1er mai 2012 : soins psychiatriques sans consentement 1 (1, parce que là aussi, il y aura sans doute à y revenir)

Quelques remarques personnelles (en gras) à partir de quelques textes de tonalité juridique (en italique).

Loi du 5 juillet 2011, article L.3211-2-1du code de la santé publique : Une personne faisant l’objet de soins psychiatriques (sans consentement) en application des chapitres II (sur demande d’un tiers) ou III (sur demande du représentant de l’État dans le département) du présent titre (titre premier du livre II de la 3ème partie du code de la santé publique) ou de l’article 706-135 du code de procédure pénale (sur décision d’une chambre d’instruction ou d’une juridiction de jugement qui assorti d’une telle décision, motivée, un arrêt ou un jugement de déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental) est prise en charge :

1° sous la forme d’une hospitalisation complète dans un établissement mentionné à l’article L.3222-1 du présent code (établissement de santé autorisé en psychiatrie exerçant sa mission dans le cadre des territoires de santé mentionnés à l’article L.1434-16 du code de la santé publique et dans les conditions prévues aux articles L.1434-7 -c’est à dire agréés par l’Agence Régionale de la Santé à cet effet-) ;

2° sous une autre forme incluant des soins ambulatoires, pouvant comporter des soins à domicile, dispensés par un établissement mentionné au même article L.3222-1 et, le cas échéant, des séjours effectués dans un établissement de ce type ;
Lorsque les soins prennent la forme prévue au 2°, un programme de soins est établi par un psychiatre de l’établissement d’accueil. Ce programme de soins ne peut être modifié que par un psychiatre qui participe à la prise en charge du patient, afin de tenir compte de l’évolution de son état de santé.

L’avis du patient est recueilli préalablement à la définition du programme de soins et avant toute modification de celui-ci, à l’occasion d’un entretien avec un psychiatre de l’établissement d’accueil au cours duquel il reçoit l’information prévue à l’article L.3211-3 et est avisé des dispositions de l’article L.3211-11.
Le programme de soins définit les types de soins, les lieux de leur réalisation et leur périodicité, dans des conditions déterminées par décret en conseil d‘État.

Passons sur le fait que le préfet peut s’opposer à une sortie d’hospitalisation dans le cadre de soins psychiatriques sans consentement sur demande du représentant de l’État parce que le programme de soins ne lui convient pas, sans qu’il ait à s’en expliquer.
Voilà en tout cas la définition du programme de soins par la loi. Un décret réglementaire en indique les modalités d’application. Le voilà, pour information complète.

Article R.3211-1
I- Le programme de soins prévu à l’article L. 3211-2-1 est établi et modifié par un psychiatre qui participe à la prise en charge de la personne faisant l’objet de soins psychiatriques en application des chapitres II et III du présent titre ou de l’article 706-135 du code de procédure pénale.
Ce document mentionne l’identité du psychiatre qui l’établit, celle du patient et le lieu de résidence habituel de ce dernier.

II- Le programme de soins indique si la prise en charge du patient inclut une ou plusieurs des modalités suivantes :

 1° Une hospitalisation à temps partiel ;

 2° Des soins ambulatoires ;

 3° Des soins à domicile ;

 4° L’existence d’un traitement médicamenteux prescrit dans le cadre des soins psychiatriques.

 Il précise, s’il y a lieu, la forme que revêt l’hospitalisation partielle en établissement de santé ou la fréquence des consultations ou des visites en ambulatoire ou à domicile et, si elle est prévisible, la durée pendant laquelle ces soins sont dispensés. Il mentionne l’ensemble des lieux où se déroulent ces prises en charge.
 Le programme ne comporte pas d’indications sur la nature et les manifestations des troubles mentaux dont souffre le patient, ni aucune observation clinique, ni la mention ou les résultats d’examens complémentaires.
 Lorsque le programme inclut l’existence d’un traitement médicamenteux, il ne mentionne ni la nature ni le détail de ce traitement, notamment la spécialité, le dosage, la forme galénique, la posologie, la modalité d’administration et la durée.

III- L’élaboration du programme et ses modifications sont précédées par un entretien au cours duquel le psychiatre recueille l’avis du patient, notamment sur le programme qu’il propose ou ses modifications, afin de lui permettre de faire valoir ses observations. Au cours de cet entretien, le psychiatre lui délivre l’information prévue à l’article L. 3211-3 et lui indique en particulier que le programme de soins peut être modifié à tout moment pour tenir compte de l’évolution de son état de santé et qu’il peut proposer son hospitalisation complète notamment en cas d’une inobservance de ce programme susceptible d’entraîner une dégradation de son état de santé. La mention de cet entretien est portée sur le programme de soins et au dossier médical du patient.
La modification du programme par un psychiatre qui participe à la prise en charge du patient peut intervenir à tout moment pour l’adapter à l’état de santé de ce dernier.
Le psychiatre transmet au directeur de l’établissement le programme de soins et les programmes modificatifs lorsqu’ils ont pour effet de changer substantiellement la modalité de prise en charge du patient.

IV- Lorsque la décision de soins psychiatriques a été prise en application du chapitre III du présent titre ou de l’article 706-135 du code de procédure pénale, le directeur de l’établissement de santé transmet sans délai au préfet du département ou, à Paris, au préfet de police, une copie du programme de soins prévu à l’article L. 3211-2-1 et de l’avis motivé prévu au troisième alinéa de l’article L. 3211-2-2. Il lui transmet les programmes suivants accompagnant les certificats médicaux mentionnés au premier alinéa de l’article L. 3211-11 et au I de l’article L. 3213-3.
Le représentant de l’Etat est informé de la modification du programme de soins lorsque celle-ci a pour effet de changer substantiellement la modalité de prise en charge du patient, afin de lui permettre, le cas échéant, de prendre un nouvel arrêté. S’il prend un nouvel arrêté suite à la modification du programme de soins, il recueille à nouveau l’avis du collège prévu au III de l’article L. 3213-1.

V- Les décisions des directeurs d’établissement et les arrêtés préfectoraux décidant ou modifiant la forme de la prise en charge, ainsi que les programmes de soins les accompagnant, sont remis au patient par un membre de l’équipe soignante de l’établissement de santé d’accueil ou de la structure assurant la prise en charge du patient.

Le programme de soins, impose donc au patient, même s’il en est informé et si son avis est recueilli, les modalités de soin qu’il devra respecter lorsqu’il sera sorti d’hospitalisation à temps complet pour retourner chez lui. S’il ne le respecte pas -et on peut alors supposer que cela risque d’entraîner une dégradation de son état de santé, sinon pourquoi imposer ces soins au patient- le psychiatre traitant « peut proposer son hospitalisation complète ». C’est à dire que si le patient ne respecte pas le programme de soins et ne risque pas d’aller plus mal, il peut continuer à ne pas respecter le programme de soins, et par exemple ne plus se rendre aux consultations, auquel cas on se demande quel est l’intérêt d’un programme de soins psychiatriques sans consentement ! Et s’i lrisque d’aller plus mal, la règle donc en principe, le psychiatre devrait prononcer sa ré-admission en hospitalisation complète.

Notons qu’un peu plus loin, le code de la santé publique se fait plus incisif :

Article L3211-11
Le psychiatre qui participe à la prise en charge du patient peut proposer à tout moment de modifier la forme de la prise en charge mentionnée à l’article L.3211-2-1 pour tenir compte de l’évolution de l’état de la personne. Il établit en ce sens un certificat médical circonstancié.
Le psychiatre qui participe à la prise en charge du patient transmet immédiatement au directeur de l’établissement d’accueil un certificat médical circonstancié proposant une hospitalisation complète lorsqu’il constate que la prise en charge de la personne décidée sous une autre forme ne permet plus, notamment du fait du comportement de la personne, de dispenser les soins nécessaires à son état. Lorsqu’il ne peut être procédé à l’examen du patient, il transmet un avis établi sur la base du dossier médical de la personne.

Ainsi, si le comportement du patient ne permet plus de poursuivre les soins en ambulatoire, la loi indique que le psychiatre « propose » (au directeur de l’établissement) une hospitalisation complète du patient. Passons sur le fait que le certificat médical, comme un certain nombre d’autres prescrits par cette loi, peut être établi sans voir le patient, mais « sur la base du dossier », ce qui n’est pas sans poser de problèmes éthiques, déontologiques, voire parfois pratiques (lorsque par exemple le psychiatre ambulatoire ne connait pas le patient qu’il reçoit en relais du psychiatre hospitalier, surtout dans les secteurs organisés « en rondelles », ou lorsque l’hospitalisation se fait dans une unité intersectorielle, comme c’est de plus en plus le cas, parfois même à une petite centaine de kilomètres du lieu d’hospitalisation).

Le 20 avril 2012, le Conseil Constitutionnel prenait la décision n°2012-235 (lien : www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2012/2012235qpc.htm ), en réponse à une Question Prioritaire en Constitutionnalité (QPC), que l’article L.3211-2-1 était conforme à la Constitution, avec des éléments d’argumentation suivants :

11.Considérant, en premier lieu, que, lorsqu’une personne faisant l’objet de soins psychiatriques sans son consentement n’est pas prise en charge sous la forme d’une hospitalisation complète, un « programme de soins » est établi par un psychiatre de l’établissement ; que l’avis du patient est recueilli préalablement à la définition et avant toute modification de ce programme, à l’occasion d’un entretien au cours duquel il reçoit l’information prévue à l’article L.3211 3 et est avisé des dispositions de l’article L.3211−11 ; que le second alinéa de l’article L.3211−11 du code de la santé publique dispose que, lorsque le psychiatre constate que la prise en charge sous la forme ambulatoire ne permet plus, notamment du fait du comportement de la personne, de dispenser les soins nécessaires à son état, il « transmet immédiatement au directeur de l’établissement d’accueil un certificat médical circonstancié proposant une hospitalisation complète » ; que le dernier alinéa de l’article L.3212−4 et le paragraphe III de l’article L.3213 3 fixent les modalités selon lesquelles une prise en charge au titre du 2° de l’article L.3211−2−1 peut être modifiée à cette fin ;

12. Considérant qu’il résulte de ces dispositions qu’en permettant que des personnes qui ne sont pas prises en charge en « hospitalisation complète » soient soumises à une obligation de soins psychiatriques pouvant comporter, le cas échéant, des séjours en établissement, les dispositions de l’article L.3211−2−1 n’autorisent pas l’exécution d’une telle obligation sous la contrainte ; que ces personnes ne sauraient se voir administrer des soins de manière coercitive ni être conduites ou maintenues de force pour accomplir les séjours en établissement prévus par le programme de soins ; qu’aucune mesure de contrainte à l’égard d’une personne prise en charge dans les conditions prévues par le 2° de l’article L.3211−2−1 ne peut être mise en oeuvre sans que la prise en charge ait été préalablement transformée en hospitalisation complète ; que, dans ces conditions, le grief tiré de la violation de la liberté individuelle manque en fait ;

Autrement dit, les soins psychiatriques sans consentement en ambulatoire ou en hospitalisation à temps partiel du programme de soins constituent certes une obligation mais n’autorisent pas la contrainte, la coercition ou la force ne pouvant être utilisées pour réaliser ces soins, sinon en transformant les soins ambulatoires en hospitalisation à temps complet. Outre l’impression que la logique est là mise à mal, on voit mal comment appliquer concrètement ces limitations : comment amener une personne qui refuse une obligation à s’y soumettre, sans contrainte ? N’y aurait-il pas là de l’hypocrisie ? Une obligation ne suppose-t-elle pas une contrainte à laquelle la personne doit se plier, et si elle ne s’y plie pas, comment l’y amener sans coercition, voire usage de la force ?

13. Considérant, en second lieu, qu’il résulte de la combinaison de l’article L.3211−2−1 et des articles L.3212−1 et L.3213−1 qu’une personne atteinte de troubles mentaux ne peut être soumise sans son consentement à des soins dispensés par un établissement psychiatrique, même sans hospitalisation complète, que lorsque « ses troubles mentaux rendent impossible son consentement » à des soins alors que « son état mental impose des soins immédiats assortis d’une surveillance médicale constante » ou lorsque ces troubles « nécessitent des soins et compromettent la sûreté des personnes ou portent atteinte, de façon grave, à l’ordre public » ; qu’en tout état de cause, le juge des libertés et de la détention peut être saisi à tout moment, dans les conditions fixées par l’article L.3211−12, aux fins d’ordonner à bref délai la mainlevée immédiate d’une telle mesure ; qu’en adoptant ces dispositions, le législateur a assuré, entre la protection de la santé et la protection de l’ordre public, d’une part, et la liberté personnelle, protégée par les articles 2 et 4 de la Déclaration de 1789, d’autre part, une conciliation qui n’est pas manifestement déséquilibrée ;...

Et là, ça se corse : on ne peut soumettre un patient à des soins psychiatriques sans consentement, même sans hospitalisation complète, que lorsque « ses troubles mentaux rendent impossible son consentement » aux soins alors que « son état mental impose des soins immédiats assortis d’une surveillance médicale constante » ou lorsque ces troubles « nécessitent des soins et compromettent la sûreté des personnes ou portent atteinte, de façon grave, à l’ordre public », où le conseil constitutionnel laisse entendre que même en soins ambulatoires ou en hospitalisation à temps partiel d’un programme de soins, auquel il faut bien que le patient consente un minimum, même si c’est uniquement pour en obtenir le « bénéfice secondaire » d’une liberté surveillée, le maintien des soins psychiatriques sans consentement ne peuvent être maintenu que si l’état mental du patient « impose des soins immédiats assortis d’une surveillance médicale constante » ou « nécessite des soins et compromettent la sûreté des personnes ou portent atteinte, de façon grave, à l’ordre public ». C’est à dire que les sorties d’hospitalisation en programme de soins n’ont aucune raison d’être : en effet soit elles supposent que le patient consent aux soins et donc que la mesure de soins psychiatriques sans consentement doit être levée, soit que l’état du patient impose les mêmes mesures et contraintes qu’à son admission, auquel cas il devrait rester hospitalisé !

Pour conclure sur une note clinique, et en contre-pied (de nez ?), voilà la petite histoire vécue aujourd’hui aux urgences. C’est une femme, du troisième âge débutant, amenée la veille, parce qu’elle avait menacé, mollement, après 2 verres de whisky (dit-elle), le benjamin de ses fils, d’un fusil. Elle avait été hospitalisée sans consentement sur demande d’un tiers un mois auparavant, parce qu’elle reprochait à ses fils et son ex-compagnon de vouloir la spolier, et le leur faisait payer en leur gâchant la vie. Après 3 semaines dans l’unité intersectorielle où sont hospitalisé les patients en soins psychiatriques sans consentement, à 80 kms de là, elle a passé une semaine en hospitalisation libre dans le service de proximité, avant de rentrer chez elle, avec un traitement pour trouble bipolaire et une orientation vers la consultation d’alcoologie locale... Et 3 jours après sa sortie, la revoilà aux urgences, avec un scénario du même tonneau. Elle accepte mon inquiétude sur les procès d’intention qu’elle fait aux hommes de son environnement, sur les actes qu’elle commet sans raison, et ma proposition d’hospitalisation, pour reprendre la question de la nature de son affaire -qui me paraissait plus se situer dans le registre d’une psychose balbutiante, alcoolique ou hallucinatoire chronique, voire d’une évolution vers une démence alcoolique d’une personnalité hystéroide- et des soins à lui proposer. Elle refusait toutefois d’être hospitalisée dans l’unité de proximité, pour souhaiter l’être dans l’unité intersectorielle d’hospitalisation en soins sans consentement. Après appel à cette unité, impossible d’y adresser cette patiente en hospitalisation libre. La patiente refusant l’hospitalisation en psychiatrie (dans l’unité vers laquelle le dispositif local l’orientait), il a fallu faire une admission en soins sans consentement pour qu’elle puisse être hospitalisée dans l’unité où elle avait demandé d’être hospitalisée, que le dispositif réservait aux patients hospitalisés sans consentement ! Où est la contrainte, et la folie ?

mardi 1er mai 2012, par Éric Bogaert

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