Des syndicats médicaux proposent

Comment lutter contre les déserts médicaux et améliorer l’accessibilité des soins tant au niveau géographique que financier ?

MG France : propositions et analyse

Jacques Battistoni
pour MG France, syndicat représentatif de généralistes participant aux négociations

La détermination constante de MG France à défendre l’accès aux soins et à promouvoir la profession de médecin généraliste n’est plus à démontrer. Notre revendication première est la diversification des modes de rémunération, notamment par la création d’un forfait médecin traitant pour tous les patients. L’avenant 8 à la convention médicale a institué ce forfait avec une valeur de base de cinq euros.
Lutter contre les déserts médicaux pour MG France, c’est faire évoluer le forfait médecin traitant en le modulant. La première modulation doit être territoriale avec une majoration conséquente dans les zones sous dotées. MG France voit dans cette modulation du forfait à la fois une vraie incitation à des installations pérennes et un moyen pour préserver les médecins déjà installés sur ces territoires. Cet outil, le forfait modulé sur le plan territorial, est un levier essentiel pour répondre au défi posé par les déserts médicaux, car cet investissement sur le premier recours ne passe pas par une augmentation de la valeur des actes.
Nous revendiquons aussi, pour préserver l’accès aux soins pour tous, la possibilité d’un tiers-payant intégral régime obligatoire et régimes complémentaires. Les procédures techniques ne sont pas très simples à mettre en œuvre, mais la volonté politique est déterminante et seule capable de mettre un terme aux obstacles techniques.
Les soins de premier recours sont le plus souvent la première porte d’entrée des patients dans le système de santé. L’accès à ce premier recours doit être facilité. Les rémunérations forfaitaires permettent d’améliorer l’équilibre économique de nos cabinets sans conséquences sur le reste à charge des patients.

Revalorisation de la médecine générale 
Elle doit prendre plusieurs formes :
— Universitaire : Il faut augmenter le nombre de maîtres de stage universitaire et améliorer leurs rémunérations. Les enseignants de notre discipline ne doivent plus connaître la précarité. Leur nombre doit être en rapport avec le nombre des étudiants à former. Pour promouvoir le choix de la médecine générale, nous voulons que le stage de deuxième cycle en médecine générale, obligatoire dans la loi, devienne enfin partout une réalité. On parle actuellement d’augmenter d’une année la durée de l’internat. Cette année devrait, pour MG France, se dérouler uniquement en cabinet de médecine générale.
— Structurelle : La création du collège de la médecine générale est une chance pour notre profession. Il doit être reconnu comme la voix de la discipline, notamment en ce qui concerne les recommandations de pratiques et la définition des indicateurs qui déterminent la rémunération sur objectifs de santé publique.
Enfin, nous demandons de véritables outils politiques pour parler au nom de la médecine générale. Les modes de scrutins aux élections professionnelles et les critères qui en résultent et déterminent la capacité de signature des conventions doivent être revus.

Accompagnement des professionnels 
L’action de MG France, en lien avec des partenaires tels que la Fédération Française des Maisons et Pôles de Santé (FFMPS), est tournée vers l’accompagnement des professionnels pour les ouvrir à l’exercice pluriprofessionnel et leur donner les moyens de dire ce qu’ils font et de faire ce qu’ils disent. Cet engagement avec les autres professionnels de santé de premier recours est déterminant pour une véritable revalorisation de métier. Un accompagnement professionnel par une formation continue indépendante, indemnisée et ouverte à tous les médecins est indispensable. Cette formation tout au long de la vie professionnelle doit continuer à s’appuyer sur des organismes locaux et nationaux qui ont fait la preuve de leur compétence et de leur savoir-faire.

Investissement financier 
La valorisation du métier de médecin généraliste passe par le développement de rémunérations forfaitaires. Forfait médecin traitant modulé en fonction du territoire, forfaits en fonction d’objectifs de santé publique et forfaits rémunérant la coordination inter professionnelle.

Installation des jeunes professionnels 
Pour MG France, toute mesure coercitive supplémentaire serait dramatique car contre-productive. Les médecins généralistes sont fatigués de travailler sans moyens et ont le sentiment d’être sous-estimés. Il y a un déficit d’inscription en troisième cycle de médecine générale, un cruel déficit à l’installation et de nombreuses cessations prématurées d’activité soignante. Toute nouvelle contrainte sans plus value réelle ne ferait qu’accroître les déserts médicaux.
Pour MG France, le levier principal est le forfait médecin traitant. Avec une modulation en fonction des territoires et sur des objectifs de santé publique. Le jeune installé n’ayant le plus souvent pas de patient en médecin traitant, nous demandons qu’il bénéficie, lors de son installation dans une zone non surdotée et pendant deux ans, d’une garantie de rémunération forfaitaire calculée sur la moyenne des rémunérations des autres généralistes du territoire (la définition du territoire fait actuellement l’objet de propositions). Cette garantie pourrait être dégressive dans le temps, le relais étant pris par la constitution de la patientèle propre du nouveau médecin généraliste.
Enfin la protection sociale du médecin généraliste, et plus particulièrement de la femme médecin généraliste, doit être rapidement améliorée. L’un des principaux freins à l’installation est la précarité possible à l’occasion d’une maternité. Notre syndicat demande l’obtention de l’avantage supplémentaire maternité pour donner un véritable revenu à la femme médecin lors de son congé maternité.
Depuis longtemps pour MG France, la médecine générale est une discipline et non un mode d’exercice. Exercice libéral et salariat ne doivent pas s’opposer. Les problèmes se situant plus en termes de non-organisation que de pénurie, il y a de la place pour toutes les initiatives sur un territoire. Peu importe si la solution proposée est un centre de santé associatif, l’adossement à un hôpital local, ou un pôle de santé libéral, si c’est celle des professionnels du territoire.
Le temps est à l’innovation et à la créativité. Il ne faut rien interdire si la proposition contribue à la qualité et à l’accès aux soins de tous.
Revaloriser la médecine générale, c’est permettre qu’elle inscrive son exercice au sein d’une équipe de premier recours. L’interprofessionnalité donne toute sa dimension à notre exercice de coordonnateur du parcours de santé du patient. Le travail pluriprofessionnel s’appuie d’abord sur l’existence d’une forte dynamique humaine, façonnant une équipe qui se reconnaît sur les plans humain et professionnel, connaissant et reconnaissant les compétences de chacun. Cette équipe se fédère autour d’un projet de santé, expression des missions dans lesquelles s’investissent les professionnels. Il est souvent le lieu de l’innovation par de nouveaux services aux patients.
Enfin ce projet se déploie sur un territoire identifié : somme des patientèles, quartier, communauté de communes, bassin de vie... Le projet identifie ainsi le sujet de son action.
Une Équipe, Un Projet, Un Territoire. Ensemble, c’est mieux.
Ce cadre étant posé, il faut un modèle économique stable et durable pour l’équipe. L’expérience des nouveaux modes de rémunération en est la préfiguration. MG France demande la création de conventions territoriales entre équipes de soins et Agences Régionales de Santé ouvrant droit à une dotation commune, finançant la structuration des équipes et leurs actions. Cette dotation d’équipe, et non somme de dotations individuelles, est un levier essentiel premier recours sur un territoire.

SNJMG :la partie émergée de l’iceberg

Entretien avec Pierre Martin 
pour le Syndicat National des Jeunes Médecins Généralistes, syndicat de jeunes médecins généralistes et internes

Pierre Martin : Pour le SNJMG, les déserts médicaux ne sont que la partie émergée de l’iceberg constitué par les conditions d’exercice des médecins généralistes. Ce qui fait qu’elle soit émergée, c’est l’effet révélateur :
—  des contraintes de la démographie médicale (plus de partants que d’arrivants) ;
—  des ratés de l’aménagement du territoire (les zones démographiquement et/ou économiquement sinistrées) ;
—  de l’évolution des choix professionnels des médecins (grandement superposables à l’évolution des choix du restant de la population).

Pratiques : Comment aider les internes qui ont eu des conditions de travail très dures pendant l’internat et qui font tourner les hôpitaux, à envisager leur futur métier autrement que dans la volonté de compensation financière ?
Pour le SNJMG, la gratification financière post internat ne doit pas être liée aux conditions d’exercice des internes. Or, les pouvoirs publics ont longtemps usé de cet argument (ainsi que de l’argument du statut d’étudiant) pour justifier des conditions d’exercice indignes durant l’internat. C’est pourquoi, le SNJMG s’est investi dans toutes les grèves d’internes de 1998 à 2012 pour obtenir :
— le statut de praticien en formation (et abandonner officiellement celui de simple étudiant) ;
— une protection sociale et une rémunération dignes de leur rôle en stages.

Quelles sont les aspirations des jeunes médecins vis-à-vis de l’organisation du travail en médecine générale ? 
Il n’y a pas d’aspiration identique pour tous les jeunes médecins vis-à-vis de l’exercice de la médecine générale. Mais nous relevons des tendances lourdes en faveur de l’exercice en groupe voire pluridisciplinaire, de l’exercice salarié, du panachage des modes d’exercices et de l’évolutivité professionnelle.

Ne pensez-vous pas qu’il faudrait une revalorisation de la paye des étudiants en médecine dès le second cycle pour éviter leur exploitation et leur frustration ? 
Effectivement, le SNJMG juge scandaleuse la rémunération des étudiants dès le deuxième cycle (DCEM), à partir de la 3e année d’étude (128 euros mensuels).

Quelles propositions pour rendre la médecine générale plus attractive ? Ne pensez-vous pas qu’il faut un autre mode de recrutement des médecins que les concours ? À votre avis, quelles mesures prendre au niveau de la formation des étudiants ? 
Pour rendre la médecine générale plus attractive, le SNJMG propose que :
—  la médecine générale soit découverte par tous les étudiants de médecine (donc dès le 2e cycle) ;
—  les conditions d’exercice des médecins généralistes provoquent de l’envie et non de la peur, de l’écœurement ou de la déception.

Quelles sont vos revendications vis-à-vis des stages sur le terrain (moment, nombre, qualité de l’encadrement) ?
—  stages accessibles à tous (dès le 2e cycle) ;
—  stages diversifiés tant en termes de soins primaires que de modes d’exercice de la médecine générale ;
— vrai statut universitaire des maîtres de stages avec un véritable salaire permettant de découpler leur rémunération du nombre d’actes effectué par le stagiaire.

Pour vous, comment faire face à la fois aux questions de rémunérations des médecins et d’accès aux soins pour les patients qui renoncent aux soins pour des raisons financières (absence de mutuelle, problème du secteur 2 et des dépassements d’honoraires) ?
Le SNJMG demande :
—  la suppression des « franchises médicales » ;
—  la suppression des pénalités financières des patients consultant un autre médecin généraliste que son médecin traitant ;
—  la révision du parcours de soins qui fait qu’il existe plus d’une trentaine de tarifications possibles pour un même acte en second recours ;
—  le remplacement des deux secteurs conventionnels par un secteur unique revalorisé.

Comment voyez-vous la revalorisation de la médecine générale ? 
Elle doit se faire à tous les niveaux, sinon elle restera théorique :
— Revalorisation universitaire : la moitié des médecins seront des généralistes, est-ce que la médecine générale est représentée à 50 % dans les facultés de médecine (nombre d’enseignants, moyens alloués, postes de responsabilité...) ?
— Revalorisation du métier : le médecin généraliste doitil avoir comme activité essentielle la gestion des infections banales et le remplissage des formalités administratives ? Doit-il continuer à travailler autant d’heures par semaine ?
— Revalorisation tarifaire : les médecins généralistes, comme de nombreuses spécialités cliniques, sont parmi les médecins les moins bien rémunérés en France et ils sont parmi les médecins généralistes les moins bien rémunérés en Europe occidentale.

Pour attirer de jeunes médecins, comment vous situez-vous dans la controverse entre différentes options ? Certains évoquent une revalorisation financière à l’intérieur du paiement à l’acte, voire même le recours aux dépassements d’honoraires, certains pensent nécessaire une sortie du paiement à l’acte, avec du salariat et paiement à la fonction ou la capitation. 
Le SNJMG est favorable à un paiement panachant paiement à l’acte (notamment actes techniques) et forfaits (au moins un forfait « structure » et un forfait « suivi de patient »). Et proposer en alternative un véritable statut salarié, aussi bien en structure privée que dans un cadre public.

Quel cadre et quelles conditions, à votre avis, permettraient d’améliorer à la fois les conditions d’exercice et l’accessibilité des soins ? 
Ce double objectif correspond à un choix politique : que veut la collectivité en termes d’organisation du système de soins ? L’arbitrage en faveur des soins primaires n’a toujours pas été fait...

À quelles conditions pensez-vous que la pluridisciplinarité puisse fonctionner ? La présence d’habitants relais dans les maisons de santé vous semble-t-elle pertinente ? 
Pour le SNJMG, il faut un cadre réglementaire d’exercice suffisamment performant en termes d’objectifs et robuste en termes pratiques. Il faut donc de bons statuts et un véritable projet médical. Aussi, en dehors du cas particulier d’une structure publique, le SNJMG s’oppose à la création de maison de santé sans médecin à l’initiative du projet et participant à son activité.
Le SNJMG n’a pas d’opposition à l’intervention de patients dans une maison de santé, restent à en définir les objectifs et le cadre.

Et la pluridisciplinarité ? Et les habitants relais ? 
Non seulement nous n’avons pas d’opposition à cette coexistence, mais nous l’appelons de nos vœux avec notre revendication de transformer la fonction publique hospitalière en fonction publique de santé. Bien sûr, localement, nous demandons un dialogue entre structures publiques et structures privées dès l’initiation d’un projet de structure publique.


par Jacques Batistoni, Pierre Martin, Pratiques N°60, février 2013

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