être un engagement de médecin dans la société et ce que pouvait être une pratique médicale. Cet engagement et plus tard, le travail avec les maghrébins en France, ont été une sacrée ouverture.

Après l’indépendance de l’Algérie, en 1963, je n’avais pas fini mes études, je suis parti m’occuper d’orphelins de guerre pendant 3 mois. J’avais 24 ans et je n’avais jamais quitté la France. J’étais dans l’Atlas de Blida, une région de l’Algérois, avec deux mille gamins dans un village. J’ai découvert la faim, mais au bout de quinze jours on s’habitue et cette sensation disparaît. Je m’occupais de la santé des enfants. Avec ma rationalité d’Européen, un jour, je me suis dit : « ils n’ont pas de calcium, ils ont besoin de fromage ». Je ne savais pas qu’il n’y avait pas de fromage en Afrique. A chaque fois que les gens du ministère passaient, je les harcelais en leur disant qu’il en fallait pour ces gamins. Un jour, ils sont venus avec du fromage hollandais à croûte rouge, je ne sais pas où ils l’ont trouvé, parce qu’il n’y avait "rien" en Algérie. J’étais tout content, mais évidemment, les gamins n’en ont pas mangé ! Ils me disaient : « tu as de la chance, tu serais venu l’année dernière, on t’aurait tué » (rires).

C’était bouleversant. Je revenais parfois à Alger. Il y avait un homme qui m’emmenait toujours manger chez lui. Son père travaillait à la RSTA, il faisait vivre toute la famille. Il y avait deux petites gamines que je voyais jouer, j’ai malheureusement égaré leurs photos. Au bout de la troisième rencontre, j’ai découvert que c’étaient les filles d’un fils de la famille qui avait été tué par l’OAS. Tu vois, tu ne te sens pas à l’aise dans ces conditions... J’ai ensuite parcouru l’Algérie en stop. Quand j’arrivais dans les villages, on m’accueillait toujours, c’était extraordinaire. Cela m’a marqué et m’a permis de réfléchir, de progresser, et d’imaginer ce que je pouvais faire politiquement à travers la santé. J’étais en rupture, je n’avais pas envie d’ouvrir mon cabinet et d’aller distribuer mes tracts le soir ou le matin comme les militants classiques.

Quand as-tu terminé tes études ?

Je ne sais pas… (rires)

AGEMP : Association Générale des Etudiants en Médecine de Paris
CE : Commission Exécutive (du SMG)
FLN : Front de Libération Nationale (algérien)
MNEF : Mutuelle Nationale des Etudiants de France
OAS : Organisation de l’Armée Secrète, ultras de l’Algérie française
PCF : Parti Communiste Français
RSTA : Régie Syndicale des Transports Algérois
SMG : Syndicat de la Médecine Générale, créé en 1975
UNEF : Union Nationale des Etudiants de France
USB Unités Sanitaires de Base, crées par le SMG, dans les années 1980, premières maisons de santé

Biographie (source Wikipédia)

1. André Basch, né en 1933, médecin, est le fils de Victor Basch, En 1898, Victor Basch est le cofondateur de la Ligue française pour la défense des droits de l’homme et du citoyen ; il en sera d’ailleurs le quatrième président à partir de 1926. Correspondant de presse, puis professeur d’allemand, de philosophie et d’esthétique, juif hongrois naturalisé français, socialiste anti-conformiste, il s’est battu dans sa jeunesse pour Dreyfus. Septuagénaire, il a pris une part importante dans la naissance du Front populaire et a apporté son soutien aux républicains espagnols. En janvier 1944, la milice de Lyon, dirigée par Paul Touvier, repère Victor Basch à Caluire-et-Cuire. Le 10 janvier 1944, accompagné d’une dizaine de miliciens (en particulier Lécussan, le chef régional de la milice) et du Lieutenant Moritz de la Gestapo, il participe lui-même à l’arrestation de Victor Basch et de son épouse Hélène, âgée de 79 ans, qui refuse de le laisser. Lécussan, accompagné d’autres miliciens et de Moritz, conduira alors le couple à Neyron dans l’Ain où Victor et Hélène Basch seront abattus de plusieurs coups de feu, le soir même.

2. Daniel Timsit, né en 1928 à Alger, il fut militant du Parti communiste algérien (PCA) puis du FLN. Il naît dans une modeste famille de commerçants juifs, son grand-père maternel étant grand-rabbin. Il s’inscrit en faculté de médecine. En 1955, il est l’un des responsables des étudiants communistes d’Alger. Clandestin à partir de mai 1956, il participe au réseau bombes de Yacef Saadi durant la bataille d’Alger. Arrêté en octobre 1956, jugé en mars 1957, il est détenu à El Harrach puis à Lambèse, puis transféré en France en janvier 1960. Libéré en mai 1962 à Angers, il rentre à Alger en juillet 1962. Il meurt à Paris en 2002, année de la publication de ses carnets de prison : Récits de la longue patience, Flammarion/Bouchène

Fin de la PREMIERE PARTIE


DEUXIEME PARTIE : l’ébullition de 68 et les implications dans la santé

Arrivent mai 68, puis Septembre noir en 1970…

C’était une ébullition, il y avait des comités d’action dans tous les domaines dont celui de la santé. A Poitiers, pendant les événements, on a fait des rencontres nationales des CAS avec d’autres professionnels du soin. A Paris, des gens de la GP ont créé le GIS et le GIP.

Quand il y a eu "Septembre noir", la répression des Palestiniens en Jordanie par l’armée jordanienne, quatre militants du GIS dont Jean-Daniel Rainhorn (1) sont partis dans les camps palestiniens. Ils sont tombés sur une organisation de la santé qui les a étonnés, avec un travail collectif d’éducation et de prévention.

Cette expérience en Palestine a donné du grain à moudre aux médecins français du GIS qui se sont rendus là-bas. Quel a été le lien entre l’engagement de ces médecins et la création du SMG ?

Effectivement, en revenant en France, ils se sont dit qu’il fallait absolument créer une organisation de médecins qui milite pour faire des structures différentes de pratique médicale. Ils ont donc créé le SMG puis la revue Pratiques, les cahiers de la médecine utopique, qui porta ce projet. L’idée de J.D. Rainhorn était de défendre la médecine générale.

J’avais une vision gauchiste, très utopique. Je me souviens d’une affiche de mai 68 qui montrait un médecin, une infirmière et une aide-soignante qui se tiennent par le bras avec un slogan du type : « en avant vers la santé nouvelle », un truc comme ça. Mais j’avais peur des organisations uniquement composées de médecins. Il y avait une telle pesanteur sociologique qui se traduisait syndicalement par l’hégémonie de la CSMF. Je me disais qu’il n’y avait rien à faire avec les médecins. A l’époque, c’était étonnant, mais la CGT était à tous les congrès de la CSMF. Pour eux, c’était le syndicat des médecins, mais qu’est-ce que ça veut dire le syndicat des médecins ? Ils ne connaissent pas la loi de la lutte des classes. C’est pourquoi la première année, je ne suis pas entré au SMG. J’étais déjà installé au Sillon (1). En 1976, Anne Marie Prinet, médecin du SMG, m’a invité chez elle ainsi que J.D. Rainhorn. Après cette rencontre, j’ai décidé d’adhérer au SMG avec la promesse que ce ne serait jamais une organisation de médecins de masse. Heureusement cela n’est jamais arrivé. Avec le recul, ce sont les gens du SMG qui avaient raison finalement, car ce syndicat est toujours resté sur des positions très radicales. Même groupusculaire, comme aujourd’hui, il a beaucoup d’impact sur notre société au niveau des idées. Par la suite, dans les années 80, une cinquantaine de militants et sympathisants du SMG sont retournés en Palestine (Lire Daniel Coutant, "Palestine, connaître, comprendre, témoigner", Pratiques n°11 Choisir sa vie, choisir sa mort, octobre 2000)
En Palestine
Comment la lutte féministe en faveur de l’avortement a bouleversé les pratiques médicales et a forgé les convictions des « médecins militants » ?

Dans la genèse du SMG, dans la prise de conscience des militants, il y a effectivement la lutte pour l’avortement. On ne peut pas faire abstraction de cela. Les militants se sont coltinés les avortements dans la clandestinité, dans les cuisines, c’était un travail collectif. On a appris la pluridisciplinarité, la fin de la relation duelle. La pratique médicale s’en est trouvée bouleversée. Quand je suis arrivé à Nantes, c’est par ce biais-là que je me suis branché sur les réseaux militants. Donc, le SMG est aussi héritier de cela, il est l’héritier de la lutte pour la paix en Algérie, de la lutte en faveur du peuple palestinien, de 68 et de la lutte pour l’avortement et la libération des femmes.

Quelle a été l’originalité du cabinet médical du Sillon de Bretagne, près de Nantes ?

Je pensais que la prévention c’était important dans la pratique médicale d’un cabinet. Ce sont toujours les idées du SMG. Pour avoir une action efficace, il fallait aller là où il y a émergence de la maladie au niveau du quartier et être présent au contact avec les gens. C’était ma démarche au début. Le « Sillon » véhiculait encore toute l’utopie « soixante huitarde ». C’était un endroit très collectif avec une grande mixité sociale, donc il y avait des militants. Quand j’ai ouvert le cabinet, c’était un lieu extrêmement dynamique, plein de vie. Pendant des années, on a eu une association d’éducation à la santé. Au début c’était une commission santé. A la première réunion à la création, il y avait 34 personnes, ce qui signifie que l’environnement était très favorable à l’action collective dans ce domaine.

Puis en 1981, quand la gauche est arrivée au pouvoir, il y a eu des fonds pour la prévention, il a fallu créer une association. Ce fut l’association pour la promotion de la santé entre usagers et professionnels. On choisissait un thème de travail sur l’année, au bout de quelques mois, tout le monde pouvait parler du thème, professionnel ou pas, on faisait un montage (audio-visuel ou autre) d’éducation pour les gens et on passait dans les appartements. On a travaillé sur le sommeil et l’équilibre de l’enfant, le mal de dos, le frottis cervico-vaginal où on voyait un examen gynécologique avec des photos prises par nous-mêmes ou encore une vidéo sur l’alimentation qui a eu une « carrière » : on en a vendu plus de cent copies, un des acheteurs était l’Institut Pasteur de Lille qui la passait dans sa cantine. Notre travail dans le cabinet et sur le quartier a rapidement été reconnu. Ainsi lorsqu’il s’est créé sur le quartier, un collectif des travailleurs sociaux, bien que libéraux, nous y avons été intégrés. La convention de financement avec la DDASS permettait aux intervenants de l’association d’être payés au même niveau, qu’ils soient professionnels du soin ou usagers. Notre travail collectif a duré longtemps et a marqué les esprits.
Mais progressivement, l’endroit s’est paupérisé, les militants ont acheté des maisons, ils sont partis. Les associations, ça vit, ça meurt. Mais tu ne peux pas savoir ce que la crise induit comme dégâts…Sur le quartier, j’ai vu cela, petit-à-petit, l’individualisme arriver, les gens se replier sur eux-mêmes. Je ne sais pas combien de temps on mettra à s’en remettre…Donc après, vu le contexte, faire des choses différentes, c’est très dur. Aujourd’hui cela redémarre avec les ateliers « santé-ville » (cf Troisième partie)

En m’installant sur un quartier il y avait le désir de travail collectif et de pluridisciplinarité. Précédemment j’ai parlé du travail collectif avec les usagers. Mais il y avait aussi celui avec les autres professionnels de la santé. Dans le cabinet, nous avons installé un poste de soins infirmiers. Les infirmières dépendaient d’un centre de soins qui avait passé une convention avec la CPAM. Les infirmières étaient salariées et pratiquaient le tiers payant. Au moment de cette installation un service juridique consulté nous a répondu : c’est indéfendable, 2 systèmes, salariés et libéraux, ne peuvent pas cohabiter dans les mêmes locaux, vous aurez un procès avec l’Ordre avant 6 mois. Comme à l’époque les centres de soin étaient gérés par la CFDT, la CSF, la CSCV, nous avons pris le risque et le procès n’est jamais venu. Il y avait aussi une kiné sur le même palier. Le vendredi matin, le cabinet était fermé et nous nous retrouvions pour une concertation sur les dossiers.

Parallèlement, tu avais réfléchi avec d’autres sur l’alternative à la psychiatrie hospitalière. Peux-tu nous en parler ?

Oui, dans mon chemin, il y a la psychothérapie institutionnelle. Tu ne peux pas imaginer avant 68 comment s’élaborait la réflexion politique. Au sein de la clinique psychiatrique de Laborde, à côté de Blois, venaient beaucoup de stagiaires de toutes origines et professions. Je suis passé par là au cours de nombreux week-end de travail. On réfléchissait sur le centralisme démocratique, la bureaucratie, etc. Après 68, les stagiaires n’étaient plus que des étudiants en « psycho ».

Deux catégories de personnes étaient considérées comme des « sous-médecins » par les autres médecins : les médecins du travail et les psychiatres, donc c’étaient des contestataires. Donc, spontanément beaucoup de gens de médecine qui avaient une conscience politique, allaient vers ces deux spécialités à vocation sociale.

A Nantes, un psychiatre, Pierre Sans, a écrit un article dont le titre était « approche marxiste du concept de psychosomatique ». Il rêvait de le faire lire à J.C. Pollack, qu’il ne connaissait que par son livre « la médecine du capital » (cf première partie). Un jour, il a demandé une entrevue à J.C. Pollack. Celui-ci lui a dit « ah vous habitez Nantes ? J’ai un copain il est au Sillon de Bretagne, allez le voir ! ».

Tous les ans, dans les années 70, des rencontres sur les alternatives à la psychiatrie avaient lieu en France. On y retrouvait des gens en lutte. En Espagne, Franco était toujours au pouvoir. Une fois, des soignants espagnols sont venus, ils ont expliqué comment ils avaient été radiés de l’Ordre des médecins, comment ils faisaient des cliniques clandestines dans les quartiers, c’était très stimulant. Un jour, dans le train du retour, Pierre Sans, qui devait faire une carrière d’agrégé à l’hôpital psychiatrique, me dit : « je vais démissionner de l’hôpital, on va faire quelque chose d’autre ». On a donc réfléchi et travaillé des mois durant. Pierre a fini par ouvrir une structure dans un quartier de Saint Herblain avec un fonctionnement différent, pour accueillir des patients psychotiques. Il a tenu absolument à ce que je participe à l’embauche du personnel, car il ne voulait pas prendre d’infirmiers psychiatriques qui allaient "refaire l’hôpital psychiatrique". Donc j’ai recruté une bonne partie du personnel dans ma patientèle, des éducateurs et d’autres personnes !

Est-ce que cette expérience s’est inspirée de celle de Franco Basaglia en Italie qui a créé un autre espace de soins et de vie en dehors des murs de l’hôpital (lire "F. Basaglia, celui qui a fermé l’asile", Espaces, mouvements et territoires du soin, Pratiques n°35, octobre 2006) ?

Oui. J’ai travaillé pendant 14 ans avec Pierre Sans et son équipe, j’avais une vacation dans le foyer. C’était plus qu’une structure d’hébergement, c’était un lieu de vie. C’était intéressant, car, venant de l’extérieur, j’étais reconnu par les psychotiques. Si jamais les soignants essayaient de faire vivre les patients en autonomie dans un appartement, ceux-ci venaient me voir au cabinet, j’étais encore un peu leur "foyer". D’ailleurs, il y a toujours une personne psychotique qui me téléphone une fois par jour, encore aujourd’hui. La psychologue avec qui on a monté ce lieu, refusait d’être dans un bureau, elle faisait comme tout le personnel, elle participait aux veilles de nuit et à la préparation des repas avec les patients. Aujourd’hui, retraitée, elle me dit horrifiée : "tu te rends compte, maintenant, il y a des veilleurs de nuit (professionnels)". Ce lieu existe toujours, mais il faut voir comment "on" l’a normalisé.

(1) Le Sillon de Bretagne est un vaste ensemble d’immeubles en blocs, situé à Saint Herblain, près de Nantes. Jean-Robert Pradier y a ouvert son cabinet médical en janvier 1974.

CAS : Comités Action Santé
CGT : Confédération générale du travail
CSMF : Confédération Syndicale des Médecins Français, créée en 1928
DDASS : Direction Départementale des Affaires Sanitaires et Sociales
GIP : Groupe Information Prisons, créé en 1971 sous l’influence de Michel Foucault
GIS : Groupe Information Santé
GP : Gauche Prolétarienne, maoïste, spontanéiste, créée en septembre 1968, qui fut interdite puis dissoute par sa propre direction en 1973.
SMG : Syndicat de la Médecine Générale, créé en 1975

(1) Jean-Daniel Rainhorn (source Wikipédia) : né à Paris en 1945, il est devenu médecin et spécialiste de santé internationale. Sa carrière médicale est influencée par ses engagements politiques et tiers-mondistes. Avec le Groupe d’information santé créé en 1971 sous l’influence de Michel Foucault et de quelques autres intellectuels français, il va participer à différents mouvements de remise en cause de la pratique médicale et du rôle des médecins. Dès 1972, il est l’un des premiers médecins à se lancer dans la campagne pour la liberté de l’avortement qui, en France, aboutira en 1975 à la loi sur l’interruption de grossesse, dite Loi Veil. En 1973, il contribue à la création du groupe médical de Gennevilliers qui tente de replacer l’exercice de la médecine dans son contexte social et est l’un des fondateurs du SMG dont il devient le secrétaire général et de la Revue Pratiques, les cahiers de la médecine utopique. Au début des années quatre-vingt, il interrompt sa carrière médicale et s’oriente vers la santé publique et l’action sociale. Il est membre du Haut Comité de la Santé Publique (1993/1998) et du Conseil national des villes et du développement social urbain (1988/1998). Bien que plus proche des mouvements de solidarité internationale et d’aide au développement, son engagement tiers-mondiste le conduit dès le début des années soixante-dix dans la mouvance humanitaire avec laquelle il réalise plusieurs missions (Palestine, Nicaragua, Angola). En 1979/80, il participe à la création de l’Université des Mutants de Dakar à l’initiative de L.S. Senghor, R. Garaudy, J. Bugnicourt, R. Dumont. En 1983, il crée à Paris, le Centre de recherche et d’étude sur le développement de la santé (CREDES) qui va progressivement s’imposer comme l’une des principales structures de réflexion et de mise en œuvre de programmes sanitaires dans les pays en développement. D’abord en Afrique et en Asie du Sud-Est, puis à la chute du communisme dans les pays d’Europe centrale et orientale et en Russie, il va participer comme conseiller technique à plusieurs programmes de réforme des systèmes de santé et des politiques pharmaceutiques pour le compte de la Banque Mondiale, de la Commission Européenne et de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Après un séjour aux USA à la fin des années quatre-vingt, sa carrière s’oriente vers l’enseignement et la recherche : à Paris XI où il est responsable d’un programme de santé internationale, au Centre d’études et de recherches sur le développement international (CERDI) à Clermont-Ferrand (France) puis, de 1999 à 2003, à la Hanoi School of Public Health (Vietnam) où il est professeur en politique de santé. En 2003, il devient professeur de santé internationale à l’Institut universitaire d’études du développement (IUED) puis prend la direction du Programme interdisciplinaire en action humanitaire (PIAH) de l’Université de Genève transformé en 2008 en Centre d’enseignement et de recherche en action humanitaire (CERAH). Il est l’auteur de nombreux articles, rapports, documents de recherche et ouvrages parmi lesquels :
• "Indicateurs pour l’évaluation des politiques pharmaceutiques" en collaboration avec P. Brudon et M. Reich (OMS, 1996)
• "La progression de la précarité en France et ses effets pour la santé" en collaboration avec F. Grémy (Haut comité de la santé publique, 1998)
• "La santé au risque du marché" en collaboration avec MJ Burnier (PUF, 2001)
• "Regard international sur les formations en action humanitaire" avec A. Smailbegovic et S. Jiekak (CERAH, 2010)

Fin de la DEUXIEME PARTIE


TROISIEME ET DERNIERE PARTIE : la solidarité ici et là-bas

Et ton travail avec la PJJ ?

Après mon travail dans ce foyer (lire deuxième partie), je suis parti travailler avec la PJJ et l’association « Cap aventure ». On a utilisé autrement l’argent de la prison ou d’un foyer pour jeunes. On prenait douze jeunes qui nous étaient confiés par la PJJ, on leur faisait passer le permis de conduire et faire de la mécanique, on les rescolarisait. Si, au bout d’un an, ils n’avaient pas eu d’histoires avec la police, on partait faire une aventure : on est ainsi allés livrer des ambulances au Niger en traversant le Sahara, on a fait 600 km dans l’Ouest américain à cheval et en carriole avec des Mormons, sans surcoût ; à la suite de ce voyage, un toxicomane avec qui je discutais tous les soirs au coin du feu, a guéri. La majorité des jeunes ne récidivaient pas après ces voyages, à tel point que Marylise Lebranchu (ministre de la Justice entre 2000 et 2002), tellement étonnée de ces statistiques, est venue visiter la structure de l’association à Saint Brieuc.
Avec la PJJ, dans le désert du Niger§ (Photographie : Hervé Vincent)
Quand je partais, l’association me payait, je quittais le cabinet médical (on était trois médecins), et les gens me disaient : « vous quittez le cabinet, mais les patients… ? ». Je leur répondais « je prends un remplaçant » et je faisais une affiche informant les patients que je partais avec des jeunes pour traverser le désert. J’envoyais régulièrement des nouvelles. Les gens venaient au cabinet pour savoir où j’étais arrivé, comment ça se passait... Je n’ai jamais vu quelqu’un m’engueuler en me disant « vous exagérez, vous quittez votre cabinet ».

Qui t’a fait connaître l’association "Cap aventure" ?

Pendant la guerre d’Algérie, des Français, plutôt libertaires, que je connaissais, engagés dans le réseau Jeanson (1) d’aide au FLN, avaient été condamnés et, avant d’être arrêtés, s’étaient enfuis dans les maquis du FLN. Après l’indépendance, ils ont eu des problèmes avec l’Etat algérien et sont passés au Maroc. Sous Mitterrand, après 1981, ils ont été amnistiés et sont rentrés en France. Ils se sont installés dans un village en Ariège et ont gagné leur vie en rénovant des maisons, ils se sont aussi occupés de jeunes en réinsertion et ont rencontré Jacques Deriez.

J. Deriez, ancien employé de banque qui s’emmerdait, fut le fondateur de "Cap aventure". Un jour, il est allé voir l’abbé Pierre et lui a dit : « si j’avais un peu d’argent, je monterais une association de réinsertion ». C’était un type qui avait une idée par jour. L’abbé Pierre lui a prêté je ne sais combien de millions. Il a donc créé une association de réinsertion en Bretagne, qui faisait divers travaux dont le ramassage d’algues. Ensuite, il a monté un projet avec des jeunes : il a acheté des ambulances 4x4 à l’armée française, il a pris douze jeunes et un mécano, il a passé un contrat avec le Niger pour aller leur livrer les ambulances. C’est ainsi que "Cap aventure" fut créée. Mais il ne voulait pas traverser le désert sans partir avec un médecin. Il avait entendu parler de moi par ses copains de l’Ariège qui lui avaient dit : « on connaît un médecin, il n’a pas peur des jeunes, il connaît l’Afrique ». Donc, il m’a embauché plutôt que de prendre des jeunes médecins sans expérience.

Une année, les jeunes ont retapé des 4L et des R5, et on est partis faire le tour du Sahara en Algérie. On est passé dans le village où habitait la grand-mère de l’un des jeunes (voir photo). C’étaient des sacrés moments. J’avais un copain qui était responsable d’une association algérienne de jeunesse, il nous avait détaché un éducateur, ils nous ont tout payé et en échange on a reçu quinze jeunes Algériens en France par la suite. C’étaient des moments très intenses.
Jeune de la PJJ disant au revoir à sa grand-mère que nous étions passés voir dans la montagne de Kabylie. ("en France je suis Cyril mais là-bas je suis Sami" ) Photographie : Hervé Vincent
Dans les années 70-80 se tissent des liens entre Français et immigrés. Qui a créé l’ASAMLA et que fait cette association dans le département ?

Geneviève Morinière était directrice d’une école de service social à Paris. Dans ce cadre, elle côtoyait des gens du SMG qui avaient un cabinet médical et travaillaient avec des associations d’usagers. Quand elle a pris sa retraite, elle est revenue à Nantes, elle a voulu faire quelque chose. Elle est venue nous voir beaucoup de fois au Sillon de Bretagne, assister à des réunions. Elle participait aussi à la commission santé du GASPROM-ASTI, commission qui s’est autonomisée et est devenue l’association ASAMLA dont elle fut la première présidente. ASAMLA fournit des interprètes médiateurs dans les domaines de la santé, du social et de l’éducation pour favoriser la relation entre le professionnel et le migrant parlant peu ou pas le français.

A ma retraite de médecin, j’ai été président de l’ASAMLA pendant 6 ans, sans directeur, pour 8 salariés. J’étais pris à plein temps. A partir de mon expérience de Laborde, j’ai mis en place un fonctionnement horizontal qui impliquait les salariés dans la démarche. A l’époque, administrateurs et salariés se rencontraient une fois par mois pour travailler ensemble.

Et aujourd’hui, comment tu organises ton temps à Nantes ?

Après l’ASAMLA, je suis revenu un petit peu sur le quartier parce que cela me manquait. Je participe à un groupe qui s’appelle « les sillonneurs » et qui fait des choses avec les habitants.

Les municipalités créent les ateliers « santé-ville », c’est moins spontané qu’avant, mais c’est un travail d’éducation sanitaire avec les gens. Une personne de la mairie a été détachée pour faire un bilan avec les professionnels qui ne me connaissent plus parce que « ça tourne ». Seulement, elle a tellement entendu parler de moi qu’elle a demandé à me rencontrer. J’ai fait un historique de notre travail. Je lui ai dit que je reprendrais bien du service avec elle mais je ne voudrais pas que ce soit bureaucratisé. On est tombés d’accord et on est en train de refaire un travail avec les gens, l’ASAMLA est là aussi. J’aime bien ça.

Autrement tu agis depuis plusieurs années dans le collectif « Nantes-Redeyef »…

Oui, à Nantes et Saint Herblain, il y a une forte communauté tunisienne originaire de cette ville. Tu sais, c’est terrible en Tunisie, il y a le Nord complètement développé et le Sud qui est complètement délaissé. Il y a quelques années, avant la chute de Ben Ali, j’ai fait partie d’une délégation qui avait une mission d’inspection sur les droits de l’Homme en Tunisie. Je suis parti avec Marie-Georges Buffet, Monseigneur Gaillot, Cécile Duflot, entre autres. Il était prévu qu’on aille à Gafsa, mais pas à Redeyef. Les deux villes sont distantes de 80 km.
Quand je suis parti, les gens de Nantes m’avaient fait promettre qu’on irait à Redeyef. Donc un soir, dans un hôtel à Gafsa, on a discuté et j’ai dit : « écoutez, vous repartez à Tunis si vous voulez, mais moi demain, je vais à Redeyef, je l’ai promis aux gens, j’irai en stop s’il le faut, je vais essayer, peut-être que je n’y arriverai pas, que l’armée va m’en empêcher, mais je vais essayer ». Cela les a beaucoup impressionnés car la situation était tendue ; donc le lendemain matin avec des avocats de Tunis, on est allé en bagnole à Redeyef. Il n’y avait pas d’accès à cette ville, personne n’avait le droit d’y aller, il y avait eu des morts peu de temps avant à cause de la répression ; en chemin, on s’est arrêté, en discutant avec les jeunes avocats militants, ils m’ont dit qu’ils n’étaient jamais venu dans le Sud de leur vie. Ils disaient « c’est très beau ! ». J’étais « soufflé ». Cela veut dire qu’il y a une grande différence entre le Nord et le Sud dans ce pays. Redeyef, ville ouvrière et minière, est particulièrement marquée car ce fut toujours une ville rebelle.

Du temps de la colonisation, il y avait une section CGT très forte avec des grèves importantes, ce qui était exceptionnel de ce temps-là. Simone Weil, la philosophe, écrivait en 1920 que l’armée réprimait dans le sud-tunisien du côté de Redeyef et que le sang coulait « à flots »…Même du temps de Bourguiba (président tunisien de 1957 à 1987), Redeyef a toujours été rebelle. Quand il a taxé le pain, il y a eu des manifs terribles. Un jour, trois cent mecs armés venus de Lybie ont essayé de renverser Bourguiba. L’armée a mis dix jours avant de les éliminer car la population fraternisait avec eux.
Résultat aujourd’hui : le Sud et plus particulièrement cette ville sont complètement délaissés par le pouvoir central. Donc à l’hôpital, il n’y a presque rien. On a eu l’idée d’y envoyer du matériel médical. Le premier convoi est parti en 1998. Les jeunes des quartiers ont amené une salle d’opération notamment qui, aujourd’hui, est obsolète.

En 2013, on va transférer à nouveau du matériel de l’ancien hôpital public des Sables d’Olonne en Vendée pour l’hôpital de Redeyef : deux blocs opératoires, une salle de radio, des scopes de surveillance, une table d’accouchement, un échographe, etc. On y associe les jeunes des quartiers grâce à l’association « les amoureux du désert » dont le siège est à Vertou, près de Nantes, mais qui travaille surtout avec le Mali. Le lien avec les éducateurs du quartier va élargir le travail de cette association. Ils vont aller aux Sables d’Olonnes pour démonter le matériel et le mettre en containers. Le bateau est parti le 9 juillet 2013.

As-tu vécu d’autres expériences solidaires en Afrique ?

Oui, les jeunes, on leur a fait retaper des « motobécanes », qui sont des engins solides dont on retrouve des pièces en Afrique ; ils sont allés les emmener dans des dispensaires. Quand j’ai arrêté le cabinet médical, pendant treize ans, je suis allé travailler un peu au Sénégal, tous les deux, trois ans, dans un seul village, en brousse, avec l’association nantaise « Mémoires d’outre mer ». On faisait du développement local, aussi bien de la médecine que le développement du travail des femmes, la création d’une petite banque. Les instituteurs du village me disaient : « on a trente à trente cinq élèves, chaque année, prêts à aller en sixième au collège, mais seulement trois ou quatre y vont, car le collège est à 18 km du village, les parents ne peuvent pas payer ». Sur le quartier de St Herblain, les éducateurs de prévention encadrent des jeunes qui viennent réparer leur vélo. Ils ont restauré pendant un an 80 vieux vélos récupérés et on est allé les porter là-bas pour que les jeunes Sénégalais puissent aller au collège : à notre arrivée ce jour-là, c’était quelque chose d’extraordinaire. J’y suis retourné avec ma fille en 2011 car les gens du village voulaient connaître ma famille… ils me disaient tous : « quand est-ce que tu reviens avec tes enfants ? »
Nos jeunes des quartiers, qui sont très repliés sur eux-mêmes, qui ont honte ici, là-bas dans le village, ils ont participé aux tournois de lutte, tu ne peux pas t’imaginer à quel point ils étaient métamorphosés !

Au moment où nous bouclons cet interview (décembre 2013), tu as 74 ans et tu reviens de Redeyef où tu es allé en mission pour trois jours. Comment cela s’est passé ?

C’était une mission du Conseil régional des Pays de la Loire qui est partenaire de la région de Gafsa.
Jacques Auxiette, président de notre Région est un ancien enseignant qui a travaillé à Gafsa étant jeune d’où les liens d’amitiés tissés. Cette mission fut semée d’embûches. Le mandataire de Tunisie, dépendant des autorités, n’avait le droit de livrer le matériel médical qu’à l’hôpital de Redeyef et pas à l’association partenaire avec laquelle le collectif nantais travaille. Mais du matériel aurait été volé à l’insu des autorités. L’association partenaire s’appelle Om Chahid (la mère des martyrs) en hommage aux victimes de la répression, c’est une association de femmes militantes en concurrence avec une autre association, liée au parti islamiste Ennhada, qui a dit qu’elle allait saboter le travail de Om Chahid. Notre travail se double donc d’un conflit politique.

Autre problème, la Région des Pays de la Loire a mandaté un médecin d’une clinique privée de Nantes pour faire un rapport sur l’hôpital public de Redeyef. Il a osé dire en réunion : "je suis du privé mais j’ai de l’éthique". Je vais moi aussi faire mon rapport.

Finalement, ton engagement s’est toujours inscrit du local au global, du quartier en France à l’autre quartier en Afrique (Algérie, Niger, Sénégal, Tunisie), dans des relations internationales égalitaires pour l’émancipation et la santé de tous et surtout des plus pauvres… et c’est l’autre, le lointain, mais le plus proche aussi, qui t’a ouvert les yeux et fait voir le monde d’une autre manière.

Oui, j’ai pu agir grâce et à travers ma pratique de soins et de santé. Quand j’ai arrêté de travailler au cabinet médical, mon collègue, François Meuret, m’a dit : « tu sais, tu vas être obligé de déménager parce que ta vie va être infernale, les gens sont attachés à toi ». Finalement, ils m’ont fichu la paix. Quand tu établis une relation de confiance avec eux, que tu les informes des choses que tu fais à côté, tout se passe bien. Et je me dis souvent ceci : s’il n’y avait pas eu, dans les années 50, cette rencontre avec les collégiens africains et la lutte pour la paix en Algérie, je n’aurais pas exercé comme je l’ai fait, je me serais installé « pépère » comme plein de gens (rires). Quand j’y pense, c’est incroyable la chance que j’ai eue.

ASAMLA : Association Santé Migrants Loire-Atlantique, créée en 1984, qui forme des interprètes, essentiellement des femmes, appelées aujourd’hui médiatrices.
CGT : Confédération générale du travail
FLN : Front de Libération Nationale (algérien)
GASPROM-ASTI : Groupement Accueil Service et Promotion du Travailleur Immigré-Association de Solidarité avec les Travailleurs Immigrés, créé en 1970 à Nantes.
PJJ : Protection judiciaire de la jeunesse
SMG : Syndicat de la Médecine Générale, créé en 1975

(1) Le réseau Jeanson (source Wikipédia) était un groupe de militants français, agissant sous les directives de Francis Jeanson, qui opéra en tant que groupe de soutien du FLN durant la guerre d’Algérie. Le rôle principal du réseau consistait à agir en tant que cinquième colonne en collectant et en transportant des fonds et des faux-papiers pour les agents du FLN opérant dans la métropole, d’où leur surnom de « porteurs de valises ». Ses membres sont chrétiens de gauche, trotskistes, syndicalistes ou communistes dissidents. La DST a connaissance relativement tôt des agissements du réseau, mais celui-ci est protégé en haut lieu par le garde des Sceaux lui-même, Edmond Michelet et son cabinet. Le réseau est finalement démantelé en février 1960 et son procès s’ouvre le 5 septembre 1960. Six Algériens et dix-huit Français sont inculpés. Ils seront défendus par vingt-six avocats dont, le plus en vue, Roland Dumas s’efforcera de faire durer la procédure et de ridiculiser le tribunal. Cette stratégie s’avèrera payante auprès de l’opinion publique. Quinze des inculpés sont condamnés le 1er octobre à dix ans de prison, maximum de la peine ; trois sont condamnés à cinq ans, trois ans et huit mois. Neuf sont acquittés. Des intellectuels de gauche, avec le Manifeste des 121, apportent leur soutien aux porteurs de valises, dans un contexte où la position de l’État français est de moins en moins claire. Francis Jeanson s’est toujours défendu d’avoir trahi la France, au contraire, il justifie son attitude par la fidélité aux idéaux sur lesquels doit s’appuyer cette même communauté française. En fuite à l’étranger il est jugé par contumace en octobre 1960. Il est, lors de ce procès, reconnu coupable de haute trahison et condamné à 10 ans de réclusion criminelle. Il est amnistié en 1966. Le célèbre activiste anticolonialiste communiste Henri Curiel assassiné en 1978, en faisait partie. Francis Jeanson est né en 1922, il a écrit plusieurs livres sur la guerre d’Algérie et son engagement :
• L’Algérie hors la loi, en collaboration avec Colette Jeanson, 1955
• Notre guerre, Éditions de Minuit 1960
• La Révolution algérienne, problèmes et perspectives, 1962

Il est mort en 2009, à l’âge de 87 ans.

Fin de la TROISIEME ET DERNIERE PARTIE

mardi 17 décembre 2013, par Patrick Dubreil

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