Gardien des poisons

Bien que la répartition des pharmacies soit réglementée, les nouvelles missions des pharmaciens sont tellement difficiles à assurer que certains sont tentés d’abandonner.

Lionel Echinard,
pharmacien.
Propos recueillis par Martine Lalande

Pratiques : Existe-t-il un problème de démographie chez les pharmaciens ? Leur répartition sur le territoire est réglementée...
Lionel Echinard : Le législateur a essayé de faire un système intelligent. Mon métier, c’est refuser de donner des médicaments, je suis gardien des poisons. Pour distribuer, il y a des systèmes, automatisés, ou des épiceries, ou des stations-service... Il y a plus performant que le pharmacien pour écouler du produit. Le rôle du pharmacien est de refuser de vendre, dire « Non, là je pense que le bénéfice risque n’est pas assuré, je vous redirige »... Mais pour demander à un commerçant de refuser de vendre, il faut lui assurer des revenus suffisants. Donc on lui a donné un certain pool de gens qui dépendent de lui : c’est la répartition géographique. On ne peut pas ouvrir une pharmacie n’importe où, il faut que la population ne soit pas déjà desservie. La pression économique fait que les gens s’installent dans les endroits où il n’y a pas de pharmacien. On ne peut pas s’installer dans les centres-villes où il y a déjà beaucoup de pharmacies, alors on va aussi dans les Ardennes, dans la Creuse, des coins qui attirent moins que la ville et ses lumières. Puis le législateur a dit que tous les médicaments passeront par le pharmacien : c’est le monopole. Et pour que l’on soit responsable sur nos deniers, il dit que l’on est propriétaire de son établissement. Ce sont les trois règles de la profession. Dans l’intérêt du patient. Ce n’est pas juste pour que des vieillards cacochymes puissent jouer au golf, comme certains aiment à le laisser penser. La répartition des pharmacies est maillée. Mais l’État a décidé que l’on gagnait trop. Ce n’était pas totalement faux dans les années 90. Et il décide de réglementer, mais sans tenir compte de l’impact sur des pharmacies de village, sur des zones un peu sinistrées. Car il y a eu beaucoup de dérogations, les pharmaciens gagnant bien leur vie à l’époque, l’État en a ouvert en veux-tu en voilà dans des coins où cela ne se justifiait pas. Chaque maire voulait sa pharmacie dans son village, où il n’y avait pas le bassin de population correspondant, mais on passait outre. Résultat, le pharmacien qui est dans un bassin de 1 500 habitants ne peut plus vivre. Il ne peut pas se former, il ne peut pas avoir une chalandise suffisante et sa pharmacie est condamnée à mourir.

Pratiques : Quelles sont ces nouvelles règles ?
Il fallait un bassin de trois mille habitants quand je me suis installé, c’est passé à quatre mille cinq cents. Deux mille cinq cents habitants pour une première officine, quatre mille cinq cents personnes supplémentaires pour une deuxième. Mais un pharmacien qui s’occupe bien de trois mille personnes peut-il s’occuper aussi bien de quatre mille cinq cents personnes ? D’autant plus qu’on lui donne de nouvelles missions... C’est très bien, mais sur quel temps et avec quels fonds ? Il faut qu’on emploie du personnel qualifié, et qu’on se forme. Cela fait un mois et demi que je me forme sur les antivitamines K en essayant de comprendre ce qu’on attend de moi et mon champ d’intervention. Ce temps et cette énergie ne sont pas rémunérés. On est dans une période de flou qui va peut-être virer vers quelque chose d’intéressant où on fera du suivi de patients, en travaillant sur entretien, mais pour le moment, rien n’est prévu. On se retrouve avec une baisse de marge quotidienne, on n’a pas de temps pour se former et on doit s’occuper de plus en plus de gens... Cela ne fonctionne pas.

On n’aura peut-être pas de désert pharmaceutique, mais le président de l’Ordre des pharmaciens dit qu’il faut fermer 6 000 pharmacies, qui n’ont pas des volumes leur permettant d’être rentables. Autour de moi, six pharmacies ont fermé sans revendre. Ce n’est pas tant qu’ils fassent faillite. Un confrère n’arrivait pas à vendre son fonds. Comme il était touché par la retraite et qu’il en avait marre de se battre, il a vendu son pavillon, mais pas sa pharmacie. Une autre consœur était malade, elle a fermé aussi en vendant son pavillon. Une a fait faillite, les autres ferment sans trouver de repreneur.

Quel est le problème ? Ce n’est pas rentable ou le travail est mal défini ?
Ces pharmacies sont trop petites en termes de chiffre d’affaires pour assurer une rentabilité intéressante. Les penseurs de notre profession, ceux qui gèrent, ont défini une taille minimum à la pharmacie, et tout ce qui est au-dessous ne trouve pas preneur, car on met dans la tête de l’acheteur que ce n’est pas rentable. L’ordre, les agences de pharmacie qui alignent les chiffres disent qu’à moins de 700 000 ou 900 000 euros de chiffre d’affaires par an, ce n’est pas rentable. Car à la fin, il y a 70 000 euros pour payer le salaire du pharmacien, ses charges et les remboursements de crédit. Il reste 15 000 à 20 000 euros et on ne peut pas embaucher du personnel, se former, prendre des rendez-vous parce qu’on est seul pharmacien au comptoir.

Moi, avec une pharmacie de bonne taille, j’ai un problème de trésorerie de 300 000 euros suite à différents facteurs, dont cinq ans de travaux du tramway. Je n’ai pas les moyens de remettre 200 000 euros et les banques n’ont pas d’argent à mettre dans ce genre d’affaire. Mon comptable, qui a beaucoup de pharmaciens dans son portefeuille, me dit que mes comptes sont bons, j’ai fait les efforts qu’il fallait, mais je ne trouve pas de partenaire au niveau des banques. Mais ce qui me fatigue et me donne envie d’arrêter, c’est qu’aujourd’hui, mon modèle économique ne fonctionne pas. Si je veux m’occuper des gens, ne pas tricher avec eux, ne pas leur vendre les produits deux fois plus cher que les produits qui sont remboursés, pouvoir leur conseiller de l’ibuprofène au lieu du Nurofen®, du diclofenac au lieu du Voltarene® actigo et leur vendre des produits au juste prix, ne pas les voler, je ne gagne pas ma vie. Si je fais des entretiens officinaux, c’est gratuit. Je suis en ce moment des personnes en surcharge pondérale, je me suis formé pour ça, si je commence à suivre des gens qui ont de l’hypertension, cela n’est pas rémunéré. Je n’ai pas les moyens de le faire. La façon dont j’aimerais travailler est un modèle économique qui ne fonctionne pas. L’autre jour, mon frère médecin était à la pharmacie. Une femme entre, son médecin lui avait prescrit de l’Aprovel® 150. Je ne trouve pas d’historique sur mon ordinateur, elle me dit : « Cela m’embête de le prendre, je n’ai pas l’impression d’avoir de la tension, le médecin a dit que j’avais 15/8. » Je ne dis rien, je lui propose de prendre sa tension : 13/9. « Moi aussi, j’ai un appareil. » « Faites l’automesure chez vous pendant trois jours. » Je lui explique les règles de l’automesure. Elle revient, avec une automesure 13/8, 13/8... « Mais je n’ai pas confiance en mon appareil. » Je lui prête un appareil. Elle revient : 13/8, 13/8. Je lui dis : « Vous faites comme vous voulez, vous pouvez retourner voir votre médecin. » Résultat, elle ne prend pas de médicament. Je crois que j’ai fait mon boulot, j’ai gagné zéro euro. Si je lui donnais le sartan, je prenais la marge pendant des mois. Mon frère me dit qu’il n’y a pas un médecin en France qui prescrit un sartan sur une seule prise de tension. Je lui dis : « Tu as raison, regarde ! » Si je vends la boîte parce que le médecin l’a dit, elle repart avec quatre-vingt-dix comprimés.

Vous aviez un stagiaire : comment les jeunes pharmaciens voient-ils la situation ?
Le dernier que j’ai eu veut arrêter, et faire autre chose dans la santé. C’est un jeune qui était président d’une ONG. Je ne suis pas fier qu’il arrête, il est en troisième année, je l’encourage à terminer. Il est resté un mois. Il a été le premier à qui j’ai fait rencontrer des malades. J’ai convoqué des gens avec des pathologies. Je leur demande s’ils veulent venir parler de leur traitement, je les présente et je le laisse faire, en restant à côté, c’est intéressant. Cela prend une demi-heure à trois quarts d’heure, le temps qu’il faut pour que les choses se disent un peu. J’ai demandé à être maître de stage, ce n’est pas payé, mais je n’utilise pas les stagiaires pour travailler.

D’autres pharmaciens ont-ils la même démarche ?
Non, c’est pour cela que je n’ai pas pris de responsabilité syndicale. Il y a sûrement d’autres pharmaciens qui pensent pareil, mais je n’entends pas ce genre de discours. Ce ne sont pas ceux qui ont envie de travailler comme ça que l’on retrouve dans les syndicats, où l’on n’entend parler que de défense de marges, etc. La prospective sur ce à quoi on sert, je ne l’ai pas rencontrée. Peut-être que je n’ai pas assez cherché ou je n’ai pas voulu voir. Je rencontre de vrais professionnels, des gens qui connaissent très bien la pharmacologie, qui sont assez proches de leurs patients, à qui ils rendent des services. Une assistante vient travailler de temps en temps à la pharmacie, elle est très compétente, elle sait ce qu’elle fait. Ce n’est pas la qualité professionnelle qui est en cause, c’est le type de questionnement. Les gens que le pharmacien rencontre au quotidien, les commerciaux des laboratoires, les formations de merchandising, ne parlent que de rentabilité de rayon, de comptabilité linéaire... Je fais souvent figure d’extraterrestre quand je dis qu’on n’est pas fait pour ça.

Comment vous formez-vous ?
J’ai fait la formation Prescrire pour les pharmaciens, mais ils ont arrêté par manque de participants. Maintenant, je fais le DMVP [1], une formation sur Internet, et je fais des réunions avec le CVAO [2] dont je suis porte-parole. C’est un organisme qui s’occupe de qualité en pharmacie, on travaille sur les règles de bonne pratique officinale. On édite des recommandations sur des demandes précises, implémentables au comptoir, comme l’initiation d’un traitement antihypertenseur, ou des prurits vaginaux chez la femme... On travaille sur les requêtes secondaires : une ordonnance présentée pour la première fois à l’officine, par exemple d’antidépresseur, ou sur les requêtes primaires, comme l’infection urinaire. On essaie de déterminer les erreurs à ne pas commettre. Nous avons soixante adhérents sur cinquante-cinq mille pharmaciens et assistants, dont trente membres actifs. Il y a un site, qui tient parce qu’on est super motivés. Nous avons fait un colloque médecins pharmaciens, très intéressant. Quand on rencontre les médecins et qu’on leur raconte ce qu’on fait, ils sont enthousiastes, mais après on se retrouve avec des problèmes économiques et politiques. Un type qui s’occupe de formation nous a dit qu’on avait dix ans d’avance. On a réussi à se faire subventionner par DMVP qui est un site de formation officinale pas mal fait, cela les fait connaître et ils sont à la recherche de démarche qualité. Mais ce n’est pas pérenne.

Pour que ce soit viable, que faudrait-il faire ?
J’ai écrit à Marisol Touraine, en lui disant : « Rachetez-nous. Je vous vends à 60 % moins que le prix du marché. Puis vous me virez sans frais ou vous me gardez et vous faites tourner le système. » Dans la rémunération des pharmaciens, on parle toujours d’un chiffre global, les 70 000 ou 100 000 euros qui restent à la fin. Mais nous ne sommes pas salariés, mais entrepreneurs, je fais six fiches de salaire par mois, à une époque j’en faisais neuf. J’ai acheté un fonds, je paye un bail énorme, j’achète du stock, je revends du stock, je suis entrepreneur sans l’avoir choisi. En fin de carrière, un pharmacien se paye entre 2 700 et 3 000 euros net mensuel pour trente-cinq heures par semaine. Les pharmaciens gagnaient beaucoup d’argent grâce à la gestion de leur fonds de commerce. Si les tutelles veulent nous faire faire de la qualité et savoir combien on gagne, je leur dis : employez-moi à vingt-cinq euros net de l’heure, pour soixante-dix heures par semaine, je gagnerai plus et je ferai de la qualité. Je veux qu’ils prennent conscience que le réseau existant de vingt-deux mille pharmacies ne peut pas bien fonctionner actuellement.

Je suis prêt à travailler aux économies, à dire qu’on consomme trop de ci, de ça. Mais la balourdise qui consiste à dire qu’on va souvent à l’hôpital pour rien et qu’on consomme trop de médicaments, comme si c’était avec ça qu’on allait combler le trou de la Sécurité sociale, je ne l’accepte pas. Pourquoi va-t-on trop à l’hôpital ? Vous avez essayé de trouver un médecin le samedi après-midi ? Pourquoi les médecins ne veulent pas les patients qui ont la CMU et l’AME, à part quelques racistes ? J’ai du mal à trouver des pharmaciens qui prennent les patients qui ont l’AME parce qu’ils savent très bien qu’ils seront mal payés. Des dossiers complets avec les cartes d’AME qui restent en demeure à la Sécu et ne sont pas payés depuis neuf mois, j’en ai des kilos. Comment faire pour que les gens prennent moins de médicaments ? Il faut travailler avec les pharmaciens. On me rémunère pour vendre des boîtes. Le pharmacien en difficulté économique ne va pas dire : « Vous avez besoin de vingt-cinq comprimés d’amoxicilline, avec deux boîtes, vous en avez vingtquatre, n’en prenez que deux. » Moi, je le fais, parce que je suis fou, mais la majorité des pharmaciens en difficulté, s’il faut une cuillerée à soupe de plus, ils mettent deux flacons. Essayons de travailler intelligemment. On peut réduire les coûts de la Sécurité sociale, mais est-ce en obligeant les gens à prendre des génériques contre leur gré qu’on va leur donner le sentiment que le traitement est efficace ? Contraindre est la meilleure façon de dire : le produit ne vaut rien, mais il faut quand même le prendre. Des patients que j’avais réussi à mettre sous générique reviennent pour dire que le produit ne fait pas effet. Je sais très bien qu’il fait effet, ce n’est pas le problème. J’ai été obligé de substituer des personnes âgées, sinon on ne me rembourse pas : huit boîtes de génériques d’un coup. La vieille dame rentre chez elle et n’a que du biogaran sur sa table de nuit. Si on ne lui laisse pas le temps de s’y habituer, elle va mourir. Et c’est le générique qui en pâtira.
Travaillez avec des pharmaciens, sanctionnez ceux qui se comportent comme des balourds et on les connaît, celui qui donne 50 ou 60 % de génériques ne veut pas jouer le jeu. Ne laissez pas l’Académie de médecine établir des rapports idiots parce que la petite fille de l’un d’entre eux a vomi un flacon de générique, ou s’ils ont le droit de s’exprimer, allez au journal de 20 heures affirmer que ce sont de vieux cacochymes. Battez-vous. Aujourd’hui, il n’y a pas de direction de la santé, il y a ceux qui sont sous influence de l’industrie pharmaceutique et ceux qui sont sous le poids des économistes de Bercy. Entre les deux, il y a nous et le quotidien...

Quel pourcentage de génériques devrait donner un pharmacien ?
Avant l’obligation de donner des génériques, j’étais à 86 %. Puis j’ai écrit à Xavier Bertrand et Van Rockeghem pour leur dire : « À partir de demain, les gens feront ce qu’ils veulent, je ne me bats plus pour les génériques. » Aujourd’hui, avec la nouvelle loi qui dit que les gens ne seront pas dispensés de l’avance si ce n’est pas écrit à la main « non substituable » par le médecin sur l’ordonnance, je suis à 90 % de génériques. Je travaille avec un seul labo de génériques, mais quand un client a un générique différent donné par un autre pharmacien, je le commande. Il y a des génériques avec les jours de semaine dessus, ou un goût différent, ou qui se cassent mal, on peut comprendre qu’ils en préfèrent un. En 1995, j’ai réuni des médecins et des pharmaciens, je disais : « Les génériques sont une solution intelligente, c’est la simple application des brevets, ça va marcher. » Les médecins étaient d’accord. Mais ce ne sont pas les bonnes solutions qui ont été choisies. Il aurait fallu faire le TFR, mais je suis un des rares pharmaciens à le dire : Tarif Forfaitaire de Remboursement. Si l’on considère que le coût de l’amoxicilline 500 est tant, tout ce qui est au-dessus n’est pas remboursé. Il y a quelques classes comme ça : pour l’amoxicilline, le labo du princeps a mis son prix à hauteur des génériques. La profession n’en veut pas parce qu’on perdrait notre petite obole pour pousser le générique, et les industriels n’en veulent pas. L’État n’a pas à payer la différence entre ce qui existe et ce qu’il pense équivalent. Cela existe pour le matériel orthopédique : il y a un taux de remboursement, et si on veut un lit qui a une commande électrique pour les pieds, qui tourne sur lui-même... on paye des suppléments. C’est une médecine à deux vitesses, mais elle existe déjà. Ceux qui veulent les princeps les payent, la seule coercition est un remboursement en quelques mois. La loi crée juste une complication administrative, c’est la solution la plus bête.

Il n’est pas prévu de rémunération pour les fonctions de conseil du pharmacien ?
Pour le suivi des patients sous antivitamines K, on a un forfait. J’ai reçu le premier patient hier soir à 19 h 25, je lui ai demandé s’il avait son carnet de suivi, qu’il n’avait pas. Je télécharge les cahiers et je lui demande quand il a fait son dernier INR (indicateur de la coagulation sanguine), il me dit que le médecin ne veut plus le voir tant qu’il ne l’a pas fait. Je lui donne le carnet et je lui dis qu’il faut le remplir, j’espère qu’il va le faire. Avant, je ne me souciais pas des AVK, je donnais le médicament et si le patient n’avait pas de question, je ne lui demandais pas s’il connaissait ses objectifs d’INR (qui devraient être sur l’ordonnance et qui n’y sont jamais). Pour ces deux rendez-vous, on recevra quarante euros, payables pour 2013 en mars 2014. On a évalué qu’il y avait environ quarante personnes cibles par officine, ce qui fait 1 600 euros par an. Mais quand on voit comment cela se passe quand on fait asseoir un patient, pour que les choses commencent à se décanter... Quand il a déjà vu le médecin, qu’il a sa famille sur le dos et son pharmacien qui lui casse les pieds, pour qu’il arrive à dire pourquoi il ne prend pas le médicament, il faut trente à quarante minutes. En un quart d’heure, je ne peux pas faire parler les gens. Si je veux faire de l’entretien motivationnel, si je veux comprendre le malade, c’est quarante minutes. Le médecin n’a pas non plus quarante minutes. On peut le faire une fois mais ce n’est pas reproductible.

Qu’avez-vous dit à Marisol Touraine ?
J’ai dit : « Nationalisez-nous, puisque vous pensez que les pharmaciens gagnent trop et que la France a besoin d’argent. Vous avez un secteur de vingt-deux mille pharmacies, rachetez-les et faites les tourner. Et payez-nous le prix « juste », décidez le nombre que vous pensez utile dans chaque pharmacie pour faire des entretiens, etc., et si cela ne marche pas vous le verrez. » Je suis prêt à être pilote si elle veut. Elle ne pourra pas le faire. Aujourd’hui, les pharmaciens qui travaillent proprement font comme moi entre soixante-dix et quatre-vingts heures par semaine, minimum avec le travail administratif. Elle va devoir me payer quarante-cinq heures supplémentaires si j’accepte de les faire. Il va falloir créer des emplois. Si elle ne le fait pas, cinq mille pharmacies vont fermer. Au dernier conseil de Sécurité sociale où je suis allé (deux fois par an, la Sécu rencontre les professionnels de santé), je leur ai dit : « Vous êtes hallucinants, ici on voit des camemberts sur les génériques, des statistiques... et dans vos petites têtes, c’est l’offre de soins qui crée la dépense de soins. Il faut réduire l’offre de soins pour réduire la dépense de soins. Vous avez raison, je connais une zone dans le sub-Sahara où il n’y a ni médecin ni pharmacien ni kiné, il n’y a aucune dépense de soins, il n’y a pas besoin de cotisation, mais on meurt à 35 ans. »
Dans le 77, il y a des déserts médicaux, il y en aura bientôt dans le 92, les dépenses de soins vont se réduire toutes seules. Il n’y a plus de médecin qui veut s’installer, il n’y a plus de pharmacien qui veut s’installer, il n’y a plus d’infirmière qui veut s’installer. Les gens mourront plus tôt, cela va s’équilibrer. La représentante de la CGT à la Sécu s’est fait applaudir par nous, les libéraux. Ce qui m’intéresse, c’est l’intérêt supérieur des patients. Les pharmaciens, il y en aura toujours, c’est le plus vieux métier du monde. Je ne suis pas inquiet pour nous, il y a toujours eu des medicine man. C’est pour la santé que je suis inquiet, parce que les gens n’arrivent plus à se faire prendre en charge correctement.


par Lionel Echinard, Pratiques N°60, février 2013

Documents joints


[1Site www.maformationofficinale.com édité par DMVP Formation, société indépendante ne recevant pas de fonds publicitaires. Siège social à Angers.

[2cvao.org : accessible sur Internet, ouvert à tous les pharmaciens ; il faut s’inscrire (c’est gratuit, on reçoit un mot de passe) pour accéder aux recommandations de pratiques officinales.


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