Hôpital de Bondy

Une formation professionnelle de rêve
Mon premier contact avec l’hôpital Jean Verdier, hôpital universitaire (CHU) qui fait partie de l’AP-HP 1) , fut en octobre 1984 et depuis, je ne l’ai presque jamais quitté. L’établissement, un bâtiment unique sur cinq étages, est situé au nord de la commune de Bondy dans le « 9-3 ». C’est une petite structure. A l’époque, il n’y avait que deux services de médecine avec 180 lits. Tout le monde se connaissait : médecins, infirmières, aides-soignantes, internes, secrétaires et même les externes en médecine, qui se plaisaient à venir étudier. Les biologistes ne restaient pas dans leur laboratoire. Une anomalie de la numération, un trouble de l’hémostase ? Ils venaient apporter en personne les résultats et discuter avec les médecins. Il y avait aussi des staffs communs avec l’anatomo-pathologie, l’hématologie, la radiologie, mais aussi la pédiatrie. Internes, nous avions ainsi un enseignement en direct. L’assistante sociale venait à la rencontre de chaque nouveau patient hospitalisé. Nous avions aussi appris l’écoute avec la psychiatre mi-temps du service qui fut une des premières en France à s’occuper des patients du sida, sans se « déguiser » devant le malade avec sur-blouse, chapeau et bavette, comme je le verrai dans d’autres services. Nous avions des réunions hebdomadaires avec tout le personnel soignant dont la psychiatre, où nous parlions du patient et de nos propres angoisses. Même jeune interne, en temps que professionnel de santé, on vous écoutait, non pas selon le prestige lié à votre titre, mais d’après vos idées, qui pouvaient être à l’initiative d’une publication et vous n’étiez pas oublié sur la liste des auteurs… Après deux semestres d’interne, j’ai pu prolonger dans cet hôpital mon expérience comme attachée en hématologie tout en continuant à me former dans cette spécialité avec ma compétence de médecin généraliste, les autres spécialistes n’hésitant pas à solliciter mon avis ainsi que moi le leur.

Face aux problèmes de santé publique, un hôpital innovant
Aujourd’hui, l’hôpital est doté de 316 lits 2) : 170 pour la médecine (hépatologie, médecine interne, endocrino-diabétologie, maladies infectieuses, pédiatrie), 78 lits pour la chirurgie et la réanimation, 58 lits de gynéco-obstétrique (maternité de niveau II). Ce dernier service possède un centre de PMI ainsi qu’un centre de planification familial. Il s’y ajoute l’unité médico-judiciaire, d’où une présence policière quasi constante aux urgences.
Il est situé dans une zone de précarité, (le taux de chômage est de 19,3 % à Bondy) et de ce fait il se caractérise par une forte activité des urgences adultes et enfants 3) . Tout en développant des activités de niveau de CHU (enseignement, recherche, publications internationales), il a élaboré et soutenu des modalités particulières pour la prise en charge des situations de santé générées par la précarité, et ce dans tous les services. Il s’est fortement impliqué dans la prise en charge des conduites addictives (tabac et toxicomanies, mais aussi alcoolisme avec le service d’hépatologie), dans des activités de réseau de santé de proximité aussi bien en lien avec des soignants libéraux que publics et ceux de santé publique (diabète, oncologie, gériatrie) ainsi que la prise en charge des grossesses peu ou mal suivies 4).

L’homnibus
Créé en 2000, l’homnibus 5) , ce bus de couleur bleue, parcourt les villes d’Aulnay-sous-Bois, Bobigny, Bondy, Pantin, Sevran, où il stationne sur des lieux et à des horaires précis. Il va au devant de personnes exclues des soins, sans ressources, sans papiers, sans droits ouverts pour la Sécu. Il arrive alors que l’homnibus accompagne la personne à la CPAM pour l’ouverture de ses droits. Le bus, c’est un cabinet médical, avec un stock de médicaments, une salle d’attente pouvant accueillir dix personnes, un bureau pour l’assistant sociale, et une salle de repos. Dans le bus, un médecin, une infirmière, une assistante sociale, un psychologue, un éducateur. L’homnibus est le seul dispositif mobile en France où les médecins peuvent prescrire des médicaments. C’est un lieu de diagnostic, de soins, de prévention, mais aussi d’écoute. Il assure 3000 consultations par an (30 à 40 % des consultants souffrent de pathologies graves). L’objectif est aussi de servir de passerelle, d’accompagner chez un généraliste, dans une administration pour des démarches. L’équipe anime aussi des ateliers d’éducation à la santé dans une maison de quartier de Bondy-Nord (le plus défavorisé). Des médecins libéraux y assurent des vacations, par motivation, par idéal…

Vous comprendrez que vingt-deux ans après mon premier pas dans cet hôpital, je continue à y assurer trois vacations par semaine, car il y règne un esprit différent bien que la création des GHU 6) , la restructuration de l’AP-HP, la T2A 7) pourraient bien venir changer les mentalités. Ce sera désormais au niveau du GHU que seront décidés les programmes d’actions prioritaires au sein de chaque établissement, la notion de besoins de santé de proximité risque de laisser sa place au besoin de santé de référence. Cela ressemble plus à un simple échelon de gestion administrative que de stratégie de santé publique, sans compter l’organisation en pôles 8) au sein de chaque hôpital dont le but inavoué est la mutualisation du personnel.
La T2A, nouveau mode d’allocation de ressources des établissements de santé, est une tarification à l’activité et non à la pathologie ; le risque est ici de ne pas accepter les patients qui coûtent « chers » au services, ceux qui ont des hauts risques de complications, et de multiplier les courts séjours, plus rentables.

Le plan hôpital 2007 en forçant « le regroupement des moyens » menace ce type d’hôpital qui incite du fait de « sa taille humaine », tant les soignants que les soignés aux échanges. Ici ont été laissées à la porte les opinions politiques de chacun pour se recentrer sur un projet commun : en respectant le patient, mettre les valeurs humaines au-dessus de tout.

Ce que l’on retiendra de ce lieu de soins, un lieu aussi accueillant et apaisant que son logo, un bateau avec un mât, surmonté d’une mouette .

1) Assistance Publique-Hôpitaux de Paris

2) auxquels s’ajoutent 21 places d’hôpital de jour

3) Récemment, un patient qui se rendait de Paris à Bondy me racontait qu’il était de moins en moins rassuré en se rendant à l’hôpital, lorsqu’il était dans le bus direction « Montfermeil », ce qui lui rappelait les évènements de banlieue de novembre 2005, mais quel ne fut pas son étonnement de l’accueil qu’il reçut à la consultation par toute l’équipe. Après la consultation, il décida de s’arrêter à la cafétéria cinq minutes pour se rafraîchir, il observa les lieux, les personnes et se prit a y rester une heure tant il trouvait le lieu accueillant, et il y abandonna ses préjugés.

4) Le service de gynécologie-obstétrique s’implique tant dans des études de haut niveau médico-scientifique que dans des études plus sociologiques comme par exemple un rapport sur la prévention de la prise en charge des grossesses des adolescentes remis au ministère de la Santé, et en septembre 2006 il a organisé un colloque sur « Maternité et migration, quelle place pour les traditions ? »

5) Tout est né des décrets d’application de la loi contre les exclusions de 1998, la seule recommandation était d’être itinérant. L’hôpital Jean Verdier a répondu favorablement à l’appel d’offre de Bernard Kouchner, alors ministre. La RATP a offert un bus, puis une équipe pluridisciplinaire s’est constituée autour d’un médecin généraliste coordinateur de l’équipe d’intervenants auprès des toxicomanes à Jean Verdier. L’homnibus fonctionne en réseau avec les associations, les mairies et la Cpam.

6) Groupements hospitalo-universitaire : dans le CHU-Nord de Paris, les services de gastro-entérologie de l’hôpital Lariboisière ont déjà migré vers l’hôpital Beaujon.

7) T2A : tarification à l’activité,

8) Ils devront être mise en place au plus tard au 31.12.2006 et pourront comprendre plusieurs services « classiques »

*) L’hôpital est situé au bord du canal de l’Ourcq. On peut y voir passer malheureusement de moins en moins souvent les péniches qui attiraient notre attention lorsque, dans les hivers rigoureux, elles étaient précédées d’un brise-glace.

par Yveline Frilay, Pratiques N°35, novembre 2006

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