Avorter, mais où ?

Le droit à l’avortement, s’il est acquis, ne peut s’appliquer avec sécurité et bien-être pour les femmes que si les centres d’IVG continuent d’exister. Or, ils sont malmenés.

Martine Lalande,
médecin généraliste

« J’ai fait une IVG, je vais bien, merci. » Ce site [1] féministe satyrique proclame le droit à l’avortement, sans culpabilité ni compassion. Les femmes (et les hommes) de moins de 35 ans sont nés avec la loi autorisant l’avortement en France et considèrent que cet évènement de santé doit être réalisable. Mais ce site regorge aussi de témoignages de parcours de combattant(e)s. Des kilomètres pour trouver où avorter, des médecins inaccueillants, des dépassements d’honoraires prohibitifs. Et très peu de choix pour les techniques d’avortement et l’accompagnement.

De moins en moins de centres d’IVG 
En région parisienne, la valse des restructurations est en passe de faire disparaître les centres d’IVG [2]. Avec les pôles hospitaliers, les centres déménagent : le centre de Broussais est allé à Cochin puis à Saint-Vincent de Paul, l’ensemble doit aller à Port-Royal, perdant cinq cents places d’IVG par an. Le centre de Bicêtre change de locaux sans cesse, avec toujours moins de surface et de moyens. Celui de Saint-Louis subit les chaises musicales avec d’autres services, jusqu’à un recoin de consultations. Le centre « historique » de Colombes s’inquiète d’une rumeur l’envoyant, dans la fusion avec l’hôpital de Nanterre, dans un « centre de chirurgie ambulatoire » où l’on se ferait opérer des dents, de l’oreille ou d’une IVG...

En dehors de Paris, la situation est critique. À Grenoble, le centre a fermé quand le médecin est parti à la retraite. À Tours, le centre serait remplacé par la réanimation néonatale dans la nouvelle maternité. À Saint-Nazaire, on interdit aux médecins généralistes de faire les IVG après dix semaines [3] ; à Châteaubriand, on leur refuse l’accès au bloc opératoire. Au Mans, les médecins en conflit avec la direction ont démissionné [4].

Un choix de la technique d’IVG par défaut 
Idéalement, on devrait pouvoir choisir la technique de son avortement : médicament ou aspiration, anesthésie locale ou générale. En fait, le choix est biaisé par les ressources. Très peu de centres proposent toutes les techniques : l’IVG médicamenteuse demande un personnel infirmier disponible, l’anesthésie générale un accès au bloc opératoire, l’anesthésie locale du personnel formé, les IVG au-delà de douze semaines aussi. Il est parfois plus simple d’aller en Hollande ou en Espagne où l’offre est large et déculpabilisée, que de chercher en France. Mais le remboursement de l’IVG n’ignore pas les frontières : si l’on avorte à l’étranger, il faut payer.

L’IVG médicamenteuse, une fausse solution 
La possibilité offerte aux médecins de ville de prescrire l’IVG médicamenteuse aurait pu résoudre en partie le problème. Cette technique est d’ailleurs encensée, l’IVG par aspiration diabolisée, appelée « chirurgicale » et affublée d’un risque de complications [5] très surestimé, au spectre de la stérilité...
Mais l’IVG médicamenteuse n’est efficace que jusqu’à sept semaines (quarante-neuf jours depuis les dernières règles), avec un risque de saignement important, comme une fausse couche, et n’est donc pas si confortable. Les médecins qui la pratiquent sont formés, mais pas toujours équipés pour accueillir les femmes et les aider si elles saignent ou souffrent beaucoup. Ils disent que les femmes ne les appellent pas, donc cela se passe bien, est-ce vraiment une preuve ? Des études commencent à montrer que faire une IVG médicamenteuse seule à la maison n’est pas facile. On aurait pu intégrer cette technique dans les centres d’IVG et de planification familiale, avec des locaux et du personnel pour accompagner les femmes, que l’avortement soit médicamenteux ou par aspiration [6]. Mais la période n’est pas à la création de lieux à la disposition des femmes.


par Martine Lalande, Pratiques N°57, mai 2012


[2Interruption volontaire de grossesse.

[3La loi française autorise les IVG jusqu’à 14 semaines d’aménorrhée, mais peu d’équipes sont formées au-delà de 12 semaines d’aménorrhée.

[4L’Écho de l’ANCIC, n°5, janvier 2012, contact@ancic.asso.fr

[5Le risque de complication de l’IVG par aspiration est évalué à moins de 3 %, la mortalité des IVG sous anesthésie locale est nulle, la mortalité totale des IVG est de 0,4 pour 100 000 contre 4 pour 100 000 avant la loi.

[61 à 2 % des IVG médicamenteuses échouent : la grossesse se poursuit et on fait une aspiration.


Lire aussi

N°57 - avril 2012

Insoumission grecque et solidarités nouvelles

par Sylvie Cognard
Sylvie Cognard Médecin généraliste Le 4 février 2012, le personnel de l’hôpital général de Kilkis, en Macédoine centrale, au nord de Thessalonique, prend la décision d’occuper l’établissement et …
N°57 - avril 2012

« La crise et nous »

par Noëlle Lasne, Christiane Vollaire
Le 30 décembre 2011, Christiane Vollaire, philosophe intervient dans le journal d’Antoine Mercier sur France Culture pour clore une série sur la crise, intitulée « La crise et nous ». Christiane …
N°57 - avril 2012

Lu : Noirs en blanc

L’auteur, médecin et écrivain, a également écrit des romans, des nouvelles et des essais : La vie devant nous (Seuil), Tempête sur l’hôpital (Seuil) 2002, Pitié pour les hommes (Stock) 2009. …
N°57 - avril 2012

— MAGAZINE —

Le Magazine accueille l’actualité ainsi que les analyses des problèmes récurrents dans toutes les sphères de la santé.